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VIN - Interview

AXEL MARCHAL, MAÎTRE DE CONFÉRENCES À L'ISVV DE BORDEAUX « La souche de levure, facteur de sucrosité »

PROPOS RECUEILLIS PAR MARION BAZIREAU - La vigne - n°273 - mars 2015 - page 50

En 2010, ce chercheur a découvert le rôle édulcorant d'une protéine levurienne et de molécules issues du bois de chêne. Depuis, il a démontré un effet de la souche de levure. Il fait le point sur la sucrosité sans sucres.
AXEL MARCHAL, MAÎTRE DE CONFÉRENCES À L'ISVV DE BORDEAUX © L. WANGERMEZ

AXEL MARCHAL, MAÎTRE DE CONFÉRENCES À L'ISVV DE BORDEAUX © L. WANGERMEZ

Quelles molécules, autres que le glucose et le fructose, connaît-on pour apporter une saveur sucrée aux vins ?

Axel Marchal : En 2010, grâce à l'utilisation simultanée de techniques de biologie moléculaire et d'analyse sensorielle, nous avons noté que la protéine levurienne Hsp12, de résistance au choc thermique, amplifie la sensation de sucrosité dans les vins secs lors de l'autolyse des levures. Elle libère alors des peptides de saveur sucrée. De même, nous avons mis en évidence l'existence d'édulcorants dans le bois de chêne, les QTT ou quercotriterpénosides.

La souche de levure employée lors de la fermentation joue-t-elle un rôle ?

A. M. : Elle semble effectivement avoir une influence importante sur la sucrosité des vins. Nous avons réalisé des fermentations à partir de huit levures et avons observé de nettes différences selon la souche employée. C'est chez la Zymaflore VL3 que le gène correspondant à la protéine Hsp12 s'est le plus exprimé.

Dans un second temps, nous avons ajouté de la biomasse levurienne [des lies, NDLR] de ces huit souches à un vin rouge sec. Puis nous l'avons chauffé à 30 °C pendant dix jours, pour favoriser l'autolyse des levures. Un panel de dix-huit dégustateurs experts a jugé la sucrosité de ces huit modalités. Il a confirmé les résultats obtenus lors de la fermentation alcoolique : la Zymaflore VL3 a conféré une sucrosité plus marquée. Ceci confirme bien l'effet souche.

En revanche, la température ne semble pas avoir d'influence significative sur la saveur sucrée. Pour l'affirmer, nous avons conduit des fermentations sur vin blanc et sur vin rouge, entre 18 et 31 °C. Si sur du vin blanc, la synthèse de la protéine Hsp12 augmente avec la température, ce n'est pas le cas sur le rouge.

Avez-vous étudié d'autres paramètres, tels que le débourbage des blancs ou les remontages sur vin rouge ?

A. M. : Non. Mais il est peu probable qu'ils aient un impact, sauf dans le cadre de valeurs extrêmes de turbidité induisant des difficultés fermentaires, ce qui n'est pas souhaitable.

La macération postfermentaire a-t-elle une influence sur la saveur sucrée des rouges ?

A. M. : De manière empirique, nous avons observé que les macérations post-fermentaires à chaud (autour de 30 °C) s'accompagnent d'une augmentation de la saveur sucrée. Nous pensons qu'au cours de cette phase, la protéine Hsp12 est libérée puis lysée pour donner des peptides, dont un ou plusieurs possèdent un goût sucré. Il faudra les identifier et les quantifier pour évaluer l'importance des conditions de la macération postfermentaires (durée, température) sur l'intensité du goût sucré.

Qu'en est-il de l'élevage des blancs sur lies ?

A. M. : Nous ne disposons aujourd'hui que de la dégustation pour étudier l'effet de l'élevage sur lies sur la sucrosité. Nous n'avons pas encore fait d'essais mais il est fort vraisemblable que la protéine Hsp12 soit libérée à partir des lies des blancs, sur une période beaucoup plus longue que pour les rouges, car l'élevage, donc l'autolyse, se fait à plus basse température.

