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Comment surmonter une période difficile en trésorerie

AUDE LUTUN - La vigne - n°274 - avril 2015 - page 74

Le printemps et le début de l'été sont généralement des périodes où la trésorerie des exploitations viticoles se trouve tendue. Voici les conseils de deux experts et d'un banquier pour passer au mieux ce cap difficile.

1. Vérifier les fondamentaux de son entreprise

Cette étape consiste à étudier la capacité de votre exploitation à dégager des résultats, ainsi que ses capacités d'autofinancement et de financement. Elle permettra de comprendre si les difficultés sont d'ordre conjoncturel ou structurel. « Il faut chercher l'origine des difficultés, précise Nathalie Brassart, conseillère de gestion chez CERFrance Saône-et-Loire. Cela peut être un aléa climatique, mais aussi des investissements autofinancés ou encore des prélèvements privés trop importants. D'une manière générale, les viticulteurs ne suivent pas d'assez près leurs coûts de production. Ils ont tendance à trop se focaliser sur le prix d'achat de leurs intrants. C'est important, mais il faut aussi regarder les autres paramètres constitutifs des coûts de production pour déceler un éventuel dérapage. S'il s'avère qu'on ne peut pas les réduire, il faut essayer de réajuster son prix de vente. »

Les comptables conseillent de calculer des prévisionnels les plus précis possibles sur les entrées et les sorties prévues dans les mois à venir. C'est aussi le moment de recontacter tous les clients qui tardent à payer leur facture.

2. Rencontrer son banquier

« En cas de problèmes de trésorerie, la première démarche à faire, c'est d'aller voir son banquier, préconise Nathalie Brassart. Mais le rapport de confiance avec son banquier, il faut l'avoir établi en amont des difficultés ! Le climat de confiance passe avant tout par la transparence. Il faut l'informer de vos difficultés et respecter vos engagements ainsi que les délais. »

Les conseillers de gestion rappellent qu'ils peuvent accompagner les viticulteurs quand ils ont rendez-vous avec la banque, munis d'un prévisionnel de trésorerie d'un an.

3. Réviser son endettement

« Beaucoup d'entreprises ne connaissent pas leur potentiel d'endettement à court terme, estime Jean-Marc Pousin, consultant chez CERFrance Poitou-Charentes. Les exploitations s'habituent souvent à devenir banquier d'elles-mêmes. Solliciter un complément de prêt à court terme n'est pas un réflexe naturel. Or, des financements adéquats sont suffisants dans de nombreuses situations. »

En cas de difficulté, il est conseillé de rencontrer son banquier pour ouvrir ou augmenter une ligne de crédit, qui regroupe généralement un crédit à court terme et une ouverture de crédit (ou autorisation de découvert). Une ligne de crédit de 100 000 euros peut, par exemple, comprendre une ouverture de crédit de 20 000 euros et 80 000 euros d'autorisation de crédits à court terme, avec un déblocage par tranche selon le souhait de l'emprunteur.

La deuxième stratégie consiste à restructurer - ou à consolider - son endettement. Cela se traduit par une demande de transformation d'un prêt à court terme en prêt à moyen ou long terme. Ou encore de solliciter un différé de remboursement si plusieurs prêts arrivent à échéance dans l'année ou les deux ans à venir. « Les banques sont parfois réticentes à accorder un prêt à court terme lorsque l'on réalise une consolidation, précise Jean-Marc Pousin. Or, il faut si possible transformer une partie de l'endettement à court terme en un financement à moyen ou long terme tout en conservant la ligne de crédit existante. »

4. Négocier des délais de règlements

Il est possible de négocier un délai de règlement avec ses fournisseurs ou avec la Mutalité sociale agricole (MSA). Pour la MSA, il est impératif d'effectuer une demande écrite préalable et d'avoir son accord. La MSA met alors en place un nouvel échéancier des paiements. L'exploitant peut également demander l'annulation des pénalités de retard. La remise peut être partielle, totale ou nulle selon la situation et l'historique de l'exploitant. Par ailleurs, les coopératives peuvent attribuer un prêt à leurs adhérents ou leur faire une avance sur acompte.

