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DOSSIER - Vinification : réussir le rosé qui plaît

Vinification Réussir le rosé qui plaît

PAR MICHÈLE TRÉVOUX - La vigne - n°277 - juillet 2015 - page 16

La mode est aux rosés pâles et expressifs. Voici comment concilier ces deux exigences a priori contradictoires.
REMONTAGE DE MOÛT pour levurer et vinifier du rosé au château Sauman, à Villeneuve, en Gironde. © P. ROY

REMONTAGE DE MOÛT pour levurer et vinifier du rosé au château Sauman, à Villeneuve, en Gironde. © P. ROY

1. Sélectionnez des parcelles productives

Vigueur, homogénéité, stress hydrique modéré... les parcelles destinées à l'élaboration de rosés qualitatifs ne ressemblent en rien à celles qui conviennent aux rouges. « Il faut des vignes qui se portent bien, avec une croissance active pour atteindre une bonne surface foliaire. Les vignes situées sur des coteaux, alors exposées à un stress hydrique, ne sont pas toujours adaptées à l'élaboration de rosés axés sur le fruit et la fraîcheur. Leurs raisins sont souvent trop concentrés », estime Arnaud Morand, oenologue consultant à l'ICV.

« Le choix des parcelles destinées à produire du rosé doit se décider lors de la taille. Il faut choisir des parcelles productives, avec des porte-greffes vigoureux, les tailler plus long que pour des rouges et prévoir une bonne fumure azotée », soutient Jean-Louis Vinolo, oenologue conseil chez Euralis, à Bordeaux.

2. Évitez les maturités trop poussées

La date de la récolte détermine le profil aromatique des rosés. « Pour des rosés de garde, qu'on souhaite puissants avec des arômes de fruits mûrs, on peut attendre la pleine maturité, mais sans jamais récolter en surmaturité. Si l'on recherche des rosés ayant du fruit et de la fraîcheur, mieux vaut récolter à une maturité moins avancée, soit entre 12 et 13 % vol. », recommande Arnaud Morand.

À Bordeaux, Jean-Louis Vinolo s'appuie sur les mesures réalisées avec l'outil Dyostem pour suivre la maturité. « On effectue des prélèvements à partir de la fin de la véraison et on suit l'évolution du chargement en sucre des baies. Dès que ce chargement s'arrête, il faut vendanger pour obtenir un maximum de thiols. On arrive ainsi à déterminer à deux jours près la date optimale de récolte. »

Autre point important : l'état sanitaire des raisins. « Les vendanges altérées sont souvent orientées vers la production de rosé car le contact entre la pellicule et le jus est bref. Il est vrai qu'il vaut mieux faire des rosés que des rouges avec ce type de raisins, mais ce ne seront jamais de grands rosés », affirme Arnaud Morand. Pour obtenir de grands rosés, il faut une vendange indemne de pourriture.

3. Vendangez à la fraîche

Dans le sud de la France, les vendanges de nuit se sont généralisées pour éviter l'oxydation des raisins sous l'effet de la chaleur. Encore faut-il viser juste. L'ICV a montré un décalage d'environ 4 heures entre le réchauffement de l'air et celui des raisins. De même pour le refroidissement nocturne. « Mi-août, début septembre, l'air commence à se réchauffer entre 7 et 8 heures du matin. Ainsi, l'horaire idéal pour vendanger, c'est entre 4 et 10 heures du matin. Démarrer à minuit, c'est trop tôt car les raisins sont encore à la température de l'air de 20 heures », indique Laurent Vial, responsable des services oenologiques à l'ICV.

À partir de 15 °C, on observe des phénomènes d'oxydation et de diffusion de la couleur. Mieux vaut donc rentrer des raisins quand ils sont plus frais que ce seuil. Et afin de limiter ces phénomènes d'oxydation et de macération, il faut régler la machine à vendanger pour qu'elle préserve au mieux l'intégrité des baies.

4. Refroidissez la vendange

La durée et la température de la macération pelliculaire déterminent la couleur des rosés. Plus le temps de contact entre les pellicules et le jus est long, plus les vins sont colorés. Et pour un temps de contact identique, l'intensité de couleur varie du simple au double lorsque la température de macération passe de 12 à 18 °C. D'où l'intérêt de récolter à la fraîche car le premier contact entre la pellicule et le jus s'effectue dès la récolte.

