« La contamination par les phytos lors des travaux en vert n'est pas prise en compte de façon formelle dans notre vignoble », constate Alain Viard, de la MSA de Loire-Atlantique. « Les pratiques changent lentement. Les consignes sont d'autant plus difficiles à transmettre que le risque n'est pas forcément identifié et que ces travaux sont souvent confiés à des intérimaires », ajoute Jérôme Simon de la MSA de la Marne.
La viticulture aurait donc des progrès à faire. Mais elle ne reste pas les bras croisés. De plus en plus de domaines s'attaquent au problème. Trois d'entre eux témoignent de leur expérience. Tous ont dû faire preuve de persévérance pour que leurs salariés prennent consience du risque de contamination par les produits phyto lorsqu'ils manipulent le feuillage. Ces contaminations sont en effet imperceptibles et peuvent se produire lors de l'épamprage, du relevage, de l'effeuillage et de l'éclaircissage. De tous les organes, les mains sont les plus exposées, puis les avant-bras, les bras, le torse et enfin le reste du corps. Pour limiter les risques, les viticulteurs insistent sur le respect des délais de rentrée après un traitement, sur le port de gants et l'hygiène des mains. Ils soulignent aussi les limites de la protection, car par temps chaud, les ouvriers préfèrent retirer leur vêtement pour respirer. Difficile de ne pas les comprendre.
Un guide utile
L'UIPP édite un guide des bonnes pratiques pour la sécurité des travailleurs en viticulture. Il fait suite au projet Safe Use Initiative au cours duquel le syndicat des firmes phytosanitaires et ses partenaires ont observé des salariés bordelais lors des travaux en vert. Ce guide décrit les risques d'exposition aux produits phyto lors des travaux manuels dans les vignes. Puis il donne les recommandations pour limiter ces risques : respect des délais de rentrée, port de gants et de vêtements couvrants, mise à disposition d'une réserve d'eau pour se laver les mains avant de manger, boire ou téléphoner...
Ce guide est téléchargeable gratuitement sur le site de l'UIPP.
Le Point de vue de
« Aucun salarié n'a été jusqu'à maintenant incommodé par les produits »
DENIS BLEE, DIRECTEUR VIGNOBLES ET CHAI, CHAMPAGNE BILLECART-SALMON, À MAREUIL-SUR-AY (MARNE), 75 HA
Nous effectuons des travaux manuels sur 75 ha répartis dans trois secteurs : côte des Blancs, montagne de Reims et vallée de la Marne. Trente-cinq salariés y participent. Pour cela, nous employons en majorité des salariés en CDI et des saisonniers. Aucun d'eux ne s'est jamais plaint de maux de tête ou d'irritations. Nous n'utilisons plus de produits classés CMR. Nous privilégions les produits les moins toxiques, les moins odorants et avec des délais de rentrée après le traitement de 6 ou 24 heures. Nous sommes très vigilants sur le respect de ces délais. Tous les matins, nous transmettons une fiche de travail aux chefs d'équipe afin qu'ils sachent dans quelles parcelles ils peuvent opérer. Pour qu'ils puissent se déplacer, nous mettons à leur disposition des minibus. À l'intérieur, il y a des housses jetables pour protéger les sièges, un jerrican d'eau et du savon pour que les salariés puissent se laver les mains. Chaque fin de semaine, nous leur demandons de nettoyer ces véhicules afin d'enlever les traces de produits sur le volant, le tableau de bord...
Dans chaque secteur, nous avons un bâtiment d'exploitation équipé de douches. Les salariés peuvent ainsi se laver et se changer avant de repartir chez eux.
Lors de l'ébourgonnage, du relevage et du palissage, nous leur fournissons des gants pour éviter les abrasions et les écorchures. Bien qu'ils ne soient pas en nitrile, ces gants peuvent aussi les protéger des reliquats de produits présents sur le feuillage. Lors du palissage, ils ne les portent en général pas car avec la chaleur c'est inconfortable et ils perdent en dextérité.
Comme tous les ans, nous avons organisé fin mars une réunion d'information pour nos salariés à laquelle étaient conviés la MSA, la médecine du travail et un distributeur de produits phytosanitaires. On nous a alors expliqué que pour certains nouveaux produits, l'homologation impose aux personnes qui effectuent les travaux en vert le port de gants et d'une combinaison de travail avec traitement déperlant. En pleine chaleur, c'est impossible à porter. On rentre alors dans un autre registre : la pénibilité du travail. Si les normes deviennent trop draconniennes, on va perdre nos salariés.
