Expression de la qualité des grands vins de garde, le bouquet de vieillissement n'avait jamais été décrit scientifiquement. C'est chose faite pour les vins rouges de Bordeaux. Stéphanie Marchand, maître de conférences à l'ISVV (Institut des sciences de la vigne et du vin), et Magali Picard, doctorante, ont demandé à des experts les termes qui définissent le mieux ce bouquet (lire encadré). À l'issue de ce travail, il ressort une palette composée, entre autres, de notes de sous-bois, truffe, épices, fruits noirs et rouges frais, réglisse, menthe et grillé.
Désormais, l'ISVV recherche les molécules aromatiques correspondant à ces nuances. Pour le moment, il s'est concentré sur les caractères truffé, empyreumatique (fumé, grillé, toasté) et fruité. « Nous avons réalisé des dosages sur 30 grands crus parmi des millésimes de 1995 à 2005 », explique Stéphanie Marchand.
Un bouquet de réduction. Les chercheuses y ont trouvé de nombreux composés aromatiques soufrés, signe que le bouquet de vieillissement est lié à la réduction. Parmi ces éléments, elles ont dosé 23 hétérocycles aromatiques soufrés et/ou azotés, du DMS (sulfure de diméthyl) et quatre thiols volatils (dont le 3-sulfanyhexanol et le furaneméthanethiol). Les hétérocycles sont impliqués dans les caractères toasté et noisette grillée. Le DMS est connu pour apporter des arômes de truffe et révéler le fruité. Les thiols volatils jouent un rôle dans le caractère fruité, et grillé-fumé.
En outre, l'ISVV a découvert la tabanone en 2012. Il est le premier à la détecter dans les vins. Comme son nom le suggère, celle-ci est responsable des notes de tabac et de boîte à cigares. « Pour certains composés, nous avons trouvé des quantités significativement plus importantes dans les vins pourvus d'un bouquet de vieillissement. » Ainsi, le DMS se trouve à des doses presque trois fois supérieures dans une sélection de vins au bouquet typique (133 µg/l en moyenne) par rapport aux vins atypiques (50 µg/l en moyenne).
Le rôle de facteurs oenologiques et viticoles a été étudié en parallèle. Ainsi, la quantité de DMS dans les vins est dépendante de la teneur en azote des moûts, les levures de fermentation assimilant la molécule en cas de carence azotée. « Lors d'un essai, nous avons constaté qu'un moût contenant moins de 200 mg/l d'azote assimilable affecte sérieusement le DMS révélé dans le vin vieilli », détaille Stéphanie Marchand.
En 2012, le laboratoire Nyséos avait montré qu'une faible contrainte hydrique après véraison favorise la synthèse du DMS.
La contrainte hydrique favoriserait également la tabanone. Pour le prouver, l'ISVV s'est appuyé sur des microvinifications réalisées tous les ans pendant dix ans avec du cabernet-sauvignon, du merlot et du cabernet franc provenant de trois types de sols aux régimes hydriques différents. « La tabanone serait favorisée par un stress hydrique modéré », constate Stéphanie Marchand.
Cette étude confirme la carte des grands terroirs de Bordeaux. En effet, le bouquet de vieillissement se développe surtout dans les vins issus de terroirs bien alimentés en azote et engendrant une contrainte hydrique suffisante, tel que le plateau calcaire de Saint-Émilion. Côté élevage, la barrique est pour Stéphanie Marchand un passage nécessaire, du moins pour ce qui est des bordeaux, car « dans d'autres régions, comme la Champagne, des bouquets se développent sans élevage en barrique, avec d'autres profils sensoriels ». Pour déguster un vieux bordeaux, il est conseillé d'ouvrir la bouteille avant le service. Mieux vaut ne pas la décanter car une aération trop poussée nuirait au bouquet, des composés comme le DMS étant très volatils.
157 experts pour un bouquet
Pour définir le bouquet de vieillissement, l'ISVV a mis sur pied une méthode associant la description verbale et l'analyse sensorielle. L'équipe de Stéphanie Marchand, Sophie Tempère et Gilles de Revel a d'abord questionné 144 professionnels au sujet de la notion de bouquet de vieillissement. Puis, à dix mois d'intervalle, un panel de treize professionnels experts a dégusté deux séries de bordeaux rouges, âgés de 10 à 20 ans, issus de la rive gauche (graves, médoc) et de la rive droite (saint-émilion, pomerol). Ces experts ont noté la typicité des vins. Ils ont dû ensuite associer des descripteurs aromatiques aux vins jugés les plus typiques. Les caractères les plus fréquents et les plus partagés ont été retenus comme définissant le bouquet de vieillissement.