Comment l'élevage sous bois augmente-t-il la sucrosité ?

A. M. : Le bois de chêne libère naturellement des QTT, à la saveur sucrée. Aujourd'hui, nous dénombrons six de ces édulcorants, dont quatre ont un fort pouvoir sucrant (les isomères d'une molécule composée d'un sucre et d'un acide gallique, soit les QTT I, II, III et VI).

Toutes les essences de chênes sucrent-elles autant ?

A. M. : Non. Malgré une variabilité interindividuelle importante, nous avons pu déterminer que le chêne sessile contient, en moyenne, 80 fois plus de QTT que le chêne pédonculé.

Ce dernier est, quant à lui, reconnu comme plus riche en ellagitanins. Généralement, le chêne sessile est davantage utilisé pour l'élevage des vins - peut-être est-ce en raison de son aptitude à conférer un goût sucré ? - alors que le pédonculé est répandu dans l'univers des spiritueux. Reste le problème de la traçabilité : dans la nature, les deux espèces sont souvent mélangées et difficiles à identifier. Beaucoup de barriques contiennent du chêne sessile et du chêne pédonculé.

Vaut-il mieux élever les vins en barriques ou avec des alternatives (copeaux, staves) ?

A. M. : Nous n'avons effectué les essais que sur barriques. Mais nous supposons que les alternatives aux barriques contiennent les mêmes QTT, avec le même effet lié à l'espèce. En revanche, dans le cas des copeaux ou des staves, la traçabilité sur l'origine du chêne est encore plus délicate. Ce qu'il est essentiel de prendre en compte, c'est l'intensité de la chauffe du bois. Plus la chauffe est importante, plus les teneurs en QTT diminuent. En outre, une barrique neuve aura un plus fort pouvoir sucrant qu'une barrique de deux ou trois ans.

L'oxygène a-t-il un impact sur la sucrosité des vins ?

A. M. : Les QTT ne semblent pas affectés par l'oxydation. Nous avons ainsi analysé une verticale de vingt millésimes d'un même cru, en dosant chimiquement les QTT. Nous avons constaté des teneurs similaires dans les différents vins, ce qui tend à montrer que ces composés sont stables dans le temps. Nous avons également dosé le lyonirésinol, responsable de l'amertume, et obtenu des résultats comparables.

Y a-t-il d'autres molécules responsables de la saveur sucrée ?

A. M. : Nous sommes convaincus qu'il y en a dans les raisins. Car le phénomène de sucrosité sans sucres est particulièrement remarquable chez certains cépages. Une thèse est en cours sur ce sujet. En revanche, et bien que des études prétendent le contraire, l'éthanol et le glycérol ne peuvent expliquer les différences de sucrosité perçues dans les vins secs. Nous l'avons démontré en ajoutant des quantités croissantes d'éthanol et de glycérol à un vin rouge sec, sans que les dégustateurs ne perçoivent de différences. De même, les polysaccharides n'ont pas d'effet significatif sur la sucrosité « sans sucre », pas plus que les nucléotides. Des essais australiens et bourguignons l'ont démontré il y a quelques années. Enfin, les composés volatils issus du bois de chêne, du type vanilline ou whisky-lactone, n'ont pas non plus de pouvoir sucrant, malgré le fait que leurs descripteurs aromatiques soient généralement associés à des goûts sucrés dans l'alimentation.

Que conseillez-vous aux viticulteurs qui souhaitent gagner en sucrosité ?

A. M. : J'aimerais pouvoir vous répondre mais, hélas, nous n'avons pas de recette miracle. De nombreuses recherches sont en cours, parmi lesquelles l'identification de tous les composés responsables de la saveur sucrée des vins secs. À l'heure actuelle, les seules pistes à privilégier sont le choix de la levure, la macération postfermentaire des rouges, l'élevage sur lies des blancs et l'utilisation du chêne sessile tout en évitant les fortes chauffes. Il faut penser à l'équilibre général du vin et ne pas chercher à tout prix à gagner en sucrosité, la qualité d'un vin résultant avant tout de l'harmonie des odeurs et des saveurs.

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