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éditorial

L'esprit des lois

PAR BERTRAND COLLARD, RÉDACTEUR EN CHEF DE LA VIGNE - La vigne - n°275 - mai 2015 - page 7

À l'heure où le nouveau système d'encadrement des plantations de vigne se met en place, la revue de l'Association américaine des économistes du vin nous invite à une plongée instructive dans l'histoire. Elle nous rappelle que l'interdiction de planter des vignes nouvelles en France date de Louis XV. Le roi avait pris cette décision en 1731 après trois bonnes récoltes qui avaient provoqué une chute des cours. Il avait généralisé une mesure déjà en vigueur dans quelques régions, dont la Guyenne qui comprenait la Gironde et la Dordogne. Depuis 1725, il était interdit d'y planter sans l'autorisation expresse du roi.

Montesquieu, le célèbre auteur de L'Esprit des lois, s'en était plaint au roi. Il possédait des vignes en Gironde et voulait prospérer. « D'autres que nous vont planter », a-t-il plaidé. Aujourd'hui, c'est le vignoble européen qui régresse alors que ceux du Nouveau Monde et de la Chine croissent.

Montesquieu n'a pas eu gain de cause. Le roi a interdit les plantations en France car « la trop grande abondance des vignes multiplie tellement la quantité des vins qu'ils en détruisent la valeur et la réputation dans beaucoup d'endroits ». Pour les auteurs de l'article, Giulia Meloni et Johan Swinnen, il est clair que Louis XV s'est rangé du côté des producteurs existants qui défendaient leurs revenus et leurs biens. Ils affirment que les gouvernements actuels en font autant. Ils retiennent aussi qu'une fois des restrictions instaurées, elles doivent s'appliquer à tout le monde. Au cours des années soixante-dix, la même chose s'est produite : la France a réussi à imposer le système des droits de plantation à l'Europe.

Ce système aurait dû prendre fin en 2018. En vertu de l'accord conclu en 2008 au conseil des ministres, la plantation de vignes aurait dû être libéralisée. Mais la France n'était pas mûre pour cela. L'histoire nous dit pourquoi. C'est la Révolution française, en 1789, qui a mis fin à l'interdiction de planter des vignes. Régime de liberté qui a duré cent cinquante ans sous l'effet de la demande des troupes napoléoniennes, des destructions provoquées par l'oïdium, le mildiou et le phylloxéra. Autant de circonstances exceptionnelles qui n'ont plus cours aujourd'hui.

Quant à Montesquieu, il a réussi à planter malgré tout. Heureusement pour nous. Les revenus qu'il a tirés de la vigne lui ont permis de voyager et de réfléchir librement. C'est ainsi qu'il a théorisé la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire dont nous nous félicitons. À l'inverse, le nouveau régime des autorisations de plantation a déjà mobilisé certains des meilleurs esprits... pour son administration.

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