Quelles sont les étapes clés ?
Laurence Geny-Denis, maître de conférences à l'ISVV de Bordeaux, estime que le nombre d'inflorescences par bourgeon détermine la moitié du rendement à venir. On peut l'évaluer avant la taille. Pour cela, on réalise des coupes de bourgeons latents et on compte les ébauches d'inflorescences. « S'il y en a peu, il est alors possible de laisser plus de bourgeons à l'hectare, à condition que la vigueur des ceps soit suffisante pour les nourrir », ajoute-t-elle.
Les étapes où se joue le rendement varient selon les régions. « En zone méditerranéenne, le facteur limitant est souvent le stress hydrique. Sur la façade atlantique, ce sont plutôt les conditions climatiques pendant la floraison », note Cornélis Van Leeuwen, professeur de viticulture à Bordeaux Sciences Agro. L'évolution des modes de conduite peut aussi intervenir. « La concurrence trop forte de l'enherbement, par exemple, provoque un déficit d'azote si les apports ne sont pas réajustés. »
Quand se forment les inflorescences ?
Les inflorescences, qui donneront les grappes, se forment au sein des bourgeons latents, l'année précédant leur apparition. Trois étapes se succèdent alors : l'induction, l'initiation et la différenciation, conduisant toutes à la formation des ébauches d'inflorescences. Ce processus s'étale sur deux mois, en mai, juin ou juillet, suivant les cépages et les régions. Il se produit parallèlement à la floraison. « Le cep doit assurer en même temps la formation des fleurs de l'année et celle des inflorescences de l'année à venir », fait remarquer Laurence Geny-Denis.
Qu'est-ce qui détermine leur nombre ?
Le nombre d'inflorescences par bourgeon varie de un à deux, parfois trois. Il dépend du cépage ainsi que du rang d'insertion du bourgeon sur le rameau. « Ceux qui sont situés près du tronc sont moins fertiles », rappelle Cornélis Van Leeuwen. Plus on s'éloigne du tronc, plus la fertilité augmente, et ce jusqu'au dixième bourgeon. Ensuite, la fertilité diminue à nouveau. D'où l'intérêt de la taille longue par rapport à la taille courte lorsqu'on cherche du rendement.
L'éclairement des bourgeons stimule la formation des inflorescences. En revanche « un fort stress hydrique en fin de printemps et début d'été réduit le nombre d'inflorescences », précise Anne Pellegrino, de Montpellier Sup Agro. Les éléments minéraux doivent assurer une croissance régulière. « Si la plante manque d'azote, elle nourrit en priorité les pousses de l'année et réduit le nombre de futures grappes », souligne Laurence Geny-Denis. L'excès d'azote aboutit au même résultat, car la croissance excessive de la végétation mobilise alors trop fortement les nutriments au détriment des inflorescences. Les bourgeons latents entrent en dormance l'hiver. À cette période, c'est surtout le vigneron, au travers de la taille, qui va agir sur le rendement en déterminant le nombre d'yeux à laisser par hectare. Le gel peut aussi réduire le potentiel.
Et le nombre de fleurs ?
Le nombre de fleurs dépend du cépage et des conditions climatiques. La ramification des inflorescences s'achève et la formation des fleurs commence après le débourrement. Cela prend plusieurs semaines. Les températures basses, proches de 12 ou 13 °C, survenant juste après le débourrement favorisent l'élaboration d'un nombre élevé de fleurs par inflorescence. La nutrition conditionne aussi la fertilité. « La vigne ne doit pas manquer de sucres à cette période, sinon elle réduit le nombre de ses fleurs. Lorsque celles-ci ne se forment pas du tout, l'inflorescence restée vide se transforme en vrille, c'est ce qu'on appelle le filage », explique Laurence Geny-Denis. Ce phénomène se produit aussi lorsque la température est trop élevée ou la croissance de la végétation excessive.
De quoi dépend le bon déroulement de la floraison ?
