TROIS À QUATRE ANS S'ÉCOULENT entre l'abattage d'un chêne et l'expédition d'une barrique. © M. BAZIREAU
LES ACHETEURS DE BOIS se fournissent dans de hautes futaies de chênes sessiles, à forte densité de plantation. Ce mode de sylviculture favorise la concurrence entre les arbres et permet d'obtenir de grands troncs rectilignes.
Les acheteurs veillent à ce que les troncs ne soient pas vissés, n'aient pas été attaqués par les insectes et ne présentent pas de noeuds. Ces défauts feraient fuire les barriques.
À LA MERRANDERIE, les grumes sont stockées à l'extérieur et arrosées pour éviter les attaques d'insectes et de champignons.
Elles sont ensuite fendues en billons d'un mètre et passent devant un laser qui optimise les lignes de coupe.
Les billons passent sur les lignes de sciage où ils sont transformés et en petites planches d'au moins 22 mm d'épaisseur et 50 mm de largeur.
Les billons passent sur les lignes de sciage où ils sont transformés et en petites planches d'au moins 22 mm d'épaisseur et 50 mm de largeur.
POUR RÉPONDRE AUX BESOINS DES CLIENTS précisément, à leur arrivée à la tonnellerie, les merrains sont soumis à l'Oakscan, un spectromètre à infrarouges qui mesure le potentiel tannique de chaque pièce. Puis ils sont transformés en douelles : ils sont écourtés, « dolés » puis évidés.
La barrique ainsi constituée est arrosée, préchauffée et cintrée. Cette étape dure entre 30 et 45 minutes.
Filiale du groupe Tonnellerie François Frères depuis 2012, numéro 1 mondial du secteur, Radoux vend ses barriques aux quatre coins du monde. Les 18 et 19 mai derniers, le tonnelier a invité La Vigne à découvrir toutes les étapes de la production d'une barrique.
L'approvisionnement. Dans les futaies de chênes sessiles
Notre parcours démarre au sein de la forêt de Loches, dans l'Indre-et-Loire, au coeur du Berry. Accompagnés de Pierre-Guillaume Chiberry, responsable commercial France et directeur marketing de Radoux, et de Gaël Morissonneau, l'un des deux acheteurs de bois de la tonnellerie, nous nous arrêtons au milieu d'une haute futaie, entourés de grands chênes sessiles au port bien droit. Le ciel a beau être dégagé, peu de lumière nous parvient. L'acheteur nous explique que pour fabriquer des barriques de qualité, il faut des forêts à haute densité de plantation. « Les chênes s'y concurrencent et cherchent la lumière en hauteur. Par conséquent, les troncs sont longs et bien rectilignes. De plus, ce mode de sylviculture autorise peu la pousse de branches, lesquelles laissent des noeuds sur les troncs, ce qui les rend inexploitables en tonnellerie. » De la même façon, les acheteurs laissent de côté les arbres torsés (ou vissés), attaqués par des champignons ou des insectes, les bois secs et les bois morts, défauts rédhibitoires car sources de fuites.
8 000 m3 de chêne par an
Pour fabriquer ses 200 barriques quotidiennes, Radoux achète l'équivalent de 8 000 m3 de chêne français chaque année. Les arbres sont abattus autour de 150 ans. Les acheteurs s'approvisionnent dans quatre bassins : le Sud parisien, le Centre-Ouest, les Vosges et le Limousin où ils trouvent du chêne pédonculé (Quercus robur), un bois plus tannique et moins aromatique que le chêne sessile, traditionnellement réservé à l'élevage des spiritueux. Dans tous les cas, les tonneliers recherchent des arbres à croissance lente, car ils fournissent un bois au grain fin, aromatique et peu tannique, convenant parfaitement à l'élevage du vin.
Mais comment repérer le grain d'un arbre lorsque celui-ci est encore sur pied ? L'acheteur doit connaître les bons terroirs et avoir du flair. En effet, l'ONF (Office national des forêts) comme les propriétaires privés vendent leurs chênes par lots et selon deux modalités. Dans le premier cas, les arbres sont sur pied. À l'acheteur de se déplacer et d'estimer la quantité et la qualité des merrains qu'il pourra en tirer. Dans le second cas, les chênes sont déjà abattus. C'est la modalité « bord de route ». Les cernes de croissance sont alors bien visibles, facilitant la tâche de l'acheteur. Dans les deux cas, le bois est vendu aux enchères, à l'aveugle, de septembre à début mai. Aucun acheteur ne sait combien les autres ont proposé. L'adjudicateur attribue chaque lot au plus offrant. « Lorsqu'un lot contient de très belles pièces, nous avons tout intérêt à faire une offre supérieure au prix du marché pour l'avoir. Ce système d'enchères est inflationniste », indique Gaël Morissonneau. Particularité pour l'Alsace et la Moselle : l'adjudication y est faite au rabais, en séance publique. Un crieur donne la mise à prix puis le baisse progressivement jusqu'à ce qu'un acheteur dise « je prends » ou que le directeur de vente retire le lot si le crieur atteint le prix de retrait.