5. Mobiliser son épargne privée

« Tout entrepreneur doit, en permanence, anticiper une situation difficile, conseille Jean-Marc Pousin. Il doit être en veille. On n'est jamais sûr du lendemain quand on gère une entreprise, et encore moins quand son activité dépend des conditions climatiques. Se constituer un trésor de guerre doit être une obsession. » Mobiliser ses placements montre que l'on croit dans son entreprise. Cela permet aussi de négocier avec la banque : « Je fais une partie du chemin, êtes-vous d'accord pour faire l'autre partie ? »

6. Générer de la trésorerie par restructuration patrimoniale

Il est aussi possible de procéder à une restructuration patrimoniale en refinançant un bien libre d'endettement. Le principe de cette opération consiste à vendre un bien à une société dont les associés sont les propriétaires des biens cédés. Il s'agit souvent de biens immobiliers ou fonciers qui sont revendus à une SCI ou à un GFA. « Prenez un couple qui détient un appartement valant 100 000 euros, sur lequel il n'y a plus d'emprunt, et qui génère un revenu de 6 000 euros brut par an, illustre Jean-Marc Pousin. Ce couple créé une SCI avec ses enfants majeurs et vend l'appartement à cette SCI. La SCI emprunte 100 000 euros sur vingt ans à un taux de 2 %, ce qui lui fait une annuité de remboursement d'environ 6 000 euros, soit l'équivalent des revenus locatifs. Le couple récupère les 100 000 euros pour consolider la trésorerie de son exploitation. » Comme le souligne Jean-Marc Pousin, cette opération se pratique de plus en plus car les taux sont bas : « Cela permet également de tout restructurer et de revisiter son endettement existant. »

NOS PROS VOUS RÉPONDENT

NATHALIE BRASSART, conseillère de gestion chez CERFrance Saône-et-Loire

NATHALIE BRASSART, conseillère de gestion chez CERFrance Saône-et-Loire

JEAN-MARC POUSIN, consultant chez CERFrance Poitou-Charentes

JEAN-MARC POUSIN, consultant chez CERFrance Poitou-Charentes

Le Point de vue de

TRISTAN LAMY, DIRECTEUR DES ENTREPRISES, DE L'AGRICULTURE ET DE LA BANQUE PRIVÉE CRÉDIT AGRICOLE CHAMPAGNE-BOURGOGNE

« Rencontrez votre banquier le plus tôt possible »

« Le premier conseil que je donnerais à un viticulteur qui connaît des difficultés de trésorerie est d'en parler à sa banque le plus tôt possible. C'est important pour la confiance et c'est en anticipant que l'on trouve la meilleure réponse, car on a alors accès à un panel d'outils plus large. Il faut être transparent sur l'origine des difficultés et sur leur ampleur. Dans la plupart des cas, les problèmes de trésorerie sont assez faciles à résoudre. On peut procéder à une ouverture de crédit, proposer un prêt à court terme ou moyen terme, ou faire une pause d'un an dans les remboursements. C'est intéressant d'avoir un prévisionnel de trésorerie sur un an. Cela permet d'avoir de la visibilité sur la santé financière de l'exploitation et sur sa capacité à payer ses fournisseurs et rembourser ses prêts. L'idéal est de mettre en place des actions préventives pour ne pas être en difficulté. Ces actions sont multiples. Il faut mettre de l'argent de côté les bonnes années. En effet, investir après une belle année pour payer moins d'impôts est intéressant sur le plan fiscal, mais pas forcément pour la pérennité de l'exploitation. On peut également souscrire à une assurance récolte ou une assurance grêle, qui permet de limiter les effets des graves intempéries. Et enfin, il est possible de faire appel à la famille (prêt familial, donation...) en cas de problème. C'est souvent la combinaison de plusieurs solutions qui permet de passer le cap difficile. »

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