Retour

imprimer l'article Imprimer

Magazine - Etranger

Kakhétie, le pays du vin fait maison

MARINE DUMEURGER - La vigne - n°274 - avril 2015 - page 88

Dans cette région de Géorgie, on vinifie le vin sans additif dans des amphores en terre. Certains le conservent longtemps sous marc. À l'arrivée, il y a souvent des surprises et toujours le plaisir du partage.
UNE VENDANGEUSE ramasse à la main les grappes de raisin en Kakhétie, une région où faire du vin est une tradition ancestrale. PHOTOS : A. FINISTRE

UNE VENDANGEUSE ramasse à la main les grappes de raisin en Kakhétie, une région où faire du vin est une tradition ancestrale. PHOTOS : A. FINISTRE

KUNCHOULA MEHEDLISHVILI, 80 ans, poursuit la tradition familiale de faire du vin et présente sa cave où les qvevris sont stockés.

KUNCHOULA MEHEDLISHVILI, 80 ans, poursuit la tradition familiale de faire du vin et présente sa cave où les qvevris sont stockés.

LE MUSÉE DES CAVES DE NAPAREULI, un des domaines les plus importants de Georgie en matière de vinification en qvevris, produit sa propre cuvée.

LE MUSÉE DES CAVES DE NAPAREULI, un des domaines les plus importants de Georgie en matière de vinification en qvevris, produit sa propre cuvée.

LES QVEVRIS, utilisés depuis des siècles en Géorgie, sont des jarres en argile enterrées dans le sol pour vinifier puis conserver le vin.

LES QVEVRIS, utilisés depuis des siècles en Géorgie, sont des jarres en argile enterrées dans le sol pour vinifier puis conserver le vin.

DANS LA RÉGION DE TSINANDALI, Merabi Mchedlishlivili installe un fouloir au dessus d'un de ses qvevris. Avec sa femme Neli, il en possède sept et un demi-hectare de vignes. Il produit dix hectolitres de vin par an.

DANS LA RÉGION DE TSINANDALI, Merabi Mchedlishlivili installe un fouloir au dessus d'un de ses qvevris. Avec sa femme Neli, il en possède sept et un demi-hectare de vignes. Il produit dix hectolitres de vin par an.

UN PRODUCTEUR PIGE UNE DE SES JARRES pour bien enfoncer le marc dans le moût. La macération dure souvent plusieurs semaines.

UN PRODUCTEUR PIGE UNE DE SES JARRES pour bien enfoncer le marc dans le moût. La macération dure souvent plusieurs semaines.

Nous sommes mi-septembre, en Géorgie, et plus précisément en Kakhétie, la principale région viticole. Ici, au pied du grand Caucase, pluies modérées et climat continental sont idéals pour la vigne.

Dans les jardins, les tonnelles débordent de raisins. Comme chaque année, les Géorgiens s'apprêtent à vendanger. Ils vendront leur récolte à des domaines ou produiront eux-mêmes ce fameux vin maison, dont ils sont si fiers. Classée au patrimoine de l'Unesco en 2013, leur méthode ancestrale de vinification perdure, quasi inchangée, depuis des siècles. Elle fait appel aux « qvevris », des jarres artisanales en terre cuite enterrées dans le sol pour vinifier puis conserver le vin.

Dans le petit village de Tsinandali Edemi, la famille Nikolaishvili possède 5 ha de vignes, principalement des cépages locaux, du rkatitseli en blanc et du saperavi en rouge. Chaque année, elle produit 15 000 litres de vin pour sa consommation et la vente directe. « Mon beau-père, mon mari, mon fils, tout l'entourage s'y met, raconte Chorena. Ce qui est très important, c'est de bien laver le qvevri avant les vendanges. »

C'est effectivement une étape cruciale. Avant la récolte, les membres de la famille nettoient les jarres avec de l'eau, jusqu'à ce qu'elle en ressorte claire. À la vendange, ils les remplissent de raisin écrasé, en grappes entières, sans éraflage. Pendant un mois, ils pigent régulièrement leurs amphores avec de longs bâtons en bois, pour assurer un bon déroulement de la fermentation.

Puis ils transvasent le vin dans des tonneaux, où il séjournera pendant plusieurs semaines. Enfin, ils le reverseront dans les amphores qu'ils scelleront grâce à un mortier de chaux pour sa conservation. Le moment est délicat : mal fermé, le vin s'oxyde. Car cette vinification se passe d'additif, y compris de soufre.

