De 2009 à 2014, dans le cadre d'un programme national financé par France-AgriMer et coordonné par l'IFV, plusieurs instituts techniques (pôles IFV, Inra, Inter Rhône, ICV, CIVC, Centre du rosé, CIVRB) ont étudié la possibilité de limiter la teneur en SO2 dans les vins rouges, rosés, blancs et effervescents. Au total, 42 essais ont été conduits dans les différentes régions viticoles.
Les résultats sont encourageants. En effet, l'ensemble des partenaires juge qu'une diminution de 50 % des sulfites totaux dans les vins est possible.
Concrètement, les chercheurs ont comparé trois modalités :
- le sulfitage de référence, pratiqué selon les usages courants dans la région concernée ;
- le sulfitage à demi-dose pour obtenir une réduction de 50 % de la teneur finale en sulfites par rapport aux moyennes régionales, soit entre 50 et 100 mg/l SO2 total ;
- zéro sulfitage en vue d'obtenir une teneur en sulfites inférieure à 10 mg/l, la limite pour exemption d'étiquetage.
À l'issue de ce programme, les partenaires parlent d'une même voix pour déconseiller de se passer du sulfitage, sauf à accepter une remise en cause de l'originalité des vins. En effet, si les vins non sulfités semblent peu différents des autres du point de vue analytique, ils sont très marqués par des notes d'oxydation dès le conditionnement. Sauf sur les beaujolais nouveaux, les arômes fruités font place à des profils « fruits évolués », « éventé » ou « d'acescence ». Les thiols variétaux diminuent. Les rouges présentent moins de polyphénols. Les populations de micro-organismes sont plus nombreuses à tous les stades de production. Il devient très difficile de contrôler la FML. Les expérimentateurs ont pourtant pris quantité de précautions : maîtrise des températures et de l'hygiène, inertage... Cela n'a pas suffi. Mais les défauts peuvent êtres corrigés... avec du SO2.
Frédéric Charrier, du pôle IFV Val de Loire-Centre, coordinateur des essais, indique qu'« un sulfitage minime, de 10 à 30 mg/l, rebooste les vins pour quelques mois, en faisant provisoirement disparaître l'oxydation ».
En suivant l'itinéraire « demi-dose », on obtient des vins dont la teneur en sulfites totaux est proche de 50 mg/l sur vins rouges et effervescents, et qui avoisine les 60-80 mg/l sur les blancs et les rosés. C'est trois fois moins que les maximales autorisées. Laure Cayla, technicienne à l'IFV-Centre du rosé, précise toutefois que « les résultats sont un peu biaisés car nos essais ont été réalisés en conditions expérimentales, avec une hygiène optimale, sans utilisation de pompes, ni de manches, qui favorisent les prises d'oxygène ».
Quoi qu'il en soit, sur le plan global, la réduction de moitié du sulfitage a eu des conséquences analytiques modestes. Les composés aromatiques du vin ont été peu affectés (à l'exception des thiols sur le sauvignon et le grenache rosé), et les populations de micro-organismes sont équivalentes à la référence.
Sur le plan sensoriel, le profil des vins demeure toujours dans l'espace convenu, même si de légères différences apparaissent sur vins jeunes, avec parfois une moindre intensité aromatique, un profil un peu moins réduit et une moins bonne tenue dans le temps. Pour Frédéric Charrier, « la démarche "demi-dose" fonctionne et peut être transposée dans les caves ».
Voici le détail des résultats obtenus sur les vins primeurs dans le Beaujolais, sur les rosés en Provence et sur les effervescents en Champagne.
Beaujolais nouveau. Zéro sulfitage en préfermentaire
Bertrand Chatelet, directeur de la Sicarex et chercheur à l'IFV du Beaujolais, a conduit des essais sur du gamay destiné au beaujolais nouveau. « Cette situation est un peu particulière car ces vinifications demandent toujours peu de soufre », commente-t-il. Le premier sulfitage n'intervient souvent qu'après la FML car les durées de cuvaison sont courtes et les macérations préfermentaires à chaud protègent le vin. Après la malo, les vins sont généralement sulfités entre 25 et 30 mg/l, puis réajustés à 25 mg/l de SO2 libre à la mise en bouteille.
« Nous partions donc d'un niveau bas, ce qui ne nous a pas facilité la tâche pour réduire nos sulfitages de 50 %, indique Bertrand Chatelet. Selon les millésimes, nous sommes néanmoins parvenus à n'ajouter qu'entre 20 et 30 mg/l de SO2. Ces vins n'ont subi ni modification de leur profil sensoriel ni développement de micro-organismes. »
Pour Bertrand Chatelet, « l'important est d'adapter l'itinéraire technique au millésime. Par exemple, en 2014, de l'encuvage à la mise en bouteille, nous n'avons apporté que 15 à 25 mg/l de SO2. Nous n'avons rien fait à la mise en bouteille, mis à part maîtriser l'oxygénation et la teneur en CO2 dissous. Nous avons pris cette décision après la dégustation, compte tenu de la bonne structure du vin et de sa tenue à l'air ».
