Vincent Ballu naît le 2 août 1920 à Mardeuil, dans la Marne. Son père est agriculteur-éleveur laitier. Lui intègre l'École supérieure des travaux publics et devient ingénieur pendant la Seconde Guerre mondiale. Après le conflit, il met ses talents au service de la viticulture avec la complicité de Robert de Vogüé, président de la maison Moët et Chandon et coprésident-fondateur du tout jeune Comité interprofessionnel du vin de Champagne, né sous l'Occupation. Au vignoble, l'essentiel du travail se fait encore par traction animale ou manuellement. « Les machines qu'on utilise alors sont le motoculteur et le treuil viticole [...] qui, amarré en haut de la vigne, permet la traction d'outils aratoires », rappelle La Champagne viticole dans son numéro d'octobre 2002. Les poudreuses et sulfateuses sont encore tirées par les animaux ou les traitements sont faits à dos d'homme. Pourquoi Vincent Ballu ne mettrait-il pas au point un tracteur adapté au vignoble champenois ?
En 1946, une esquisse voit le jour. Elle est présentée à l'Association viticole champenoise (AVC) en mai 1947, en concurrence avec un autre tracteur-enjambeur imaginé par les établissements montpelliérains Vidal qui ont inventé le concept dans les années 1920. Ce dernier, doté de chenilles, est cependant trop lourd et peu pratique. « Le tracteur Ballu est d'une conception différente et, à première vue et en toute impartialité, plus séduisante », jugera la commission technique de l'AVC. C'est un appareil du type tricycle enjambant deux rangées de vigne, avec quatre roues dont deux jumelées à l'avant. Vincent Ballu se voit octroyer 300 000 francs pour l'améliorer.
En novembre 1947, l'AVC valide le prototype. « Malgré un investissement représentant trois à six fois le prix du cheval de labour, le tracteur séduit les vignerons et les négociants », relève La Champagne viticole d'octobre 2002. Le jeune ingénieur assume pendant quelques années la direction du service motorisation de Moët et Chandon tout en cherchant des partenaires pour la fabrication de son invention.
En 1952, il crée son entreprise, Tecnoma, à Épernay. Il s'associe avec le fabricant de charrues Derot pour la construction du tracteur-enjambeur. Il travaille en parallèle comme agent pour le fameux constructeur de pulvérisateurs en cuivre Vermorel. « Très vite, innovant et sortant des sentiers battus, il entrevoit les pistes d'avenir et dépose des brevets de buses, pompes et cuves en résine qui résistent aux produits chimiques et dont l'entreprise Vermorel ne voulait pas », raconte son fils Patrick Ballu qui prendra brillamment la relève.
Avec son oncle coureur de rallyes Jean Dugonet, un as de la mécanique, Vincent Ballu « met au point le premier pulvérisateur doté d'une cuve en résine de synthèse », poursuit-il. Nous sommes en 1959. Très vite, il étend sa gamme de pulvérisation au-delà de la vigne. « C'est ce qui a véritablement lancé l'entreprise, analyse Patrick Ballu. C'était un homme inventif, passionné, entreprenant, convaincu, convaincant et un excellent commerçant. »
Sept ans plus tard, Vincent Ballu rachète l'entreprise Vermorel. À sa mort en juin 1980, « l'entreprise Tecnoma commercialise près de 200 tracteurs-enjambeurs, 3 000 pulvérisateurs portés et un millier d'appareils traînés par an. Elle réalise un chiffre d'affaires de 12,2 millions d'euros », commente Patrick Ballu.
Il en reprend les rênes. Combatif, il rachète ses principaux concurrents en 1986 et 1987, tout en conservant l'indépendance des différentes sociétés et marques. Il crée ainsi le groupe familial Exel Industries, leader de la pulvérisation, qu'il va hisser au niveau mondial. Le groupe, coté en Bourse, reste contrôlé à 75 % par la famille et a étendu son champ d'activité à l'industrie, l'automobile et le grand public.
Depuis 2011, il est dirigé par Guerric Ballu, petit-fils du fondateur. Sept de ses filiales concernent la filière viticole : Hardi-Evrard, Tecnoma, Nicolas, Thomas, Berthoud, CMC et Préciculture. Il réalise un chiffre d'affaires de 775 millions d'euros et emploie 3 700 personnes dans le monde. Fidèle à l'esprit de Vincent Ballu, il met l'innovation au service de la mécanisation du vignoble. Ses dernières nouveautés ? Des enjambeurs électriques autonomes et silencieux.
Bibliographie : La Champagne viticole, octobre 2002 et janvier 2006 ; Le Vigneron champenois, mai et décembre 1947.