Subtilité, les acheteurs de Radoux ne s'adressent pas directement à l'ONF. Ils estiment les quantités et qualités de merrains disponibles sur un lot et chargent un négociant en bois de l'acheter. Celui-ci revend ensuite les merrains au tonnelier et le reste de l'arbre à d'autres clients comme bois de chauffage ou de menuiserie.
De la grume au merrain. 18 à 24 mois de maturation
Deuxième étape de notre visite : la merranderie Sciage du Berry. Radoux l'a créée en 1987 pour contrôler son approvisionnement. Nichée au coeur d'un parc Natura 2000, à Mézières-en-Brenne, dans l'Indre, elle occupe une trentaine de salariés et couvre environ 80 % des besoins en bois de la tonnellerie Radoux, le solde étant acheté à l'extérieur. « Nous traitons une trentaine de mètres cubes de bois par jour, explique Thomas Giordanengo, ingénieur R & D. En moyenne, 5 m³ de grume sont nécessaires à l'obtention de 1 m³ de merrains avec du chêne sessile. Avec le chêne américain, le rendement est quatre fois supérieur. Ceci explique en grande partie la différence de prix entre une barrique de chêne américain et une barrique de chêne français : 400 € contre 700 €. » À titre indicatif, un merrain, future douelle, vaut environ 10 €. Pour assurer la traçabilité, un code-barres est fixé sur chaque grume achetée. Ces dernières arrivent par camion, pour un coût de transport d'environ 35 € la tonne. Arrivées à la merranderie, elles sont stockées à l'extérieur et arrosées, dès que la température excède les 15 °C, pour prévenir les attaques d'insectes et de champignons. En moyenne, six à huit mois s'écoulent jusqu'à leur traitement.
Le moment venu, les grumes sont d'abord délestées de leurs têtes et culées (sources de défauts revendues en tant que bois de chauffage), débitées en billons d'un mètre, puis fendues en deux, à coeur, dans le sens du fil. Une fois dans l'atelier, les tronçons nés du bois ainsi fendu passent devant un laser qui dessine les lignes de coupe optimales sur leur tranche. Un ouvrier est chargé de les marquer au feutre. Les tronçons sont ensuite dispatchés sur trois lignes de sciage pour être découpés en petites planches d'au moins 50 mm de large et de 22 mm d'épaisseur, pour une pièce bourguignonne, ou de 27 mm pour une barrique bordelaise: les merrains. L'écorce et l'aubier sont vendus pour faire de la pâte à papier ou du bois de chauffage. Le reste du bon bois, qui ne peut pas être scié en merrains, est transformé en copeaux. En effet, Radoux présente également une gamme de « bois pour l'oenologie », produits alternatifs, copeaux de bois et staves. Environ 10 % d'une grume sont ainsi transformés.
Quinze jours d'arrosage
À la fin du sciage, deux opérateurs contrôlent l'orientation du fil des merrains et cherchent d'éventuels défauts. Pour finir, les merrains sont triés selon leur grain et mis sur des palettes. C'est le début de la maturation. Elle démarre par une phase d'arrosage, 12 heures par jour pendant 15 jours dans le but de lessiver le bois et d'initier un bon séchage. Des 15 % des composés extractibles du bois, 5% sont ainsi éliminés, en majorité les tanins agressifs. Les merrains sont ensuite stockés dans un parc de quatre hectares pendant une durée de 18 à 24 mois. Pendant cette période, « des précurseurs aromatiques sont hydrolysés, explique Thomas Giordanengo. La quantité de lactones augmente de 20 à 30 %. De plus, les tanins amers sont éliminés. » À la fin, les merrains ne contiennent plus que 16 % d'humidité, alors qu'en forêt l'arbre peut atteindre 120 % d'humidité : il contient plus d'eau que de bois. Ils sont alors prêts pour être acheminés vers Jonzac, siège de la tonnellerie, en Charente-Maritime.
Du merrain à la barrique. Une fabrication en flux tendu
À Jonzac, les tonneliers travaillent à la commande. Radoux stocke très peu de fûts. Dans l'atelier de fabrication, l'ambiance est animée. De nombreuses machines et une quarantaine d'ouvriers s'activent. Pour commencer, ils écourtent à 95 cm les merrains que les caristes leur apportent depuis leur lieu de stockage. Puis, étape cruciale et propre à Radoux, ils les soumettent un à un à l'Oakscan, un spectromètre à infrarouges développé par l'équipe R & D de la tonnellerie, appuyée par l'Inra et l'Irstea, qui analyse le bois à différentes longueurs d'ondes et mesure le potentiel tannique de chaque pièce. L'Oakscan donne un indice polyphénolique compris entre 0 et 100. Les merrains sont divisés en quatre catégories : A (pour un IP inférieur à 20), F (entre 20 et 40), Y (entre 40 et 60) et M (IP supérieur à 60, catégorie réservée aux alcools). Un code-barres et une lettre sont imprimés sur chaque pièce. Les différentes qualités sont assemblées en fonction de la demande des clients. Par exemple, les barriques composées de merrains Y, à fort potentiel tannique, pourront être destinées à l'élevage de vins blancs, pour une meilleure résistance à l'oxydation.
