Le « non levurage » trouve un regain d'intérêt ces dernières années. Cette pratique peut-elle à terme remettre en cause l'utilisation des LSA ? Sans vouloir alimenter l'éternel débat « LSA vs. levures indigènes », La Vigne s'est penchée sur la question. Pour Virginie Moine, directrice technique de la firme Laffort, la réponse est clairement non. « Aujourd'hui, 90 % des vins sont ensemencés en levures, affirme-t-elle. Cette répartition n'est pas amenée à évoluer pour des raisons de sécurisation des fermentations. »
Arnaud Delaherche, responsable levures pour le groupe AEB, est du même avis. Selon lui, le marché des LSA se porte bien. Et, il n'est pas prêt de décliner. Bien au contraire. « Les parts de marché des différents fournisseurs évoluent. Et, globalement, ramenées au volume de vin produit chaque année, les ventes de LSA augmentent. La grande majorité des consommateurs demandent un vin identique d'une année sur l'autre. Ce n'est pas compatible avec le non-levurage car les populations de levures indigènes sont très changeantes. D'un millésime à l'autre, le vigneron ne peut pas savoir par quel "pool" de levures son moût sera fermenté. En plus de prendre un risque d'arrêt ou de déviation, il obtiendra des vins d'une qualité et de profils variables. »
Des propos que partage André Fuster, oenologue et responsable levures pour Agrovin. « On entend parler du non-levurage depuis très longtemps. Le sujet intéresse un certain nombre de viticulteurs. Mais je crois qu'on reste dans le fantasme. On entend dire que la levure indigène serait la plus à même de révéler le meilleur du raisin. Mais les vignerons ne se lancent pas par crainte de problèmes de fermentation. » D'après lui, le non-levurage concerne une très faible frange du marché, mais « qui fait grand bruit ». Ainsi, la tendance n'est pas prête d'impacter les ventes de LSA et les fournisseurs n'ont pas de raison de trembler. « Nous n'avons pas attendu les LSA pour sortir des grands vins, mais depuis qu'elles sont arrivées, on produit beaucoup moins de vins médiocres, ça compte. »
Une hausse des vinifications sans levurage a néanmoins été constaté par Nicolas Dutour, oenologue pour les laboratoires Dubernet, dans l'Aude. Pour lui, c'est avant tout une stratégie marketing. « Certains consommateurs apprécient d'acheter du vin vinifié sans levures exogènes. Beaucoup de vignerons réservent le non-levurage à des cuvées ciblées, souvent du vin rouge car c'est là que les apports aromatiques sont les plus intéressants. » Le phénomène restera, selon lui, marginal car il est risqué. « Le vigneron n'est pas à l'abri de déviations. Ne pas levurer nécessite une vigilance accrue, un sulfitage plus important, ou au moins l'occupation du milieu avec des bactéries lactiques, et des conditions parfaites du point de vue de l'hygiène, du pH et de la température. La décision de se passer de LSA doit être intégrée dans une réflexion technique globale. », insiste l'oenologue. Il a également remarqué que certains secteurs géographiques ne se prêtent pas au non-levurage à cause de populations levuriennes défavorables, entraînant des déviations quasi systématique malgré la diversité des pratiques au chai. Autant d'arguments qui lui laissent penser que les LSA ont encore de l'avenir.
Mais le discrédit - bien entretenu par la presse, les blogs et la télévision -, a été jeté sur les LSA, souvent qualifiées « d'industrielles » ou de « chimiques ». Théodore Didier, chef de produit levures chez Lallemand, s'en inquiète. « Pourquoi avoir travaillé vingt ans en partenariat avec les instituts de recherche régionaux pour sélectionner des levures de terroir qui sécurisent les fermentations, si c'est pour tout abandonner aujourd'hui ? » Un retour en arrière qu'il redoute. « Il faut revenir aux fondamentaux : les LSA ont un jour été des levures indigènes, elles ont simplement été sélectionnées pour leur pureté. Le secteur des levures est artisanal. Il y a une multitude de souches sur le marché qui permet d'éviter la standardisation, contrairement à ce qui se produit dans d'autres secteurs, tels que la boulangerie. Pour certaines références, nous produisons moins d'une tonne de levures par an au niveau mondial. Il faut également se rappeler que la levure est un micro-organisme vivant, pas un produit chimique, et que la déshydrater constitue le mode de production le plus stable, le plus sûr et le plus pratique pour les vignerons. Face aux discours pro-levures indigènes, le consommateur est perdu. Notre filière devrait se mobiliser pour communiquer et adresser un contre-message. Le sujet commence à devenir problématique, il faut le prendre au sérieux. »