« Geiz ist geil ! » En français : « C'est bon l'avarice ». Ce slogan, imaginé il y a quelques années par un publicitaire allemand pour inciter ses compatriotes à acheter des produits à bas prix, n'est plus d'actualité. Tous les opérateurs français en font le constat.
La guerre des prix entre les distributeurs semble passée. Les enseignes s'éloignent des produits « pas bons, pas chers ». Lidl en tête. « Cette année, ce distributeur nous demande des vins sur mesure jusqu'à 3 € HT départ cave, alors qu'il y a deux ans, on ne décollait pas de 1,60 € le col », indique Jean-Michel Chavrier, responsable de l'export des Caves de Rauzan, en Gironde.
« Cette tendance a commencé l'année dernière. Les distributeurs sont venus nous demander des vins à vendre entre 5 et 15 € au prix consommateur, ce qui était inimaginable il y a trois ans, se réjouit Eva Jung, responsable de l'exportation chez Cheval Quancard, négociant à Bordeaux. Les supermarchés vont vers les marques pour la promesse de qualité et l'image de tradition qu'elles transmettent. Aujourd'hui, ils sont prêts à payer. »
Ces distributeurs répondent à leurs clients qui consentent à dépenser plus pour s'offrir de bonnes bouteilles. « Les Allemands sont prêts à consommer des produits quotidiens de qualité », constate Jean-Pierre Houssel, chef du pôle Agrotech de Business France à Düsseldorf. Ils veulent profiter de la croissance de leur économie (+ 1,5 % en 2014, autant cette année selon les prévisions), de la consolidation de leur pouvoir d'achat et du recul du chômage.
Voilà qui explique l'évolution de nos exportations de vins vers l'Allemagne. L'an dernier, celles-ci ont fait un bond en valeur (+ 8,4 % par rapport à 2013) alors qu'elles sont restées stables en volume (+0,2 %). Notre voisin, premier importateur de vin au monde en volume, est notre premier marché en volume, avec 26 millions de caisses de douze bouteilles achetées l'an dernier, soit 18 % de nos exportations. Et c'est notre troisième client en valeur, avec 769 M€, derrière les États-Unis et le Royaume-Uni.
La hausse de la valeur entre 2014 et 2013 profite à la plupart des AOP. Dominique Toillon, analyste senior au service économique d'Inter Rhône, parle d'un bouleversement. « On a totalement changé de circuit. Entre 2000 et 2005, nous étions en hard discount à 1,70 € TTC le col. De 2005 à 2014, les cavistes ont augmenté leur part de marché. Aujourd'hui, seuls 10 % des vins de la vallée du Rhône sont vendus en GMS. » Qui plus est, les crus sont de plus en plus de demandés. « Les côtes-du-rhône font encore la moitié du volume, mais les vacqueyras et les gigondas progressent. Désormais, les Allemands sont prêts à mettre 15 à 20 € pour ce type de vin. »
Export manager au Civa, l'interprofession des vins d'Alsace, Foulques Aulagnon dresse un constat similaire. « On arrive à la fin d'un cycle. Pendant longtemps, l'Alsace vendait de l'edelzwicker en grande quantité pour des valeurs faibles. Désormais, les Allemands apprécient nos pinots blancs, nos rieslings et nos grands crus. » Pour lui aussi, c'est clair, les Allemands boivent mieux et prennent plus de plaisir à table.
Pour Bordeaux, l'Allemagne est le deuxième marché à l'exportation derrière la Chine, avec 14 % en volume et 9 % en valeur tous vins confondus. 2013 était une très petite récolte de faible notoriété. « La baisse des ventes s'est fait sentir sur tous nos marchés européens, explique le Civb. - 25 % au Royaume-Uni, -2 % en Belgique, -2 % aux États-Unis. Seuls les Allemands ont maintenu leurs achats, ils ont montré leur fidélité. »
La Champagne aussi se frotte les mains. Alors que les Allemands sont les plus gros consommateurs de mousseux au monde, les exportations de la région ont progressé de 2 % en volume, à 12,6 millions de bouteilles, et de 6,6 % en valeur à 194,7 millions d'euros. « Le troisième pays du Champagne hors de France retrouve ainsi des niveaux atteints dix années plus tôt », annonce le CIVC, l'interprofession.
L'Allemagne est un pays de connaisseurs qui apprécient le vin en tant que tel, contrairement aux pays émergents où le vin véhicule un statut social. Selon une étude de Wine Intelligence/Inter Rhône, sur 67 millions d'adultes, 45 millions boivent du vin et 28 millions sont des consommateurs réguliers. Et sur les 12 millions d'entre eux qui achètent chez les cavistes, 8,7 millions (72 %) boivent français.
L'Allemagne est aussi un pays de vignerons dont les efforts en faveur de la qualité et l'imagination dans le domaine du marketing sont pour beaucoup dans la récente valorisation du vin. C'est en tout cas l'avis de Jean-Michel Chavrier : « De grands producteurs, comme Markus Schneider ou Thomas Hensel, vendent leurs entrées de gamme 7 € le col. À ce prix-là, ils éduquent leurs consommateurs. » N'empêche, les Allemands ne considèrent toujours pas le vin comme un achat prioritaire : à leurs yeux, les voitures et les voyages passent avant.
Le Point de vue de
« Je vis en Allemagne depuis 1991. J'ai créé Vin sur Vin Diffusion en 2003 qui importe des vins français exclusivement. Je vends entre 450 000 et 500 000 bouteilles par an, à un prix moyen de 12 € HT. Au début des années 1990, les vins français étaient les rois. Et il n'y avait qu'une quinzaine de vignerons allemands réputés. Aujourd'hui, beaucoup émergent avec de jolis rieslings et pinots noirs. Ils sont dynamiques. Les jeunes sommeliers les apprécient. Par conséquent, sur les cartes de vins, 70 % des vins sont allemands et 30 % sont étrangers ! Les vins espagnols, australiens, portugais ou sud-africains suscitent plus d'intérêt que les vins français qui ont une image poussiéreuse contre laquelle je me bats tous les jours. Les Français ne sont pas assez flexibles, ni assez disponibles, que ce soit pour réaliser des étiquettes spéciales ou animer des soirées. Ils ont sous-estimé le marché allemand, alors que les Allemands les respectaient. Ces derniers s'en sont aperçus. Aujourd'hui, ils célèbrent moins la culture française. Certes, l'évolution des prix de nos vins est encourageante. Mais attendons-nous à vendre moins dans les années à venir. »