Fredrik Filliatreau, viticulteur au château de Chaintres, au coeur du vignoble de Saumur-Champigny, est un pionnier. Il y a une dizaine d'années, il a réimplanté à deux endroits 250 m de haies autour de ses vignes. Son but : créer un maillage pour favoriser la biodiversité et augmenter la faune auxiliaire. Il a installé la première haie au bord d'une jeune parcelle tout en longueur, parallèlement aux rangs de vigne et le long d'un chemin. La deuxième a été plantée, perpendiculaire aux rangs de vigne, en contrebas d'une parcelle en coteau, située au-dessus d'un site troglodyte. Depuis, Fredrik se félicite de son initiative.
« La première haie est située sur un lieu de passage. Elle nous sert à communiquer sur nos pratiques en faveur de la biodiversité. La deuxième stabilise un talus qui présentait un risque d'affaissement. Elle nous a aussi permis de résoudre des problèmes d'érosion que nous avions systématiquement après de grosses pluies », indique le viticulteur.
Ces haies lui demandent peu d'entretien. « À la fin de l'hiver ou au début du printemps, je passe avec une épareuse pour les écimer à 1,5 m de haut. C'est tout. Je fais ce travail une fois par an, quand je trouve le temps. Je ne veux pas que les haies dépassent 1,5 à 2 m de haut afin qu'elles ne gênent pas la vigne. » Pour obtenir ce résultat, les premières années, il pouvait se contenter de tailler les arbustes les plus hauts avec une cisaille à main. Mais dès lors que ses haies se sont développées, il a dû employer l'épareuse.
En Gironde, le château Anthonic, à Moulis-en-Médoc, a planté 500 mètres de haies il y a six à sept ans. Là aussi, elles demandent peu d'entretien. « Les premières haies que nous avons plantées font 1,5 m de haut, rapporte Jean-Bernard Despatures, le directeur technique. Pour la première fois l'an passé, nous avons dû utiliser l'épareuse début septembre pour les maintenir étroites et pour qu'elles restent à hauteur d'homme. Pour cette opération, nous avons fait appel à une entreprise, celle-là même qui entretient nos fossés. »
Pour Jean-Pierre Vazart, viticulteur à Chouilly, en Champagne (Marne), qui a planté 600 m de haies en 2007, « certaines espèces ne sont pas très vigoureuses, elles sont donc faciles à gérer. J'ai un ami agriculteur qui passe un petit coup d'épareuse une fois par an afin que la haie ne prenne pas trop de volume. Elle doit embellir le paysage tout en étant "cultivée". Il ne faut pas la laisser à l'abandon ».
Ainsi contenues, les haies ne concurrencent pas la vigne, pas même le rang qui se trouve à proximité immédiate. Elles ne lui portent pas d'ombre. Elles n'entretiennent pas d'humidité excessive. Pas plus qu'elles n'aggravent la pression de mildiou ou d'oïdium. « Je n'ai pas vu de différence », indique Jean-Pierre Vazart. Pour lui, l'implantation d'une haie ne présente que des aspects positifs. « C'est un plus pour le paysage », assure-t-il. « Visuellement, on remarque qu'il y a plus d'insectes, d'oiseaux, de reptiles... », rapporte Jean-Bernard Despatures, qui ne constate pas non plus d'impact négatif sur ses vignes.
La plantation reste cependant délicate. Si l'entretien des haies demande peu de travail, la plantation exige une préparation soigneuse du sol puis de bien surveiller les jeunes plants pour s'assurer d'une bonne reprise. « Si on plante en période sèche, il faut arroser les plants. Puis, l'année suivante, il faut remplacer ceux qui n'ont pas repris. Il est également nécessaire d'entretenir le sol avec une binette pour que les herbes, et surtout les ronces, n'étouffent pas les jeunes pieds », rapporte Fredrik Filliatreau. Jean-Bernard Despatures confirme : « Il faut arroser les plants la première année et éventuellement la deuxième pour qu'ils reprennent bien et que leur système racinaire s'implante correctement. » Bien entendu, avant de planter, il faut aussi penser au passage des engins. « Lorsqu'on prévoit une haie sur une tournière, six mètres au moins doivent séparer la vigne de la haie pour pouvoir manoeuvrer en sortie de rang. Si la distance est inférieure, cela devient plus délicat », note Jean-Bernard Despatures. Une distance minimale que confirment les autres viticulteurs.
