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Magazine - Etranger

Crète L'essor d'un nouveau modèle

ÉVELYNE MALNIC - La vigne - n°273 - mars 2015 - page 88

Quelque 6 000 agriculteurs cultivent les 7 800 ha de cette île grecque. La majorité vend sa récolte à des wineries ou à des coops. Mais des domaines récents se créent sur un autre modèle.
UN VIGNOBLE AU PARCELLAIRE MORCELÉ planté sur des terrains pentus rend difficile la mécanisation. Ainsi, il n'y a pas de machine à vendanger sur l'île.

UN VIGNOBLE AU PARCELLAIRE MORCELÉ planté sur des terrains pentus rend difficile la mécanisation. Ainsi, il n'y a pas de machine à vendanger sur l'île.

UN PROCÉDÉ ORIGINAL D'ARROSAGE constitué de conduites suspendues et d'un système de goutte- à-goutte  permet de cibler précisément les pieds de vignes. ©  É. MALNIC

UN PROCÉDÉ ORIGINAL D'ARROSAGE constitué de conduites suspendues et d'un système de goutte- à-goutte permet de cibler précisément les pieds de vignes. © É. MALNIC

LES VIGNES SONT PLANTÉES de 100 à 900 m d'altitude. Les vendanges s'étalent ainsi sur plus d'un mois pour un même cépage. © É. MALNIC

LES VIGNES SONT PLANTÉES de 100 à 900 m d'altitude. Les vendanges s'étalent ainsi sur plus d'un mois pour un même cépage. © É. MALNIC

L'ASSOCIATION WINES OF CRETE, présidée par Nicolas Miliarakis et réunissant la majorité des vinificateurs de l'île, a créé une route des vins pour valoriser les produits auprès des touristes. © YANNIS FAIS

L'ASSOCIATION WINES OF CRETE, présidée par Nicolas Miliarakis et réunissant la majorité des vinificateurs de l'île, a créé une route des vins pour valoriser les produits auprès des touristes. © YANNIS FAIS

LA QUASI-ABSENCE DE MALADIES de la vigne sur l'île permet au monastère de Toplou de pratiquer une viticulture certifiée bio. © É. MALNIC

LA QUASI-ABSENCE DE MALADIES de la vigne sur l'île permet au monastère de Toplou de pratiquer une viticulture certifiée bio. © É. MALNIC

DE NOUVEAUX-VENUS se lancent dans la culture du vin, comme Stelios Zacharioudakis (ci-dessus). © É. MALNIC

DE NOUVEAUX-VENUS se lancent dans la culture du vin, comme Stelios Zacharioudakis (ci-dessus). © É. MALNIC

DE NOUVEAUX-VENUS se lancent dans la culture du vin, comme Stelios Zacharioudakis. En 2003, il crée avec sa femme un domaine de 20 ha, bénéficiant d'un chai moderne (ci-dessus) et d'une salle de dégustation. Pour un gain de qualité du vin, il procède lui-même à la mise en bouteilles. © É. MALNIC

DE NOUVEAUX-VENUS se lancent dans la culture du vin, comme Stelios Zacharioudakis. En 2003, il crée avec sa femme un domaine de 20 ha, bénéficiant d'un chai moderne (ci-dessus) et d'une salle de dégustation. Pour un gain de qualité du vin, il procède lui-même à la mise en bouteilles. © É. MALNIC

D'un côté, la quasi-absence de maladies : pas de botrytis, de rarissimes attaques de mildiou - une fois par décennie - et quelques cas d'oïdium. « Un ou deux passages par an de cuivre ou de soufre suffisent, les produits chimiques sont inutiles. On peut dire que tout le vignoble est cultivé en bio », témoigne Manolis Stafilakis, oenologue du monastère de Toplou, à l'est de l'île près de Sitia, un des rares domaines certifiés bio (Bio Hellas).

De l'autre côté, un cruel manque d'eau. « Les vignes souffrent de stress hydrique. L'irrigation est une ardente nécessité. Mais avec quelle eau ? », s'interroge Dimitris Tsoupeis, responsable de la vinification au domaine Alexakis, la plus grande cave privée de l'île avec son million de bouteilles produites par an.

Dans un souci de préservation des ressources en eau, la Crète a mis au point, dès les années 1980, un système original et unique d'arrosage à l'aide de gouttes à gouttes à hauteur d'homme. Un procédé qui permet d'apporter de façon très ciblée 30 à 50 l d'eau par pied trois fois au cours de l'été, et seulement quand la plante en a vraiment besoin.

« Les conduites suspendues sont moins attaquées par les rongeurs que celles au sol, explique Manolis Stafilakis. Et leurs détériorations sont plus faciles à repérer. Nous pouvons aussi travailler le sol à tout moment, afin de limiter le développement des mauvaises herbes qui absorbent l'eau si précieuse pour la vigne. »

Mais la sécheresse qui gagne l'île n'est pas le seul handicap. Les vignes sont implantées sur des pentes escarpées qui s'étagent de 100 à 900 mètres. De ce fait, les vendanges s'échelonnent sur plus d'un mois pour un même cépage, de mi-août à début octobre pour la syrah, par exemple.