Lors de l'étape suivante, les merrains sont transformés en douelles. D'abord, une machine, la « doleuse » donne une forme concave à leur face extérieure afin d'obtenir des barriques bien cylindriques. Puis, l'évidage élimine une partie du bois à l'intérieur des douelles pour faciliter le cintrage des barriques. Dernière étape, la douelle est rendue plus étroite à ses extrémités qu'en son milieu.
Mise en rose
Après ce façonnage, deux ouvriers réalisent la « mise en rose ». Ils disposent les douelles sélectionnées pour la fabrication d'une barrique à l'intérieur de deux cercles métalliques. L'ensemble est ensuite légèrement chauffé et arrosé une première fois. Sous l'effet de ce traitement, le bois retrouve de la flexibilité. Dès lors, un ouvrier peut resserrer les douelles par le bas, à l'aide d'un treuil. C'est le cintrage. Désormais formée, la barrique est prête pour la chauffe. Pour Pierre-Guillaume Chibérry, « c'est là que tout se joue ». La chauffe développe des arômes qui complètent ceux obtenus lors du séchage naturel du chêne. Une vingtaine de chauffes différentes peuvent être mises en oeuvre, en jouant sur les températures et durées. La chauffe comporte deux phases : une phase longue à température basse, la « recuisson », pour que les douelles ne cassent pas au refroidissement, puis une chauffe courte et forte, le « bousinage ». Au total, la chauffe dure entre 30 et 45 minutes, à des températures comprises entre 180 et 220 °C.
Après la cuisson, une entaille est rognée à l'intérieur de la barrique, à quelques centimètres de chaque bord. C'est l'enjablement : la rainure où se logera le fond de la barrique.
Ces fonds sont fabriqués dans un atelier annexe. Là, un ouvrier s'affaire. Il assemble de petits merrains après avoir minutieusement inséré des bandes de jonc de mer entre eux pour rendre leur jointure étanche. Lorsqu'il a terminé, il trace un cercle sur la pièce qu'il a formée, puis le découpe. Et voilà un fond dont le pourtour sera taillé en biseau.
Avant le montage final, une machine dépose une sorte de colle faite d'un mélange d'eau et de farine dans l'enjablement de la barrique. Puis les fonds sont mis en place, après une éventuelle chauffe très courte dans un four à résistance. Dernières étapes, le percement du trou de bonde et la pose des cercles définitifs.
La barrique est terminée. Avant de quitter la tonnellerie, elle passe des tests d'étanchéité et de résistance à la pression. Si elle échoue, elle est réparée. Si elle réussit, elle passe entre les mains d'une paire d'ouvriers qui vont la poncer, la sécher, la marquer du logo du tonnelier et l'emballer. La barrique est désormais prête pour l'expédition. Trois à quatre ans se sont écoulés depuis l'abattage du chêne dont elle est issue.
Vers une pénurie de chênes de qualité?
La tonnellerie représente le premier débouché en valeur pour le chêne français. Elle réalise 70 % de ses approvisionnements, soit environ 265 000 m3 de grumes par an, dans des forêts publiques. « La ressource de bois sur pied s'élève actuellement à 15 millions de mètres cubes répartis pour 54 % en forêts publiques et pour 46 % en forêts privées. La quantité de chênes sessiles est suffisante pour la production de barriques de qualité. Néanmoins, dans les années à venir, les volumes tendraient à diminuer en futaie et à augmenter en taillis sous futaie. Ceci pourrait amplifier une tension sur les prix déjà forte depuis deux ans », indique la Fédération des tonneliers de France, selon une étude réalisée par l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN) et l'Office national des forêts (ONF).
Le taillis sous futaie est un mode de sylviculture où plusieurs espèces cohabitent. Les chênes côtoient souvent des charmes, des arbres plus petits qui ne les concurrencent pas en hauteur. Ils sont plus vigoureux ;
le grain de leur bois est moins fin. Ils portent plus de branches le long des troncs qu'en futaie, ce qui est source de défauts dans le bois.
De plus, le changement climatique accélère encore la croissance des chênes. C'est la double peine pour les tonneliers.
Radoux produit aussi ses copeaux
Pierre-Guillaume Chibérry, directeur commercial France et directeur marketing de Radoux le rappelle : « À l'échelle mondiale, seuls 5 % des vins voient la barrique. » L'autorisation en 2006 d'utiliser des copeaux et autres alternatifs durant l'élevage puis la vinification
a constitué une belle opportunité de croissance pour l'entreprise. « Tout comme les merrains, nos copeaux sont maturés à l'extérieur, dans un parc de bois à broyer. Grâce au procédé Oakscan, développé en 2009 pour les barriques et adapté aux copeaux en 2011, nous calculons l'indice polyphénolique de nos planches et les trions en deux catégories, selon leur potentiel tannique. Elles seront ensuite chauffées puis broyées au sein de la merranderie, dans une unité dédiée aux copeaux. »