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Magazine - Etranger

Argentine L'affirmation d'une identité

ANGELINE MONTOYA - La vigne - n°275 - mai 2015 - page 84

Les vins de la vallée orientale de Catamarca, au nord-ouest de l'Argentine, ont longtemps été assemblés avec ceux, bien plus réputés, de Salta. Des producteurs veulent mettre fin à ce système.
PRÈS DE BELÉN, la petite ville d'Hualfín, qui bénéficie de retombés financières de la mine voisine, a fondé l'unique exploitation municipale du pays.  PHOTOS : A. MONTOYA

PRÈS DE BELÉN, la petite ville d'Hualfín, qui bénéficie de retombés financières de la mine voisine, a fondé l'unique exploitation municipale du pays. PHOTOS : A. MONTOYA

GERARDO GONZÁLEZ, installé à Santa María, veut promouvoir les vins de Catamarca et se lance dans une production de vins bio : les vins Yokavil.

GERARDO GONZÁLEZ, installé à Santa María, veut promouvoir les vins de Catamarca et se lance dans une production de vins bio : les vins Yokavil.

RUBÉN BARROSO, l'oenologue de la Prelatura de Cafayate (40 ha), vinifie la production du domaine et celle de nombreux petits cultivateurs de la région.

RUBÉN BARROSO, l'oenologue de la Prelatura de Cafayate (40 ha), vinifie la production du domaine et celle de nombreux petits cultivateurs de la région.

LA COOP MUNICIPALE DE HUALFÍN s'est dotée d'un équipement moderne, de cuves en Inox et de fûts en chêne pour une capacité de 3 350 hl.

LA COOP MUNICIPALE DE HUALFÍN s'est dotée d'un équipement moderne, de cuves en Inox et de fûts en chêne pour une capacité de 3 350 hl.

JORGE GÓMEZ, responsable du chai de Hualfín, montre la boucheuse manuelle qui sert encore aujourd'hui.

JORGE GÓMEZ, responsable du chai de Hualfín, montre la boucheuse manuelle qui sert encore aujourd'hui.

Qui connaît les vins de la province de Catamarca ? Même en Argentine, ils sont peu nombreux. C'est surtout les crus de la voisine Salta que les gens connaissent (voir La Vigne d'octobre 2010). Pourtant, Catamarca, à 1 000 km au nord-ouest de Buenos Aires, produit 120 000 hl par an. Les vignes poussent sur un vaste territoire autour de quatre localités : Tinogasta et Fiambalá, à l'ouest, et Belén et Santa María, à l'est, dans ce qu'il est convenu d'appeler la vallée orientale.

Ici, comme à Salta, le cépage emblématique est le torrontés, un cépage muscaté qui s'adapte parfaitement aux caractéristiques de la région : une amplitude thermique importante entre le jour et la nuit, due à l'altitude élevée, du soleil toute l'année et pas d'humidité. Historiquement, c'est d'ailleurs à la province voisine de Salta que les viticulteurs de la vallée orientale vendaient leurs raisins. Selon la législation, il est possible de rajouter des fruits d'une autre provenance que celle indiquée sur l'étiquette, dans la limite de 10 %. Ainsi, les vins de Catamarca ont-ils longtemps disparu dans ceux de Salta, au grand dam des producteurs actuels qui veulent faire reconnaître leurs qualités et leurs spécificités.

Dans les années 1990 a eu lieu une reconversion vers des cépages de qualité. « La moitié des vignes de Belén sont passées au malbec. Pour l'autre moitié, c'est encore du torrontés », explique Aristóbulo Rizo, du Centre de développement viticole de l'Institut national de technologie agroalimentaire (Inta), à Catamarca.

Deux exploitations originales

Dans les environs de Belén, deux exploitations se distinguent. La première se situe dans la petite ville de Hualfín, à 80 km au nord de Belén. Ici, nous sommes à seulement 20 km de l'immense mine de cuivre et d'or à ciel ouvert, la Alumbrera. Une infime partie de ses bénéfices doit être versée aux municipalités de la région. C'est ainsi qu'en 2011, celle de Hualfín a décidé d'utiliser cet argent pour monter un chai de toutes pièces, créant ainsi la seule exploitation viticole municipale d'Argentine.

« Les trente-six petits producteurs de Hualfín vendaient toute leur production à Salta, et la provenance du raisin n'était pas indiquée sur les bouteilles », explique le maire de la ville, Marcelo Villagrán, qui a voulu mettre fin à cet effacement. Sous son impulsion, Hualfín a acheté 3 350 hl de capacité de cuverie en Inox et en fûts de chêne. Les producteurs se sont organisés en coopérative. Aujourd'hui, le chai produit près de 1 500 hl par an. « Le reste, c'est-à-dire 80 % de la production, qui s'élève à 1,2 million de kilos de raisin, suit le chemin historique vers Salta », explique Jorge Gómez, le responsable du chai.

La mine continue de participer aux frais. « Elle achète des piquets en bois et du fil de fer pour le palissage, des engrais, des plants... et remet directement le tout à la coopérative, souligne Jorge Gómez. Car il faut reconnaître que, parfois, l'argent versé aux mairies a tendance à ne pas complètement arriver à destination. »

La seconde exploitation assez particulière appartient aux religieux habitant la prélature de Cafayate. Celle-ci est située à Santa María, à 90 km au nord de Hualfín. Les moines augustins, installés là depuis un demi-siècle, l'ont créée pour subvenir à leurs besoins. « Dans un premier temps, ils vendaient le raisin aux chais de Cafayate, les plus réputés de la province de Salta. Puis, en 1992, ils ont construit leur propre bodega ou cave, raconte Rubén Barroso, l'oenologue de la prélature. Depuis, nous vinifions notre production de 40 ha et celle de nombreux petits cultivateurs de la région. Nous obtenons 20 000 hl, sachant que la capacité de notre bodega est de 30 000 hl. »

Son nom officiel est Bodega Prelatura de Cafayate, « parce que Cafayate, c'est plus vendeur, reconnaît Rubén Barroso. Mais entre nous, nous l'appelons simplement Prelatura, pour éviter de blesser certaines susceptibilités. »

Un besoin d'identité

« Pur marketing », considère Gerardo González, un des derniers à s'être installé à Santa María, zone où se concentrent 25 % des vignes de la province. Lui, il croit dur comme fer à son projet, les vins Yokavil, et aspire à faire du bio. Il assure que la moitié de la production de la région est encore vendue aux grosses exploitations de Salta et regrette qu'à cause de cela, les vins de Catamarca ne soient pas plus connus.

Également située à Santa María, mais plus ancienne, l'exploitation La Rosa appartient au groupe Peñaflor, propriétaire de la bodega El Esteco, à Cafayate. Elle couvre 300 ha. Comme le veut l'usage, elle expédie une partie de son vin vers Salta où il est assemblé à des vins étiquetés « Salta ».

Mais l'oenologue de La Rosa, Claudio Maza, aspire à transformer les mentalités afin qu'elles s'attachent davantage aux terroirs qu'aux découpages administratifs. « Cela ne nous intéresse pas de savoir si un vignoble est dans la province de Catamarca ou dans celle de Salta. Notre but est de faire ressortir les caractéristiques de chaque vignoble. Je crois qu'il faut surtout souligner l'identité de ceux des vallées Calchaquíes [du nom du peuple qui habitait originellement ces vallées, NDLR] où nous sommes et où se trouve aussi Cafayate. C'est pourquoi, sur l'étiquette de notre vin Esteco Chañar Punco, élaboré exclusivement avec nos raisins de Santa María, nous indiquons "Valle Calchaqui" comme provenance. »

Le dernier rescapé de Belén

Belén est une petite ville de 11 000 habitants, située au centre de la province de Catamarca. Dans les années soixante, elle comptait deux grandes exploitations viticoles. Il n'en reste qu'une, Bodegas Don Juan, et ses 7 ha de vignes. Elle produit 800 hl par an, grâce à sept autres hectares exploités à Hualfín. À peine de quoi faire vivre la famille. Et pourtant... Quand Samir Jais, le fils du fondateur du chai, emmène les rares visiteurs derrière sa maison, ceux-ci découvrent avec surprise, en contrebas, un énorme chai, construit en 1966 et très moderne pour l'époque : cuves en ciment recouvertes d'époxy, transfert par gravité... Son père voulait produire du vin de qualité. Mais, en ce temps-là, les Argentins consommaient 90 l de vin par personne et par an. Du tout-venant. Le père de Samir a donc dû s'orienter vers une production massive. Ironie de l'histoire : un demi-siècle plus tard, la consommation est tombée à moins de 30 l par an, et son fils a dû reconvertir les vignobles pour privilégier la qualité. « Au final, des cuves en ciment de 1 000 hl n'ont jamais été utilisées », regrette-t-il.

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