Le vignoble est aussi extrêmement morcelé, avec des parcelles souvent inférieures à 10 ares. Les vendanges manuelles sont de rigueur. Pas de machines à vendanger sur l'île !

De telles conditions occasionnent des frais importants pour la récolte et le transport. D'autant que, en Crète, l'essentiel des vignes est cultivé par de petits exploitants : plus de 6 000 pour 7 800 ha de vignoble, avec des parcelles allant de 0,3 à 0,5 ha... Ainsi, un domaine de 3 hectares, constitue déjà une exploitation importante et elles sont rares. Presque tous vendent leurs raisins à des wineries, comme Alexakis, ou à des coopératives.

Dans ce contexte très traditionnel, on ne s'étonnera pas que l'encépagement le soit tout autant. L'origine de la plupart des cépages se perd dans l'Antiquité. En rouge, les Crétois cultivent principalement le kotsifali, très fruité, le mantilari, particulièrement tannique, et le liatiko, un peu considéré comme le merlot local. En blanc, on trouve le vilana, la star de l'île, aux légers parfums d'agrume, le vidiano, aux arômes abricotés, souvent comparé au viognier, et la malvasia di Candia, cépage à l'origine de vins secs et de vins doux naturels. Sans oublier le plyto, récemment sauvé de l'extinction.

Les cépages internationaux, eux, représentent près de 30 % de l'encépagement. Certains domaines, comme l'historique Manousakis Winery-Nostos Wines (près de La Canée, à l'ouest), s'y sont entièrement convertis et ne proposent que roussane, marsanne, cabernet, merlot ou syrah. Mais la plupart du temps, ces nouveaux venus coexistent avec les variétés autochtones.

C'est le cas au domaine Zacharioudakis, fondé en 2003, à 50 km au sud de la capitale, Héraklion, par l'ex-journaliste Stelios Zacharioudakis. Ici, le sauvignon côtoie le vidiano. Et le cabernet-sauvignon, le merlot et la syrah composent, avec le kostifali, la cuvée de prestige Orthi Petra. Stelios Zacharioudakis et sa femme Victoria ont monté de toutes pièces ce domaine de 20 ha, avec chai ultramoderne et salle de dégustation surplombant la vallée de Messara, l'ancien Gortyne - là où Zeus, dit-on, enleva Europe, la fille du roi de Tyr. L'ensemble aura nécessité un investissement de 5 millions d'euros dont 1 million d'aides européennes.

Ce domaine illustre la nouvelle génération de vignerons de l'île qui développent la mise en bouteilles à la propriété. Lassés des mauvais crus qui alimentent la consommation locale, notamment les hôtels « all inclusive », ces nouveaux producteurs cherchent à s'imposer face aux caves coopératives toujours dominantes (Peza Union, Agrunion). Mettant l'accent sur la qualité, ils cherchent à maîtriser leur approvisionnement. À cette fin, ils achètent des vignes ou concluent des contrats d'exclusivité avec les viticulteurs.

Pour mieux structurer la production, une association des vins de Crète a été créée, Wines of Crete, présidée par Nicolas Miliarakis - qui regroupe la quasi-totalité des vinificateurs de l'île - une trentaine -, des petits domaines aux caves coopératives. À son actif : la création d'une route des vins balisée, associée à un label de qualité « Open Wineries », qui parcourt les routes sinueuses d'ouest en est et du nord au sud, longeant les oliveraies et les vignes accrochées au flanc des montagnes.

Forte de sa montée en gamme, la Crète lorgne vers de nouveaux débouchés, avec une présence accrue sur les salons, financée en partie par des fonds européens. À l'extérieur, elle vise les restaurants américains ou européens. Localement, elle espère séduire les nouveaux consommateurs, les bars à vins et les cavistes, qui commencent à se développer, les hôtels de luxe et les restaurants gastronomiques. Première étape d'une reconquête annoncée.

Le réveil d'un vignoble millénaire

L'histoire des vins de Crète remonte au moins à la civilisation minoenne (2 700 à 1 200 ans avant notre ère). Des fouilles ont mis en évidence d'anciens pressoirs datant de cette époque. Jusqu'à la fin du Moyen Âge, les vins s'exportent autour de la Méditerranée et jusqu'au Nord de l'Europe. L'occupation ottomane (1669-1913) met fin à la culture de la vigne. Elle repart, mais dans les années 1970-1980, le phylloxéra atteint la Crète. Les vignerons doivent arracher et replanter sur des porte-greffes - 140 RU, 1103 P, 110 R et 41 B -, résistants à la sécheresse et au calcaire. Aujourd'hui, la belle endormie se réveille. Longue de 256 km et large de 60 km au maximum, la Crète produit du rouge (65 %), du blanc et des vins liquoreux. S'inspirant de la législation française, quatre appellations ont été créées en 1971, trois pour la région d'Héraklion - Pezza, Arhanès, Dafnès - et une à l'Est, Sitia. Elles représentent 15 % de la production, le reste se partageant à part égale entre IGP Crète et vins sans IG. Avec quelque 2 millions de bouteilles, la Crète représente 10 % des vins grecs. 70 % sont destinés au marché local, 15 % à la Grèce et 15 % à l'exportation.

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