À nouveau du climat et de la nutrition de la vigne. Une fois achevées, les fleurs s'ouvrent. « L'optimum de température pour la floraison se situe entre 20 et 25 °C. La croissance des étamines doit être suffisamment forte pour pousser mécaniquement le capuchon floral et provoquer l'éjection du pollen. Le temps doit aussi être sec pour éviter que ce capuchon reste collé par l'humidité », détaille Laurence Geny-Denis. La pluie perturbe la germination du pollen, ce qui réduit le nombre de fécondations réussies et donc de futures baies.
Le cuivre peut également bloquer la germination du pollen. De ce fait, mieux vaut éviter de traiter avec de la bouillie bordelaise durant la floraison. « Mais si la situation l'impose, il est quand même possible d'utiliser ce fongicide car il y a tellement de pollen que le nombre de ceux qui germent est rarement un facteur limitant de la fécondation », ajoute Laurence Geny-Denis. Le bore, lui, favorise l'ouverture des fleurs. « En apporter peut donner un coup de pouce. Mais s'il pleut et qu'il fait 12 °C, cela ne changera rien au résultat. »
Les fleurs donnent-elles toutes des baies ?
Non. Seules les fleurs fécondées donnent des baies. « Le taux de nouaison, c'est-à-dire de fleurs fécondées, n'est jamais de 100 %. Il y a une régulation naturelle de la charge en fonction des conditions de l'année. On ne parle de coulure qu'au-delà de 30 % de fleurs perdues », souligne Laurence Geny-Denis. Cet accident physiologique peut être dû à un manque de sucres ou d'azote qui perturbe la formation des organes floraux, ou encore à de mauvaises conditions climatiques à la floraison.
Une fois fécondées, les fleurs peuvent encore chuter. « S'il fait très sec en avril et mai, cela favorise l'accumulation d'hormones freinant la croissance. Il pourra alors y avoir de la coulure après la floraison même si les conditions ont été favorables à ce stade », note Laurence Geny-Denis. La formation des baies commence par une phase de division cellulaire qui peut aussi être stoppée par un stress hydrique ou un pic de chaleur. Les baies restent alors toutes petites, c'est le millerandage.
Qu'est-ce qui conditionne le poids des baies ?
De nombreux facteurs. Le nombre de pépins en est un. Les pépins vont de un à quatre par baie. Or, ils sécrètent des hormones de croissance. Pour un cépage donné, plus ils sont nombreux, plus les baies grossissent. « Le nombre de pépins dépend de la qualité de la fécondation », souligne Cornélis Van Leeuwen. Le poids des baies est également lié à la nutrition de la vigne. « Les cellules des baies se multiplient et s'agrandissent jusqu'à la fermeture de la grappe. Durant toute cette étape, le manque d'azote est un facteur limitant du poids final des baies. Ensuite, leur grossissement est dû surtout de l'accumulation de l'eau et des sucres dans la pulpe », explique Laurence Geny-Denis. Les sucres manquent rarement, sauf si la surface foliaire a été réduite brutalement par la grêle, par exemple. « Le manque d'eau ou d'azote, par contre, peuvent être des facteurs limitants, favorables à la qualité s'ils restent modérés », rappelle Cornélis Van Leeuwen.
Quel est le rôle des réserves ?
Elles assurent la nutrition de la vigne du débourrement jusqu'au déploiement des feuilles, qui permet le démarrage de la photosynthèse. Le basculement entre ces deux modes de nutrition est progressif. « Il intervient au moment où les fleurs se forment. Si les réserves manquent, la vigne réduit leur nombre, ce qui provoque de la coulure », note Christophe Clément, de l'Université de Reims. « Les cépages qui ont besoin plus longtemps de réserve, comme le merlot, sont plus sensibles à cet accident », souligne Anne Pellegrino. Dès que la photosynthèse démarre, la vigne recommence à stocker des sucres pour l'année suivante. « Si les réserves en cours de reconstitution sont trop faibles, la vigne forme moins d'inflorescences pour l'année à venir », ajoute Christophe Clément.