Les phtalates et le bisphénol A font régulièrement parler d'eux pour des raisons de santé publique. On sait qu'ils sont capables de migrer dans le vin, mais aucun état des lieux n'avait encore été dressé dans la filière viticole. C'est chose faite par un groupe national financé par FranceAgriMer, coordonné par l'IFV et incluant deux laboratoires ainsi que six interprofessions.
Des contaminations fréquentes
Depuis 2011, l'équipe étudie la contamination des vins par ces polluants. Au total, elle a recherché douze phtalates et en a trouvé huit. Le DBP et le BBP sont les plus communs. Sur les 383 vins analysés, 50 % présentent du DBP et 23 % du BBP. Le DBP est parfois mesuré dans des proportions inquiétantes : jusqu'à 854 µg/l dans un vin. Or, comme le BBP, ce composé est sur la sellette. D'après Magali Grinbaum, spécialiste des contaminants à l'IFV d'Orange et coordinatrice du groupe de travail, ces deux substances risquent d'être interdites en Europe dans la fabrication des matériaux au contact des denrées alimentaires. En troisième position, par ordre de fréquence dans les vins, arrive le DMP, un phtalate pourtant déjà interdit dans la fabrication des contenants alimentaires. Ce composé se trouve dans 5 % des vins analysés.
S'agissant du bisphénol A, l'IFV en a trouvé dans 21 % des vins. Mais Magali Grinbaum se veut rassurante. « On le trouve en moyenne à hauteur de 28 µg/l, alors que la limite de migration spécifique est à 600 µg/l. Le bisphénol A migre beaucoup moins que les phtalates. La contamination survient lorsque le matériel est endommagé. » Cette substance ne sera plus autorisée en France dans la fabrication des contenants alimentaires à partir de juillet 2015. Toutefois, l'interdiction ne s'applique pas aux matériels et équipements utilisés dans la production, le stockage ou le transport des denrées parmi lesquels figurent les cuves, tubulures et autres tuyaux.
Rien dans les moûts
Après avoir étudié la contamination des vins, le groupe de travail a cherché à quel moment celle-ci survenait. Il a constaté que les moûts ne contenaient pas ou très peu de molécules indésirables. Mais, dès la fin des fermentations (FA ou FML), la donne change. Le DBP est retrouvé dans 45 % des vins analysés, le BBP dans 22 % et le bisphénol A dans 19 %. Les contaminations sont fréquentes mais faibles. Magali Grinbaum suppose qu'elles proviennent des pressoirs à vis en résine époxy, surtout s'ils sont utilisés avec une vendange chauffée.
Prudence avec les résines époxy
Des tests en Beaujolais et dans la vallée du Rhône ont montré que l'élevage en cuves revêtues de résine époxy est la première source de contamination en DBP et bisphénol A et ce d'autant plus que l'élevage est long et que la cuve est vieille.
L'âge de la cuve est déterminant puisque normalement, depuis les années 1995-2000, les fabricants n'utilisent plus de DBP dans les résines époxy. « Pour éviter les mauvaises surprises, lors de l'achat de matériel neuf, il faut néanmoins demander un certificat de conformité au vendeur, qui a l'obligation de le fournir », précise Magali Grinbaum.
Fait étonnant, les teneurs en phtalates augmentent entre l'analyse avant mise en bouteille et celle réalisée six mois plus tard. Magali Grinbaum émet plusieurs hypothèses pour expliquer ce phénomène. La contamination pourrait avoir eu lieu au moment de la mise via les tuyaux, les pompes ou les filtres lenticulaires utilisés à ce stade. Elle pourrait également provenir des films en plastique qui protègent les palettes de bouteilles.
Les bouchons synthétiques ne semblent pas en cause. En Alsace, des analyses ont été réalisées sur du riesling et du gewurztraminer conservés pendant six ans avec dix-huit bouchons synthétiques différents. Le DBP et le bisphénol A n'ont jamais été identifiés à plus de 20 µg/l dans ces vins.
Autre surprise : les teneurs en phtalates diminuent en BIB. Dans ce cas, les composés seraient adsorbés par le polyéthylène constitutif des BIB. L'IFV doit le vérifier.
Prochainement, le groupe de travail va se pencher sur les matériaux suspects, comme les tuyaux en PVC, joints, corps de pompe, pressoirs... Magali Grinbaum rappelle que le vin entre en contact avec plusieurs équipements, ce qui « complique les recherches car même si tous les matériaux sont conformes, le vin peut se retrouver très contaminé en bout de course ».
Recherche de techniques curatives
Indépendamment du groupe de travail, les laboratoires Dubernet, près de Narbonne, se sont déjà attelés à la tâche. Vincent Bouazza et son équipe ont déjà testé neuf colles : quatre charbons, une gélatine, une albumine, une bentonite, la PVPP et des écorces de levures. « Trois des quatre charbons sont très efficaces à 25 g/hl mais pas autorisés pour cet usage. » Ils ont permis de diviser les teneurs en DBP par quatre voire par cinq. « Les écorces de levures ont aussi donné de bons résultats. Leur efficacité augmente avec la dose. Sur un vin présentant 2 600 µg/l de DBP, nous avons obtenu 30 % de réduction en utilisant 40 g/hl, contre 20 % avec 20 g/hl. »
Un flou juridique
Lors des dernières rencontres rhodaniennes, Vincent Bouazza, responsable des analyses fines au laboratoire Dubernet, à Montredon-des-Corbières (Aude), a alerté l'assemblée sur le vide juridique qui entoure les phtalates et le bisphénol A. Il a rappelé que la réglementation européenne ne fixe pas de limite maximale de résidus dans les vins, ni dans les autres aliments d'ailleurs. À la place, elle impose aux fabricants des limites de migration spécifique (LMS), exprimées en mg/kg. C'est la quantité de phtalates qu'un matériau peut « larguer » dans un aliment dans des conditions standardisées d'essais. Au-delà, le matériau ne peut pas être employé dans l'industrie alimentaire. Un vin ou une eau-de-vie très contaminés restent donc marchands, sauf pour les professionnels qui exportent en Chine, ce pays refusant l'entrée des alcools présentant des teneurs en phtalates supérieurs aux LMS. Mais Vincent Bouazza précise que « certains acheteurs ajoutent des restrictions relatives aux phtalates dans leur cahier des charges. De plus, la position des Fraudes varie d'une antenne à l'autre ». L'exemple du Danemark est une autre illustration de l'embarras des autorités. Le pays avait annoncé en août 2012 l'interdiction de trois phtalates dans les aliments avec une entrée en vigueur prévue pour l'automne 2012, finalement repoussée à l'automne 2015 puis abandonnée en 2014. En tout état de cause, un vigneron qui a des vins très contaminés doit chercher la source de cette contamination et l'éliminer.
Des résultats bien plus alarmants
Parallèlement au groupe de travail coordonné par l'IFV, les laboratoires Dubernet ont mené leurs propres recherches. Ils ont analysé 700 vins et ont trouvé du DBP dans 87 % d'entre eux. Dans 30 % des cas, les teneurs sont supérieures à la LMS (300 µg/l), et parfois nettement supérieures puisque le vin le plus contaminé atteint 3 000 µg/l. À l'IFV, Magali Grinbaum explique cette différence par le fait que « les vins étudiés dans le cadre du groupe national avaient au maximum un an, alors que les laboratoires Dubernet ont analysé des vins prêts à la mise en bouteilles, parfois logés dans des cuve en résine époxy depuis quatre ans. Les teneurs en phtalates augmentent avec la durée de contact avec le matériau contaminant ».