L'histoire n'a pas retenu son nom. Pourtant, il fut extrêmement généreux avec ses contemporains. Daniel Iffla naît à Bordeaux le 23 juillet 1825 d'un modeste commis-marchand juif. II fréquente l'école israélite de garçons, puis le lycée Turgot, à Paris. Il aurait fait les foires, vendu des cravates... avant de travailler à la Bourse pour un agent de change, tout en oeuvrant habilement pour son propre compte. Il spécule et édifie ainsi rapidement sa fortune.
À l'âge de 35 ans, ses gains lui permettent d'être rentier. L'histoire est belle, mais c'est oublier le terrible drame qui l'a frappé quelques années auparavant. Alors âgé de 30 ans, il épouse en juillet 1855 Léonie Carlier, qui meurt en octobre de la même année en accouchant de jumeaux qui ne survivront pas.
Philanthrope, patriote, républicain, Daniel Iffla consacrera alors son immense fortune au mécénat et à la bienfaisance. Parallèlement, il tient à se faire appeler Osiris, dieu de la mythologie égyptienne, par ailleurs associé au dieu du Vin, Bacchus ou Dionysos. Pourquoi ce patronyme ? Cela reste à jamais une énigme. Mais il a tenu à l'imposer jusqu'à obtenir un décret impérial, le 24 août 1861, l'autorisant à le porter. Un nouveau nom qui lui valut beaucoup de sarcasmes, d'autant qu'il souhaitait que celui-ci soit associé à ses innombrables donations.
En 1876, apprenant que le château La Tour Blanche, à Bommes, en Gironde - premier grand cru classé de sauternes en 1855 -, risque de passer dans des mains étrangères, il s'en porte acquéreur. « Il investit dans cette vigne et s'efforce d'en développer la qualité jusqu'à sa mort. Il aimait y séjourner quelques semaines d'automne, lors des vendanges, mais ne buvait presque pas de vin », indique Dominique Jarassé, auteur d'un livre à son sujet.
Le château compte alors 65 hectares dont 35 de vignes. En 1887, Daniel Iffla Osiris est promu chevalier du Mérite agricole en tant que « viticulteur qui a considérablement concouru à l'amélioration de la culture de la vigne, à la replantation des endroits phylloxérés » et comme titulaire d'une « grande médaille d'or à l'Exposition universelle de 1878 ». En 1900, il fait savoir qu'à sa mort, il léguera à l'État ce fleuron de la viticulture bordelaise, mais sous certaines conditions : « Dans ce vignoble, l'État donnera un enseignement pratique, populaire et gratuit, de viticulture et de vinification. La propriété portera en façade ces mots : "Donation Osiris, propriété de l'État". Le vin du vignoble sera appelé : cru Osiris. » L'école ouvrira en 1911, soit trois ans après sa mort.
En 1896, il achète le château de Malmaison, demeure impériale à l'abandon, situé dans les Hauts-de-Seine, le restaure, puis l'offre à l'État. « Osiris opère toujours un subtil mélange entre intérêts personnels et patriotisme », relève Dominique Jarassé. Outre l'État français, la liste des bénéficiaires de ses largesses est très longue : des villes (Paris, Bordeaux, Nancy, etc.) et de nombreuses institutions de charité y figurent, mais aussi huit synagogues bien qu'il ait été toute sa vie en conflit avec le consistoire israélite.
« Je veux disposer de mes biens en faveur d'oeuvres utiles », indique-t-il dans l'une des versions de son testament. « Sa motivation profonde tient à son désir de transmettre un ensemble de valeurs, tout en rêvant d'y attacher son nom », analyse Dominique Jarassé.
Osiris meurt en février 1907. La dernière version de son testament fait d'une fondation privée, l'institut Pasteur, son légataire universel. Osiris admirait le savant. C'est le legs le plus important que l'institut ait jamais reçu : 46 millions de francs or. Bordeaux n'est pas en reste : elle hérite de deux millions de francs or « pour créer un asile de jour, installé sur un bateau », destiné « aux ouvriers âgés et indigents des deux sexes ». Ce « bateau-soupe », comme il sera appelé, fonctionnera de 1913 à 1940. Aujourd'hui, la ville vient de nommer l'une de ses rues Daniel Iffla Osiris. Un hommage bien tardif.
Quant au château La Tour blanche, il compte 70 ha dont 40 de vignes. S'il n'a pas respecté le voeu du donateur d'appeler ses vins « cru Osiris », il héberge toujours une école de viticulture et d'oenologie. Chaque année, environ 160 élèves y suivent les enseignements du BEPA, du baccalauréat professionnel vigne et vin et du BTSA viticulture-oenologie.
Bibliographie : Osiris, mécène juif, nationaliste français, de Dominique Jarassé, aux éditions EDD.