En outre, la macération pelliculaire permet aussi l'extraction des précurseurs aromatiques localisés dans les peaux des raisins. Elle renforce l'expression des cépages riches en thiols, comme le grenache, la syrah, le merlot ou le cabernet-sauvignon. Pour obtenir les rosés pâles et expressifs que réclame le marché, il faut donc des macérations assez courtes à des températures fraîches. Les oenologues recommandent généralement de les réaliser dans le pressoir durant trois à quatre heures autour de 10 °C environ.

Pour refroidir la vendange à l'arrivée au chai, les échangeurs tubulaires sont les équipements les plus performants. Dans les caves qui n'en sont pas équipées, il convient de presser au plus vite la vendange pour écourter la macération. Cette exigence est d'autant plus impérieuse que les cépages ont un fort potentiel colorant, comme c'est le cas de la syrah, du carignan ou du merlot.

5. Protégez les raisins de l'oxydation

Les raisins doivent être protégés le plus tôt possible de l'oxydation par un sulfitage. Les oenologues conseillent de fractionner les apports. Ainsi, Laurent Vial préconise d'ajouter 1 à 2 g/tonne dans les bennes à vendange, 4 g/hl à la réception de la vendange et enfin 3 g/hl au pressurage.

Sur des moûts de pH élevé (à partir de 3,5) où le SO2 est moins efficace, il conseille l'ajout d'acide tartrique (500 g/t), qui renforcera l'efficacité du SO2, et d'acide ascorbique (40 g/tonne), qui est antioxydant. Ces ajouts doivent être effectués au plus tôt, dans les godets de la machine à vendanger. Dès la libération des jus en sortie de pressoir, la protection contre l'oxygène peut être réalisée par inertage à l'azote ou au gaz carbonique. Selon l'état de la vendange, on peut alors supprimer ou réduire les doses de SO2.

Quant à l'inertage du pressoir, les études menées par le Centre du Rosé, à Vidauban (Var), ont donné des résultats contrastés selon les cépages. Les effets sont peu visibles sur le cinsault, mais très positifs sur le grenache, la couleur étant alors moins orangée et le vin plus aromatique.

6. Pensez à enzymer

L'enzymage est un moyen d'obtenir des vins plus clairs. En effet, avec les enzymes pectolytiques l'extraction des jus gagne en rapidité, sans qu'il soit besoin de dilacérer les peaux. Les cycles de pressurage se raccourcissent. De plus, d'après les essais réalisés par le Centre du Rosé, le gain en jus de goutte varie de 4 à 33 %.

Pour le pressurage, Arnaud Morand recommande des programmes séquentiels fondés sur une succession de paliers de pression et de maintien de pression sans rebêchage. La montée en pression est alors plus douce que les programmes automatiques. La durée de pressurage est plus longue (jusqu'à 30 % de temps supplémentaire), mais les jus seront plus qualitatifs. Il est possible de passer en programme automatique pour obtenir les jus de fin de presse (10 à 20 % des volumes) qui devront être traités à part.

7. Veillez à la teneur en azote des moûts

La teneur en azote assimilable est un point essentiel de la vinification des rosés. Pour les réussir, il faut en effet une fermentation régulière, franche et complète. Ceci suppose une bonne nutrition azotée des levures. « Si la teneur en azote assimilable est inférieure à 150 mg/l, il faut compléter ce seuil en apportant de l'azote minéral, facilement assimilable par la levure, en début de fermentation. Quand on a perdu entre 20 et 30 points de densité, il est intéressant de faire un nouvel apport pour atteindre 200 mg/l au total, en utilisant de l'azote organique, qui favorise la révélation des arômes variétaux par les levures », indique Stéphane Yerle, oenologue consultant dans différentes régions viticoles en France et à l'étranger.

8. Choisissez le bon itinéraire de vinification

On distingue deux grands types de rosés : variétaux ou fermentaires. Selon le type recherché, l'itinéraire de vinification diffère. Lorsqu'on souhaite obtenir des vins aux arômes variétaux ou thiolés, mieux vaut ne pas trop débourber : il faut viser un moût avec 200 NTU de turbidité. En revanche, lorsqu'on recherche des arômes fermentaires, mieux vaut vinifier des jus très clairs, dont la turbidité est inférieure à 50 NTU.