Quelques maisons plus loin, Kunchoula Mehedlishvili attend également les vendanges. Originaire de la Kakhétie, elle n'a jamais quitté sa région. Sa famille a toujours fait du vin. D'ailleurs, son prénom « Kunchoula » signifie en géorgien « grappe abondante ». À 80 ans, elle est veuve mais c'est son fils et sa famille qui viennent vinifier. Ici, les cépages sont les mêmes que chez les Nikolaishvili - rkatitseli en blanc et saperavi en rouge - mais la méthode diffère : pas de tonneau. Toute la vinification s'effectue dans les qvevris familiaux.

« On met le raisin dans la jarre. On mélange [on pige, NDLR] régulièrement pendant la fermentation, puis on transvase le vin d'un gros récipient vers un petit pour décuver. Une fois la fermentation achevée dans les petits qvevris, les poteries sont scellées et enterrées. » Au moment du décuvage, la famille récupère le marc pour faire de la chacha, la vodka géorgienne.

« Si les amphores sont de tailles différentes (jusqu'à 7 000 litres), leur forme et leurs proportions sont constantes », détaille Zurab Mirzikashvili, qui travaille au musée des Caves jumelles de Napareuli. C'est un des domaines les plus importants de Géorgie à vinifier en qvevris. Au total, il possède environ 130 jarres. C'est aussi un restaurant et un lieu de conférence sur cette méthode de vinification.

Zurab Mirzikashvili poursuit : « Le qvevri assure la fermentation et la maturation du vin. À l'intérieur, la température est stable. La vinification se fait naturellement. » Ici, on laisse d'abord fermenter pendant quelques semaines, en pigeant régulièrement le marc. Puis, une fois la fermentation achevée, on scelle pendant six mois environ, avant de décuver. Mais il n'existe pas de recette unique à ce vin maison. D'un propriétaire à l'autre, la méthode change, la différence concernant principalement le moment du décuvage, lequel peut avoir lieu dès la fin de la fermentation ou plusieurs mois après.

Zurab Mirzikashvili reprend : « Consommer du vin en qvevri, c'est une surprise à chaque fois. En fonction de la hauteur du vin dans l'amphore, de la terre environnante, son goût est différent. Avec cette méthode, on ne contrôle pas la fermentation. » En effet, l'oxydation et les déviations microbiennes se produisent souvent.

Hervé Romat, oenologue français chez Khareba, un domaine géorgien, n'est pas tout à fait d'accord. « Ce type de vin demande de l'attention et du sérieux. » Il a travaillé comme consultant dans de nombreux pays étrangers. « Il est important de savoir moderniser la tradition, poursuit-il. Il faut goûter les vins, les assembler et ne pas laisser le processus se dérouler à l'aveugle. »

Khareba possède quatorze jarres de 1 000 litres. « Pour le vin blanc, on laisse habituellement fermenter puis macérer pendant cinq mois avec le marc. Pour le vin rouge, on sépare après deux semaines de fermentation », détaille le manager, Vladimer Kublashvili. Au final, cela donne des vins plus colorés que nos vins occidentaux, avec des arômes plus « profonds » et plus « précis », selon les amateurs.

Ces vins surprenants attirent une clientèle occidentale à la recherche de nouveautés et de produits naturels. Mais ils restent surtout une spécialité maison, populaire et tout imprégnée de la tradition géorgienne. Difficile de traverser un village sans être invité à partager un verre.

Dans la région de Tsinandali, en Kakhétie, Merabi Mchedlishvili et sa femme Neli possèdent sept amphores, un demi-hectare de vignoble et un vieux pressoir, toujours en activité. Chaque année, ils produisent 1 000 l de vin. Ils le boivent en famille pour les mariages et les grands événements. « La dernière fois, c'était pour le mariage de notre fils, se souvient Neli. Nous avions enterré le qvevri à sa naissance et nous l'avons ouvert pour son mariage. » Il était resté plus de vingt ans dans le sol. « On s'est régalés. »

Le plaisir de festoyer

Depuis toujours, le vin fait partie intégrante de la culture géorgienne. S'il est bu tout au long de l'année, il est surtout consommé lors des banquets, animés par le maître de cérémonie ou « tamada » en géorgien. C'est le chef de table qui rythme le dîner par des toasts, véritables joutes oratoires. Il doit être un buveur sans faille, car le banquet peut durer plusieurs heures. Ainsi, au fil des verres, il boit à ceux qui sont là, à la rencontre, aux mères, aux femmes, à ceux qui ne sont plus là, à ceux qui auraient pu être là, à ceux qui auraient souhaité être là... Certains toasts suivent un ordre bien précis : le premier est dédié à celui qui invite, le septième à la mémoire des défunts. Et une règle s'impose : on ne coupe jamais la parole à un tamada.

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :