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VIGNE

Drosophila suzukii sous surveillance

CHRISTELLE STEF - La vigne - n°276 - juin 2015 - page 32

Cette petite mouche sera observée à la loupe cette année. Suivi des vols, des pontes et des émergences : toute la filière se mobilise.
LE MÂLE ADULTE DE D. SUZUKII est facilement reconnaissable grâce à la tache noire sur l'extrémité des ailes. © C.LINDER/AGROSCCOPE

LE MÂLE ADULTE DE D. SUZUKII est facilement reconnaissable grâce à la tache noire sur l'extrémité des ailes. © C.LINDER/AGROSCCOPE

PIÈGE À D. SUZUKII utilisé en Alsace pour suivre le ravageur en 2013 et 2014. Cette année, les bouteilles seront en plastique transparent rouge. © CA ALSACE

PIÈGE À D. SUZUKII utilisé en Alsace pour suivre le ravageur en 2013 et 2014. Cette année, les bouteilles seront en plastique transparent rouge. © CA ALSACE

Drosophila suzukii. Cette petite mouche est désormais bien connue des viticulteurs et des techniciens. Elle sera scrutée à la loupe cette année. Plus question de se faire surprendre par ses attaques comme l'an passé.

L'Alsace à la pointe

En Alsace, la filière quadruple son réseau de surveillance. « Nous placerons une quarantaine de pièges pour capturer les adultes dans tout le vignoble contre une dizaine en 2014, détaille Marie-Noëlle Lauer, de la chambre d'agriculture. Nous les relèverons à partir de la fin juillet. Nous observerons également les pontes. Nous suivrons l'émergence des larves à deux dates : de début à mi-véraison et en période de prévendange. Pour cela, nous prélèverons des grappes dans toutes les parcelles où nous avons installé des pièges. Nous avons également créé un réseau avec d'autres filières - fraises, framboises, myrtilles et quetsches - pour avoir une idée préalable des niveaux d'infestation. »

Suivre les parcelles à risques

Dans le Libournais aussi, le suivi sera plus poussé qu'en 2014. La pourriture acide a fait parler d'elle en 2014, à Saint-Émilion et à Pomerol. Cette année, les viticulteurs veulent une meilleure surveillance du risque. Le GDON du Libournais, un organisme qu'ils ont créé en 2007 et dont ils sont les principaux financeurs, a ainsi voté un budget pour embaucher un stagiaire pendant 6 mois, de juin à fin octobre. L'objectif n'est pas de surveiller les 12 000 ha de ce vignoble planté en grande majorité avec du merlot, mais de se concentrer sur les parcelles à risque de pourriture acide où le ravageur a déjà été identifié l'an passé. Dans ces vignes, le GDON suivra les vols de l'insecte et l'émergence des larves.

Une mobilisation nationale

En fait, partout en France, c'est toute la filière chargée de surveiller les parasites des cultures qui se mobilise. Désormais le suivi de D. suzukii entre dans la surveillance biologique du territoire réalisée par la protection des végétaux. À ce titre, les services officiels (Sral, Inra, IFV, chambres d'agriculture) proposeront un protocole d'observation commun à tous les vignobles. Celui-ci reposera d'abord sur le suivi d'un réseau de pièges alimentaires. Concrètement, ces pièges sont des bouteilles en plastique translucide rouge dans lesquelles on verse un tiers de vinaigre de cidre, un tiers de vin rouge, un tiers d'eau et quelques gouttes de savon. Attirées par l'odeur acescente, les drosophiles y meurent noyées. Un dispositif efficace et peu onéreux.

Il est prévu que les membres du réseau BSV (Bulletin de santé du végétal) relèvent ces pièges une fois par semaine à partir de la véraison dans chaque région. Ils devraient noter le nombre de mâles, facilement identifiables grâce à la tache noire qu'ils possèdent à l'extrémité de leurs ailes. Une caractéristique absente chez les mouches indigènes. « Le suivi de ces pièges permettra de noter la proportion de D. suzukii par rapport aux drosophiles autochtones et de voir quelle espèce apparaît en premier », explique Jacques Grosman, expert vigne au ministère de l'Agriculture.

Le suivi des pièges devrait être complété par un suivi des pontes. Celles-ci sont également assez caractéristiques : elles se signalent par une perforation avec deux petits filaments qui sortent de la baie. Leur observation est néanmoins délicate et se fait sous une loupe binoculaire. Enfin, il devrait également y avoir un suivi des émergences. Cela permettra de vérifier si D. suzukii peut bien se développer sur la vigne et d'appréhender son taux de survie sur les raisins. Les informations collectées par ces réseaux de surveillance seront communiquées aux viticulteurs dans les BSV.

