Le risque d'un développement de Brettanomyces dans des barriques usagées mal nettoyées est bien connu. Lors de la Matinée des oenologues du 20 mars dernier à Gradignan (Gironde), Pascal Chatonnet, directeur du laboratoire Excell, situé à Mérignac (Gironde), a rappelé que ce risque existe aussi avec les barriques neuves, bien qu'il soit souvent oublié.
« Proportionnellement, il y a plus de contaminations en barriques usagées, mais ce n'est pas pour autant qu'il faut se croire à l'abri lorsque l'on élève dans du bois neuf », met-il en garde. En effet, si on compare une barrique usagée mais parfaitement nettoyée et désinfectée à une barrique neuve, cette dernière est plus propice au développement de la levure de contamination. « Et la problématique est la même pour les alternatives du type douelles ou copeaux. »
Le bois hors de cause
Heureusement, le phénomène est de mieux en mieux compris. Au cours d'essais conduits l'année dernière, Pascal Chatonnet a écarté la piste selon laquelle, en libérant des sucres, le bois neuf pouvait être une source de nutriments pour Brettanomyces (voir encadré ci-dessous). Certains professionnels avaient également émis l'hypothèse que les levures sont nichées dès le début dans les barriques neuves. Impossible, pour Pascal Chatonnet car « Brettanomyces ne fait aucunement partie de la microflore du bois. Et même si c'était le cas, elle ne pourrait pas résister aux températures auxquelles est soumis le bois durant sa chauffe ».
Plus de combinaisons
Les essais ont conclu que l'apparition du caractère phénolé des vins élevés en barriques neuves est due à une destruction rapide du SO2 libre, qui laisse le champ ouvert à Brettanomyces. En effet : « Dans des chais à la température assez élevée (supérieure à 17 °C-18 °C) et à l'air assez sec, si on entonne un vin avec 30 mg/l de SO2 libre dans une barrique neuve et dans une barrique usagée, on bénéficiera seulement d'un mois de protection dans la barrique neuve contre quatre mois dans la barrique usagée. Dans cette dernière, on aura encore 0,5 mg/l de SO2 moléculaire/actif, au bout de ces quatre mois, soit la valeur juste suffisante pour inhiber la multiplication de Brettanomyces. »
Pourquoi une telle différence ? D'abord, le potentiel oxydant d'une barrique neuve est plus grand que celui d'une barrique usagée. D'après Pascal Chatonnet, « ceci est dû aux ellagitanins, qui s'hydrolysent et s'oxydent, en entraînant le SO2 actif. Au bout d'un an, le bois a relargué environ la moitié de ses ellagitanins et au bout de trois ou quatre vins, on n'en retrouve plus du tout. Aujourd'hui, c'est un phénomène bien compris ». La consume est également plus importante en barrique neuve, durant les trois à six mois qui suivent l'entonnage, le temps que le bois s'humecte. De ce fait, l'oxygène y pénètre davantage et vient oxyder le SO2 libre.
Pour ne rien arranger, la microporosité du bois constitue un abri idéal pour les micro-organismes et les rend moins vulnérables au sulfitage. Enfin, Pascal Chatonnet précise que la chauffe des bois libère des acides cinnamiques, précurseurs d'éthyl-4-gaïacol (un des deux principaux phénols volatifs). Dans ces conditions, on comprend qu'il suffise d'entonner un vin contaminé par des Bretts pour que ces germes se développent allègrement.
Corriger le SO2 libre
Pascal Chatonnet conseille donc une vigilance accrue lors de l'élevage en barrique neuve. Il faut s'assurer que les vins qu'on veut élever ne sont pas contaminés. Il faut les ouiller régulièrement les six premiers mois, avec un vin que l'on a analysé pour s'assurer qu'il ne contaminera pas les fûts. L'expert recommande aussi des corrections du SO2 libre tous les deux mois, en visant un niveau minimum de 25 à 30 mg/l.
Nicolas Guichard, oenologue-conseil et gérant de Devineo, préconise, quant à lui, des valeurs comprises entre 0,4 mg/l de SO2 actif l'hiver et 0,6 mg/l quand la température se rapproche des 15 °C. Il précise néanmoins qu'il ne faut pas surdoser le SO2, ni en préfermentaire, ni durant l'élevage, pour ne pas engendrer de résistances de Brettanomyces. Sur le terrain, il a également constaté un effet selon les lots de barriques neuves (voir encadré).
Vigilance à l'entonnage
Tous les deux s'accordent sur le fait qu'il faut rester attentif à l'hygiène des tuyaux et corps de pompe, pour éviter les contaminations lors de l'entonnage. Ils ajoutent qu'il faut aussi nettoyer soigneusement ses barriques en fin d'élevage pour minimiser les risques lors de l'entonnage suivant.
Pour vérifier ce nettoyage, Inter Rhône vient d'ailleurs de mettre sur pied un outil particulièrement utile pour prélever un échantillon de douelle, le « barriscope », et un test pour mesurer la contamination du bois par Brettanomyces (voir encadré).
Les Bretts ne se nourrissent pas du bois
En 2014, le laboratoire Excell a cherché à vérifier si les sucres du bois de chêne étaient responsables du développement de Brettanomyces. La levure d'altération peut métaboliser différents sucres apportés par le bois frais et chauffé - le glucose ou le galactose -, mais aussi des diholosides et des anhydrides de sucres formés lors de la dégradation des hémicelluloses et de la cellulose. Pascal Chatonnet a donc ajouté des extraits de bois de chêne (chauffés ou non) à un milieu de culture simulant le vin. Il a ensuite ensemencé ce milieu en Brettanomyces à hauteur de 1 000 cellules/ml (le seuil de détection pour une observation microscopique).
Le laboratoire a constaté un développement plus faible des levures d'altération en présence de bois. « Ce développement est même d'autant plus faible que le bois est chauffé, ce qui démontre bien que les extractibles du bois ne représentent pas un facteur significatif de croissance de Brettanomyces », souligne Pascal Chatonnet.
Un effet selon les lots de fûts
L'origine du fût neuf est déterminante pour Nicolas Guichard, oenologue-conseil dans une quarantaine de propriétés du Bordelais et président de l'Association des oenologues de Bordeaux. En effet, il a souvent remarqué que « si on entonne un même vin dans des barriques neuves de différents fournisseurs, certains fûts vont développer un caractère phénolé alors que d'autres non. Il arrive de constater une déviation sur tout un lot de barriques. Le plus étonnant est que, d'un chai à l'autre, les barriques en cause changent. Et, chez un même fournisseur, l'origine du lot peut également faire la différence. » Il ne sait pas expliquer ce phénomène qu'il serait compliqué d'étudier car ces déviations sont imprévisibles. Mais il émet plusieurs hypothèses : des différences de porosité, de grain du bois et de perméabilité à l'oxygène.
Le « barriscope » d'Inter Rhône
C'est lors des Rencontres rhodaniennes, jeudi 2 avril, que Nicolas Richard, chargé de recherches à Inter Rhône, a fait la démonstration de son « barriscope », un outil fait maison qui simplifie les prélèvements de bois à l'intérieur d'une barrique. L'échantillon prélevé peut ensuite être analysé en vue d'y dénombrer les Bretts vivantes, mais aussi mortes, et à l'état viable non cultivable (VNC). Inter Rhône a en effet réussi à adapter la PCR quantitative (Quantitative Polymerase Chain Reaction) - habituellement utilisée sur le vin - au bois. Le vigneron va donc pouvoir connaître l'efficacité de sa procédure de nettoyage et vérifier l'hygiène de ses barriques avant un nouvel entonnage. Depuis plusieurs années, Nicolas Richard a réalisé une multitude de carottages de barriques. Pour se simplifier la tâche, il a eu l'idée de fixer une fraise à encastrer au bout d'une canne en Inox de 70 cm de long. C'est le « barriscope ». Il fixe cette longue mèche sur une perceuse, puis la passe par le trou de bonde pour prélever très rapidement un disque de bois de la taille d'une pièce de 2 € et de 2,5 mm d'épaisseur. Le médaillon de bois ainsi récolté est ensuite placé dans une solution hydro-alcoolique simulant le vin (pH de 4 et environ 11 % vol. alc.) pour ne pas stresser les Bretts. Après 24 heures, la solution peut être analysée par PCR quantitative. Pour avoir un échantillon représentatif de son parc de barriques, Nicolas Richard conseille de prélever un disque sur une dizaine d'entre elles. Peu importe où l'on prélève le disque puisque, d'après lui, il n'y a pas ou peu de variabilité au sein d'une barrique. Inter Rhône doit contacter les laboratoires équipés en PCR pour leur proposer la méthode. Quant au « barriscope », il sera bientôt proposé aux vignerons, à hauteur de 300 €, pour qu'ils prélèvent eux-mêmes des disques de bois et les remettent à leur laboratoire pour analyse.