Rosé de Provence. La syrah plus robuste que le grenache
« Sur le rosé, peu de vignerons vinifient sans ou avec peu de SO2. La mode est en effet aux vins frais, fruités et de couleur franche. Toute perte aromatique ou brunissement est sanctionné », souligne Laure Cayla, technicienne à l'IFV-Centre du rosé, dans le Var.
Cependant, il est possible de moins sulfiter tout en obtenant des vins conformes à la demande. Le Centre du rosé a fait des essais sur des rosés de pressurage de quatre cépages : le grenache et le cinsault, reconnus comme sensibles à l'oxygène, et la syrah et le mourvèdre, cépages plus résistants car présentant de meilleurs équilibres en polyphénols.
Pour Laure Cayla, « une bonne stratégie est de raisonner le sulfitage en fonction des cépages, par exemple protéger moins la syrah et le mourvèdre. Dans notre région, en préfermentaire, une dose classique est de l'ordre de 5 g/hl, et de même en fin de FA. Sur la syrah ou le mourvèdre, si l'état sanitaire est bon, on peut raisonnablement descendre à 2 g/hl en préfermentaire et à 3 ou 4 g/hl en fin de FA. À l'assemblage, on aura finalement des valeurs de SO2 réduites ».
Pour la technicienne, le plus important est de surveiller la température durant la conservation des vins et de limiter les prises d'oxygène à tous moments.
Lors de ses essais, Laure Cayla a appliqué le protocole. Elle a réduit par deux le sulfitage de tous les cépages. Elle a obtenu des rosés qui ont évolué plus rapidement. Un an après la mise en bouteille, ils portaient des notes de fruits compotés et leur couleur avait viré vers des nuances orangées. En revanche, les mêmes vins dégustés deux mois après le conditionnement se sont révélés plus ouverts et plus expressifs que les témoins sulfités normalement. La consommation des vins à teneur réduite en sulfites doit donc être rapide. Le vigneron doit également réfléchir aux conditions de stockage et de transport que les vins vont subir.
En revanche, le Centre du rosé n'a jamais constaté de déviation microbiologique, ni de piqûres acétiques, mais les vinifications ont eu lieu dans des conditions d'hygiène optimales. Seule une augmentation de l'acidité volatile a été mesurée en 2012, année où l'état sanitaire des raisins était moyen. Le vin est néanmoins resté marchand.
Champagne. Plus d'arômes floraux et fruités
Les vins de Champagne contiennent en général entre 60 et 90 mg/l de SO2 total. Ce sont des valeurs raisonnables, sachant que la teneur maximale autorisée est de 185 mg/l. Cependant, on peut encore descendre plus bas.
Michel Valade, du CIVC, a travaillé sur du chardonnay et du pinot noir. En 2009, il a testé la « demi-dose », en sulfitant à hauteur de 3,5 à 4 g/hl au pressoir, contre 7 à 8 g/hl en temps normal, puis en divisant par deux les quantités de SO2 apportées aux autres étapes de la vinification et au dégorgement. Les FA ont démarré plus vite et les FML se sont achevées plus tôt. En 2009, avant le dégorgement (après 36 mois passés sur lattes), le CIVC a ainsi obtenu des chardonnays contenant 16 mg/l de SO2 total et des pinots à 10 mg/l. Il n'a pas déploré d'impact sur le plan analytique.
À la dégustation avant tirage, le vin de base sulfité à dose « normale » est jugé fermé, réduit, alors que le lot « demi-dose » est caractérisé par des notes florales et fruitées. La différence est davantage marquée sur le pinot noir que sur le chardonnay. Sur lattes, après 15 et 36 mois de tirage, la demi-dose est encore jugée plus ouverte et plus fruitée par l'ensemble des dégustateurs. De même, le lot sulfité à la dose normale reste noté comme fermé.
À la suite de ces observations, le CIVC préconise un sulfitage plus faible au pressoir, de 4 à 6 g/hl, en fonction de l'état sanitaire du raisin, et un réajustement postfermentaire limité à 10-15 mg/l de SO2. Ces pratiques conduisent à l'élaboration de vins de base contenant entre 20 et 30 mg/l de SO2 total. Pour y parvenir, plusieurs conditions doivent être respectées, parmi lesquelles une hygiène parfaite, des ensemencements contrôlés avec des levures et des bactéries lyophilisées, une correction des prises d'oxygène exagérées tout au long du process grâce à la désoxygénation, et un inertage permanent des vins.
L'IFV est actuellement en train de compiler l'ensemble des résultats. L'utilisation du glutathion et la réduction des expositions à l'oxygène lors du conditionnement sont également étudiées comme des alternatives au sulfitage.