La température de fermentation est également à adapter en fonction du profil souhaité. Pour l'expression des arômes variétaux, il est préférable de vinifier entre 17 et 18 °C, 19 °C étant un grand maximum. Pour obtenir des arômes fermentaires, de type amylique, les températures doivent être un peu plus basses. Des études récentes montrent qu'il suffit de fermenter entre 14 et 16 °C. Inutile donc de descendre à 12 °C.

Le choix de la levure doit évidemment être cohérent avec le profil recherché, sachant que certaines souches révèlent des arômes variétaux quand d'autres produisent des arômes fermentaires. « Quand on a des volumes importants, il est intéressant d'utiliser différentes souches de levures de même profil afin d'accroître la complexité aromatique », suggère Jean-Louis Vinolo.

« On obtient de très bons résultats sur les rosés à profil thiolé en ajoutant au moût, en début de fermentation, des préparations de levures sèches inactivées, riches en glutathion. À l'arrivée, les vins sont plus expressifs », affirme Stéphane Yerle. Le glutathion est en effet un puissant antioxydant.

Le Centre du Rosé a conduit des essais d'ajout de glutathion pur, une pratique qui n'est pas autorisée. En ajoutant 100 mg/l de glutathion sur du grenache, du cinsault et de la syrah, il a obtenu des résultats contradictoires selon les millésimes. Les études se poursuivent pour mieux connaître le mode d'action de cette substance naturellement présente dans les raisins, mais en faible quantité. Un projet de résolution de l'Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV) est dans les tuyaux pour autoriser un ajout de 10 à 20 mg/l de glutathion pur, mais uniquement lors de la mise en bouteilles.

9. Faites la guerre à l'oxydation

« Dès que la fermentation alcoolique est terminée, il faut mettre les vins au propre et faire la guerre à l'oxydation. Le rosé est un vin fin et délicat, sans beaucoup d'ossature. Il est extrêmement sensible à l'oxydation », assure Laurent Vial. Pour cela, il faut intervenir le moins souvent possible durant l'élevage, éviter les pompages et, lorsqu'ils sont nécessaires, inerter la cuve de réception et les tuyaux avant de démarrer. Conserver le gaz carbonique dissous est aussi un moyen de protéger les rosés de l'oxydation car il ralentit la dissolution de l'oxygène.

Deux autres précautions s'imposent. D'une part, il faut conserver les vins en cuve à une température constante et fraîche, idéalement entre 15 et 18 °C. Des essais récents menés par l'IFV et l'ICV montrent que les rosés supportent mal les variations de température. D'autre part, il faut maintenir une teneur élevée en SO2 libre : au minimum 20 mg/l de SO2 libre et 0,50 mg/l de SO2 actif.

Pour pallier la fragilité de ces vins, des oenologues préconisent l'élevage sur lies. « Maintenir les vins sur lies fines au moins dix jours avec des brassages réguliers stabilise la couleur et les arômes. L'effet est renforcé si on travaille sur des vins ni collés, ni sulfités. On peut aller au-delà des dix jours en dégustant régulièrement pour pouvoir soutirer dès que l'on perçoit des notes de réduction », indique Arnaud Morand.

D'autres oenologues se montrent plus réservés vis-à-vis de l'élevage sur lies. Stéphane Yerle estime que cette technique est à double tranchant : « Dans un premier temps, les lies absorbent des arômes fermentaires. Il faut un élevage de quatre à cinq mois pour neutraliser ce phénomène », soutient-il.

La vigilance vis-à-vis de l'oxygène doit être maintenue jusqu'à la mise en bouteilles. « Les accidents arrivent toujours au conditionnement », constate Arnaud Morand, qui s'élève aussi contre une autre dérive. « La demande très forte des marchés conduit les caves et les vignerons à filtrer très rapidement. Or, des filtrations stériles en novembre, c'est trop tôt. Les vins perdent leur ossature et deviennent fragiles. C'est bien d'avoir une médaille en février à Paris, mais il faut que les vins tiennent jusqu'à la fin de l'été. »

10. Collez afin de corriger les couleurs

Diverses colles ont montré leur efficacité pour atténuer des couleurs trop soutenues : caséine, PVPP, protéine de pois... Ainsi, pour limiter la nuance orangée, il faut privilégier les protéines de pois ou la caséine.

Le moment du collage s'établit au cas par cas. « Sur des fins de presse ou des moûts dont on sait qu'il faudra corriger la couleur, mieux vaut intervenir en cours de fermentation. À ce stade, le traitement sera plus efficace et moins impactant sur les arômes. Pour les jus de goutte dont on a maîtrisé la couleur, il est préférable d'attendre la fin de la fermentation. On réalise des tests de stabilité protéique et on ne colle à la bentonite que les vins qui ont besoin d'être traités. On peut être ainsi plus précis dans les doses », argumente Laure Cayla de l'IFV Centre du Rosé.

Le traitement au charbon oenologique n'est pas autorisé pour corriger la couleur des rosés. En principe, il ne peut être utilisé que sur des moûts et des vins oxydés ou comme désodorisant pour corriger des mauvais goûts. Sur les moûts oxydés, les résultats des essais du Centre du Rosé sont nuancés : le charbon est un décolorant très efficace, mais il agit plus sur la teinte rouge que sur le jaune. Les vins traités restent dès lors orangés.

Pulvérisation foliaire Des résultats aléatoires

La pulvérisation d'azote sur le feuillage à la mi-véraison a fait ses preuves pour développer les thiols des blancs. Mais sur les rosés, cette technique n'est pas complètement maîtrisée. Les chambres d'agriculture du Var et des Bouches-du-Rhône et le Centre du Rosé, basé à Vidauban, ont mené des essais pendant trois ans sur le grenache, un cépage riche en thiols. Ils ont obtenu des résultats irréguliers. « On n'observe pas d'effet systématique. Dans certains cas, l'apport d'azote foliaire augmente indéniablement la puissance aromatique et le caractère thiolé des vins, mais, dans d'autres cas, il reste sans effet. Pour le moment, on ne cerne pas ce qui détermine l'efficacité de cette technique. Les meilleurs résultats sont obtenus sur des vignes vigoureuses, bénéficiant d'une bonne alimentation en azote et en eau », précise Laure Cayla de l'IFV Centre du Rosé.

La chromamétrie, un outil de prédiction de la couleur

 © P. ROY

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En quinze ans, l'intensité colorante des vins de Provence a diminué de moitié, et la tendance s'est généralisée dans les autres régions. Cependant, la maîtrise de la couleur des rosés reste difficile car elle évolue tout au long de la vinification. Au cours de la fermentation alcoolique, l'intensité colorante baisse de 50 % en moyenne, mais les variations peuvent être importantes d'une cuve à l'autre. « La souche de levure, la teneur en alcool, l'acidité et la concentration en tanins pourraient expliquer certaines variations », indiquent les oenologues du Centre du Rosé, à Vidauban (Var).

Pour mieux maîtriser la couleur, l'ICV a développé un outil prédictif : la chromamétrie. Cette mesure définit deux grandes caractéristiques de la couleur : la saturation et l'angle de teinte. La mesure est effectuée sur les moûts, avant même le début de la fermentation. Elle permet de connaître le potentiel couleur et de dire si le vin fini sera « gris », clair, moyen ou foncé... Cet outil peut également être utilisé pour estimer la couleur d'un assemblage en partant de celle des vins qui le composent.

Les consommateurs aiment les rosés expressifs et sucrés

 © P. ROY

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Les consommateurs ont le bec sucré. C'est ce que révèle un test réalisé par le Centre du Rosé, à Vidauban (Var). Un panel de cent personnes a dégusté trois rosés avec des teneurs croissantes en sucres résiduels : 1,3 g/l, 3,4 g/l et 6 g/l. 62 % des consommateurs ont préféré le rosé le plus sucré. Curieusement, cette préférence est plus marquée chez les hommes (64 %) que chez les femmes (54 %). Lors d'un autre test, le Centre du Rosé a soumis à l'appréciation des consommateurs trois échantillons de rosé avec des teneurs croissantes en muscat, cépage très aromatique : le rosé témoin, puis deux assemblages, l'un avec 20 % et l'autre avec 40 % de muscat. 49 % des consommateurs ont préféré le rosé le plus riche en muscat, 26 % ont choisi l'assemblage à 20 % de muscat, et 25 % ont distingué le rosé témoin. « C'est la puissance aromatique que nous voulions tester. Nous avons utilisé le muscat car c'est un cépage très intense en arômes, mais il n'est pas autorisé dans les rosés de Provence », précise Laure Cayla. Mais rien n'empêche les AOP ou IGP où le muscat est autorisé de creuser cette idée.

L'essentiel de l'offre

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