Mieux connaître le parasite

De son côté, l'Inra de Bordeaux va s'attacher à mieux comprendre la biologie du parasite. « Nous allons suivre des pièges, les pontes et les émergences en lien avec la maturité des raisins et l'état sanitaire. Nous allons démarrer les observations dès le stade grains de taille petits pois, afin d'appréhender la dynamique temporelle de ce ravageur et savoir quels cépages il attaque en premier. Nous ferons également le lien entre les pontes et les émergences, afin de voir quel est le taux de mortalité des oeufs dans nos conditions de vignoble », rapporte Lionel Delbac. Ce dernier point est important. Il permettra de préciser l'implication de D. suzukii dans les épidémies de pourriture acide. Car l'implication de ce nouveau ravageur dans les fortes attaques de pourriture acide, que beaucoup de vignobles ont connu l'an dernier, n'est pas encore bien établie.

« Contrairement à d'autres fruits, le raisin ne semble pas être favorable au développement de cette drosophile. Elle peut pondre sur les baies mais le taux de survie des larves est très faible, d'après les travaux des chercheurs suisses de l'Agroscope, à Nyon », assure Jacques Grosman. Elle participerait donc peu à la dispersion des bactéries acétiques responsables de la pourriture acide. Reste à en avoir le coeur net.

La prophylaxie avant tout

La lutte contre D. suzukii commence par la mise en place de mesures prophylactiques. « On va mettre l'accent sur l'effeuillage. L'objectif est d'aérer la zone des grappes dès la fin de la nouaison, lorsque les petites baies sont en place », indique Marie-Noëlle Lauer, de la chambre d'agriculture d'Alsace. Les techniciens vont également informer sur la nécessité de bien maîtriser la vigueur et l'enherbement qui peut entretenir de l'humidité lorsqu'il est trop développé. En effet, les drosophiles apprécient la végétation dense et la rosée. « Il faut éviter toute blessure des grappes. En cas de vendange en vert, il ne faut pas laisser les raisins à terre. De même s'il faut trier les raisins à la parcelle lors des vendanges », précise Jacques Grosman, expert vigne à la DGAL. « Nous insistons sur une gestion en amont : maîtrise de la vigueur, effeuillage, entretien des sols. Mais on va quand même essayer des traitements comme le spinosad ou les argiles, afin d'acquérir des références », précise Pierre Petitot, de la chambre d'agriculture de la Côte-d'Or. Certains distributeurs vont aussi tester le piégeage de masse. À suivre...

De fortes populations en sortie d'hiver

Courant avril, des quantités de D. suzukii ont été capturées par les pièges mis en place par le Domaine expérimental La Tapy, basé à Serres, dans le Vaucluse. « Dans les vignes, on peut piéger jusqu'à 200 individus par semaine. C'est du même ordre que l'an passé. Dans les vergers de cerisiers, le nombre est encore plus élevé. En fait, les piégeages ne se sont pas arrêtés durant l'hiver car les températures n'ont pas été assez basses », rapporte Catherine Reynaud, responsable des expérimentations phytosanitaires sur les raisins de table. A l'Inra de Bordeaux, Lionel Delbac confirme que le potentiel de mouches Suzukii est élevé. « Les producteurs de cerises et de fraises sont d'ores et déjà en alerte. Mais cela ne veut pas dire que l'on aura des problèmes en viticulture. Il peut encore se passer beaucoup de choses d'ici aux vendanges : si l'on a un été chaud et sec, la messe sera dite, car les températures dépassant 30 °C, provoquent une mortalité importante chez Suzukii. En revanche, si les conditions sont douces et humides, ce sera une autre histoire... »

Zaprionus indianus, une autre menace ?

Dans le Bordelais, le CIVB a décidé de placer sous surveillance cinq risques sanitaires émergents (voir La Vigne n° 272, p. 9). Parmi les parasites visés figurent les nouvelles drosophiles, D. suzukii en tête, mais aussi Zaprionus indianus, une espèce originaire d'Afrique qui a déjà été observée dans des vignobles aux États-Unis. Elle se distingue des autres drosophiles par les étroites bandes blanches qui partent de la tête pour aller jusqu'au thorax. « Comme toutes les espèces potentiellement invasives, elle pourrait modifier les équilibres avec les espèces autochtones si elle arrivait chez nous », indique Lionel Delbac, de l'Inra de Bordeaux.

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