Le Point de vue de
« J'insiste sur le respect du délai de rentrée après un traitement »
AXEL JOUBERT, GÉRANT DU CHÂTEAU DE RAOUSSET, À CHIROUBLES (RHÔNE), 36 HA
Nous employons un salarié à plein-temps et deux saisonniers lors des travaux en vert. Nous avons également deux métayers. Et, nous travaillons avec un prestataire de service pour les travaux en vert et la taille. Notre salarié permanent et les métayers ont passé leur certificat individuel (certiphyto). L'organisme qui les a formés a abordé le risque de contamination par les produits phyto lors des travaux en vert. Ce risque, nous en tenions déjà compte. Lors de l'élaboration des programmes de traitement, à coût et efficacité équivalents, nous essayons de privilégier les produits les moins dangereux pour la santé avec, notamment, des délais de rentrée ne dépassant pas 6 h. Ce n'est pas toujours évident car cela limite l'offre. Nous utilisons aussi des produits avec un délai de rentrée de 24 h. Nous appliquons ainsi des cuivres avec 6 h de délai et d'autres, avec 24 h. Comme nous avons beaucoup de parcelles, cela ne complique pas l'organisation des travaux. Nous essayons d'éviter les produits à 24 h et n'employons pas ceux dont les délais sont supérieurs.
Le respect du délai de rentrée après un traitement est de mieux en mieux connu par nos salariés permanents et nous informons les saisonniers sur ce point. Avant le démarrage des travaux, nous leur expliquons systématiquement l'importance de bien les respecter. S'ils ont un doute, nous leur demandons de vérifier auprès du responsable des traitements s'ils peuvent intervenir dans telle ou telle parcelle. Nous leur proposons également des gants jetables. Bien que le délai de rentrée soit respecté, il peut y avoir des traces de produit sur le feuillage. Certains les mettent, d'autres pas. Généralement, le matin, ça ne pose pas de problème. Mais l'après-midi, quand il fait chaud, les gants deviennent inconfortables et les salariés les retirent. Certaines années, pour éviter les heures chaudes, nous démarrons dès qu'il fait jour. Par ailleurs, nous mettons toujours une petite réserve d'eau dans le véhicule d'exploitation que les salariés conduisent pour aller d'une parcelle à l'autre. Ils peuvent ainsi se laver les mains avant de boire ou de manger. Nous mettons également une douche à leur disposition et nous leur conseillons d'apporter des vêtements de rechange.
Le Point de vue de
« Il a fallu montrer les risques pour bien faire accepter le port de gants »
PHILIPPE DUCOURT, CHEF DE CULTURE DES VIGNOBLES DUCOURT, À LADAUX (GIRONDE), 440 HA
Nous employons 45 salariés, la majorité en CDI et nous faisons appel à des prestataires pour quelques travaux. L'hiver, nous élaborons les programmes prévisionnels de traitement. Dans la mesure du possible, nous choisissons des produits non classés dont les délais de rentrée sont les plus courts. Nous avons ainsi éliminé tous les produits contenant du mancozèbe et du folpel. Chaque début de campagne, nous organisons une réunion d'information avec tout le personnel. Nous leur présentons tous les produits qui seront appliqués et leur rappelons les conseils de prévention.
Nous leur demandons de porter des gants et des vêtements qui couvrent les bras et les jambes pour les travaux en vert, et ce quel que soit le produit qui a été appliqué. Ces consignes sont difficiles à faire passer car quand il fait 25 °C ou plus, on a envie de se mettre bras nu. Le risque n'est pas visible. Hormis les insecticides, les produits n'ont pas d'odeur. Les travailleurs ne mesurent donc pas le danger.
On a fait des tests avec des colorants dans le cadre du projet Safe Use Initiative. Cela a marqué les esprits. Lorsque les travailleurs ont vu qu'ils avaient du produit sur la peau, ils ont pris conscience du risque de contamination. Depuis, ils font plus attention. Avec eux, on a alors testé plusieurs types de gants et de vêtements. Ils ont opté pour des gants très tactiles imperméables au niveau de la paume mais respirant sur le dessus. Ces gants épousent bien la forme de la main. Ils permettent de manipuler les agrafes sans difficulté. Le port de ces gants est bien rentré dans les moeurs. Dès qu'ils sont usés, les salariés nous en réclament d'autres. Nous leur en fournissons ainsi quatre à cinq paires par an.
On a également testé des combinaisons. Mais pour les travaux en vert, ce n'est pas supportable. Nous avons donc essayé d'autres vêtements que l'on trouve dans les magasins de sport. Nous avons notamment utilisé un haut qui couvre les bras mais avec des filets dans le dos et sur les côtés. Il est supportable et nos salariés le portent régulièrement. Nous avons aussi testé plusieurs pantalons, mais les ouvriers préfèrent mettre le leur. En tout état de cause, lorsqu'il fait vraiment chaud, ils se remettent en tee-shirt et en short. Dans ce cas, on leur rappelle les consignes. Pour qu'ils puissent se déplacer d'une parcelle à l'autre, nous mettons à leur disposition un véhicule dans lequel il y a un bidon lave-main et du papier pour qu'ils puissent s'essuyer. Ils peuvent y laisser leurs vêtements souillés. Ainsi, ils ne contaminent pas leur voiture personnelle.