« Il ne faut surtout pas apporter d'espèces provenant d'ailleurs qui peuvent se montrer invasives. Il faut aussi éviter celles qui attirent les parasites de la vigne », indique Jean-Bernard Despatures. Il s'est appuyé sur l'association Arbres et Paysages 33 qui lui a conseillé un mélange de quinze à vingt espèces : saule, orme, aubépine, noisetier... Les autres vignerons que nous avons interrogés, ont eux aussi choisi des essences locales, suivant les conseils habituellement diffusés.
« Au départ, implanter une haie près de la vigne peut faire peur aux viticulteurs. En réalité, il n'y a rien de contraignant », conclut Fredrik Filliatreau.
Haies : une interdiction de taille
Dans le cadre de la conditionnalité des aides de la nouvelle Pac 2015, la taille des haies est interdite entre le 1er avril et le 31 juillet. En cas de non-respect de cette règle, l'agriculteur s'expose à une réfaction de 3 % des aides perçues au titre de la Pac, comme les aides à la restructuration, à l'agriculture biologique ou à l'assurance multirisques-récolte. La Fédération nationale des entrepreneurs des territoires (FNEDT) condamne cette décision qui, selon elle, « oppose l'économie et l'emploi à l'environnement ». En effet, nombre d'agriculteurs font appel à des entreprises spécialisées pour entretenir leurs haies. Celles-ci ont beaucoup investi en personnel et en matériel pour répondre à la demande. Leur activité risque donc d'être sinistrée en 2015.
Le Point de vue de
PATRICK DUBOS, VITICULTEUR À LAGARDÈRE, DANS LE GERS, 40 HECTARES DE VIGNES
« Pour aller plus loin, j'expérimente l'agroforesterie »
« Quand j'ai repris le domaine, en 1991, il ne faisait que cinq hectares. Autour de chaque parcelle, il y avait déjà des haies. Je les ai préservées. Puis, chaque fois que j'ai planté une nouvelle parcelle, je l'ai bordée de haies et d'arbres. Au total, je dois donc avoir 5 km de haies de 2 à 5 m de haut. Cela nécessite beaucoup d'entretien. Deux fois par an, en juin et en août, je passe la rogneuse pour les écimer. Je suis équipé d'un modèle Ero avec lequel je peux aller jusqu'à 3,50 m de haut. Cette intervention bonifie les haies et les épaissit. Dans les plus hautes, tous les quatre à cinq ans, je fais intervenir une entreprise pour passer un coup de lamier. Ce matériel pratique des coupes franches, sans déchiqueter l'extrémité des rameaux.
Pour aller plus loin, j'expérimente l'agroforesterie avec l'association Arbre et Paysage 32, dans mes plantations nouvelles, car je crois en cette pratique qui consiste à planter des arbres dans les parcelles cultivées.
Dans une parcelle de 1,5 ha, j'ai planté trois rangées d'arbres, à raison d'une rangée tous les six rangs de vigne. J'ai mis une distance de 5,5 m entre la rangée d'arbres et les rangs de vigne. J'ai choisi du cormier, du poirier franc et de l'alisier, soit des espèces de taille moyenne qui ne dépassent pas 5 à 6 m. Je les ai plantées en laissant 8 m entre chaque pied. Ce sont des feuillus, le soleil passe donc au travers. Pour l'instant, ils n'empiètent pas sur la vigne et ne gênent pas le passage des engins. Mais, à l'avenir, ils risquent de concurrencer la vigne car ils se sont bien développés. Je vais donc devoir les tailler, ce que je trouve dommage.
J'ai également planté en 2012 et 2014 un hectare de chênes truffiers au milieu d'une parcelle de vigne très pentue de 12 ha. Le but de cette expérience : limiter l'érosion et améliorer le paysage. Résultats à suivre... »