« En Champagne le court-noué est un problème très important. Il y a des secteurs historiquement très touchés et cela ne va pas en s'arrangeant. Les viticulteurs se sentent démunis », note Géraldine Uriel, du CIVC. En effet, depuis l'interdiction des produits de désinfection des sols, son potentiel infectieux ne cesse d'augmenter. Il est donc urgent de trouver de nouvelles stratégies de lutte pour contrôler la maladie. C'est ainsi que des pistes délaissées ressortent des placards. C'est le cas de la prémunition. Cette technique date d'une vingtaine d'années. Elle consiste à inoculer un plant avec une souche de virus peu virulente, afin qu'elle empêche les souches agressives présentes dans le vignoble de s'installer.
Chez Jérôme Vocoret, du domaine Vocoret et fils, à Chablis (Yonne), les résultats sont spectaculaires. En 2006, il replante une parcelle de premier cru de 26,60 ares avec des plants de chardonnay prémunis. « Avant, j'avais un rond de court-noué où plus rien ne poussait. Le feuillage était jaune citron. Aujourd'hui, la vigne pousse normalement. Les bois sont réguliers. » Seul 1 % des pieds prémunis présentent des symptômes de panachure. « C'est très peu. Et encore il ne s'agit que de panachure diffuse, c'est-à-dire qu'une faible partie du limbe est touchée. C'est sans conséquences pour la vigne », explique-t-il. À l'inverse, chez son voisin, avec lequel il partageait le rond de court-noué, les pieds présentent des symptômes sévères de panachure.
Pour arriver à ce résultat, Jérôme Vocoret a mis toutes les chances de son côté. « J'ai opté pour un porte-greffe très vigoureux : le 5BB. » Et, sur les conseils de son pépiniériste, il a planté la parcelle prémunie à 8 000 pieds/ha au lieu de 10 000 pieds/ha. « Il y a moins de concurrence. La vigne se développe mieux. » Au moment de la taille, « je me limite à douze bourgeons par pied. Cela évite l'épuisement de la plante ». Et, surtout, il la fertilise généreusement. « Pour la récolte 2014, j'ai mis 5 t/ha d'Orga3 [engrais organique avec 3 % N, 2 % P2O5, 3 % K2O, 3 % MgO, NDLR] et 3 t/ha pour la récolte 2015. » Mais le jeu en vaut la chandelle. « En 2014, j'ai obtenu autour de 60 hl/ha au lieu de 40 hl/ha si j'avais remis des plants traditionnels », assure-t-il.
De son côté, la chambre d'agriculture du Vaucluse, l'Inra de Colmar et l'IFV ont mis en place en 2003, à Chateauneuf-du-Pape, un essai avec des plants de grenache greffés sur 110 R prémunis avec différentes souches de GFLV et d'ArMV. C'est une souche virale indigène prélevée sur place qui procure les résultats les plus spectaculaires. « Visuellement, les plants prémunis avec cette souche sont plus jolis, moins rabougris », rapporte Olivier Jacquet, de la chambre d'agriculture du Vaucluse. Et surtout ils produisent 25 à 50 % de récolte en plus que les autres plants prémunis.
En revanche, lors d'autres essais, notamment en Champagne et en Alsace, la technique a été décevante. Pourquoi de telles différences ? Pour Olivier Lemaire, virologue à l'Inra de Colmar (Haut-Rhin), ce serait lié au choix de la souche. « Lorsqu'on apporte une souche de virus peu agressive, elle colonise la plante et stimule ses réactions de défense. Elle la protège d'une surinfection par les souches locales, sous réserve qu'elle en soit génétiquement proche », suppose le chercheur. Les tests vont se poursuivre pour tenter de mieux comprendre le phénomène.
En attendant, les pépinières Guillaume, situées à Charcenne (Haute-Saône), impliquées dès le départ dans les recherches sur la prémunition, vendent chaque année à titre expérimental quelques milliers de plants de chardonnay et de pinot noir prémunis. Produits en pot de 1 l, ils sont vendus avec un surcoût de 4 € par plant. « Ils sont destinés à faire des remplacements dans les rangs court-noués », précise Pierre-Marie Guillaume. Toutefois, il n'est pas encore question de généraliser la technique au vignoble. Olivier Lemaire prévient : « Les plants prémunis sont inoculés avec une souche de virus du court-noué vivant. On ne peut pas garantir leur innocuité. »
Un coût très élevé
« Le court-noué provoquerait entre 350 et 850 millions d'euros par an de pertes économiques en France », indique Olivier Lemaire, virologue à l'Inra de Colmar. Il est en effet responsable d'un affaiblissement de la vigne et de pertes de rendements importantes. Dans les cas les plus graves, les souches meurent.
Il est présent dans 60 % du vignoble français. Il touche particulièrement les grands crus et les vignobles prestigieux. À l'origine : deux virus, le GFLV, le plus répandu, et l'ArMV, beaucoup plus rare. Tous deux sont transmis par des nématodes qui vivent dans le sol : Xiphinema index pour le GFLV et Xiphinema diversicaudatum pour l'ArMV.
La vigne héberge plus de 70 virus
La vigne peut être infectée par plus de 70 virus ou viroïdes. « C'est un record absolu chez une espèce cultivée », note Olivier Lemaire, virologue à l'Inra de Colmar. L'explication ? La vigne a été domestiquée par l'homme il y a plus de 6 000 ans puis elle a été diffusée de par le monde via de nombreux échanges de bois. Son mode de multiplication végétatif favorise la propagation et la multiplication des virus. Ce n'est pas le cas pour les plantes qui se multiplient par voie sexuée, car les graines renferment peu de virus.
Cinq nouveaux virus à surveiller
En France, les chercheurs ont récemment identifié trois nouveaux virus. En travaillant sur le dépérissement de la syrah, ils ont ainsi découvert le Grapevine Syrah virus-1, en 2012. « On le retrouve dans beaucoup de parcelles. On pense qu'il est transmis par le matériel végétal mais a priori il ne semble pas avoir un pouvoir pathogène important », rapporte Olivier Lemaire, virologue à l'Inra de Colmar. Dans le Bordelais, l'an passé, les chercheurs ont également détecté le Grapevine Pinot gris virus et le Grapevine Red globe virus dans une parcelle de merlot et de cabernet franc. « Le premier engendre des symptômes proches du court-noué. Il pose des problèmes importants en Italie. Pour le second, la symptomatologie n'est pas claire mais on le suspecte de jouer un rôle dans les dépérissements. Ces deux virus sont à surveiller », précise Olivier Lemaire.
Deux autres virus présents à l'étranger pourraient également menacer nos vignes : le Grapevine red-blotch-associated virus et le Grapevine vein clearing virus. « Le premier a été détecté aux États-Unis et il est probablement transmis par une cicadelle. Il infecte un grand nombre de cépages. Il déprécie la qualité des moûts car il engendre un retard de maturité. Le second a été observé en Californie. Il provoque un éclaircissement des nervures et un dépérissement de la vigne. »