L'engouement du public et des critiques pour les vins sans sulfites ajoutés ne s'essouffle pas. Le phénomène amène de plus en plus d'opérateurs à se lancer, même si l'on estime que moins de 2 % des vignerons ne sulfitent pas du tout leur vendange ni leurs vins. Comment font-ils pour se passer d'un produit aussi polyvalent, efficace et bon marché ? La Vigne a interrogé des vignerons et a retenu le témoignage de six d'entre eux, issus de différentes régions. Tous ne vinifient qu'une partie de leur récolte sans sulfites. Certains ont beaucoup d'expérience, d'autres viennent tout juste de se lancer.
Une vendange saine à tout prix
Au-delà de leur diversité, tous sont d'accord sur un point : une vendange saine est la condition sine qua non pour espérer vinifier un bon vin sans sulfites ajoutés. Sélection des parcelles ou tri des vendanges sont donc de mise. Pour la suite, les avis divergent sur la méthode. Récolte manuelle ou mécanique ? Les techniciens préconisent de privilégier les vendanges à la main pour limiter l'oxydation. Des vignerons suivent leur conseil. D'autres récoltent à la machine puis encuvent au plus vite. À cette condition, ils affirment que la récolte mécanique peut être compatible avec la production de vins sans soufre.
Sur les schémas de vinification, les avis divergent encore davantage entre ceux qui s'entourent de multiples précautions et les partisans du laisser-faire.
Du tout contrôle au laisser-faire
Les premiers utilisent tous les procédés et produits modernes pour protéger leurs vins de l'oxydation et des altérations microbiennes. Ils inertent leurs cuves et rentrent leur vendange fraîche, ou la refroidissent, si besoin. Puis ils levurent et ensemencent avec des bactéries lactiques. Après la fin des fermentations, ils mettent rapidement leurs vins au propre, font des élevages courts, filtrent très serré et mettent en bouteilles inertées, seulement quelques mois, voire quelques semaines, après la récolte. Objectif : stabiliser et mettre les vins à l'abri.
Les seconds veulent produire des vins les plus naturels possibles et refusent de bousculer la nature. Ayant rentré une récolte saine, ils partent du principe qu'elle résistera aux assauts de l'oxygène et des bactéries. Ils pratiquent des élevages longs durant lesquels les vins se clarifient et se dépouillent d'eux-mêmes de leurs germes.
Entre ces deux extrêmes, d'autres interviennent peu tout en pratiquant une surveillance microbiologique attentive de leurs cuvées, et sont prêts à agir dès qu'ils repèrent une déviation bactérienne.
Quel que soit l'itinéraire choisi, à l'arrivée, tous vendent leur vin plus cher. Ils nous expliquent leur « recette » dans les pages qui suivent.
Le Point de vue de
LES CONSEILS DE JEAN-MICHEL SALMON, DIRECTEUR DE RECHERCHES À L'INRA PECH ROUGE (AUDE)
« Vinifier sans SO2, c'est courir après le temps »
- Pour se passer du SO2, l'hygiène du matériel de la cave et l'état sanitaire du raisin doivent être parfaits. Il est donc préférable de vendanger à la main, ou tout du moins de trier à l'arrivée au cuvier dans le cas de vendanges mécaniques. Pour ralentir l'oxydation, une des solutions est l'ajout de CO2 solide dans le fond des cuves de la MAV. Surtout, il faut chercher à minimiser le temps de transport jusqu'au cuvier.
- Une fois le raisin encuvé, mieux vaut le levurer rapidement avec des doses correctes en LSA pour éviter la phase de latence. On préparera au moins un pied de cuve pour occuper rapidement le terrain. De même, le mieux est de déclencher la FML en ensemençant en bactéries.
- La fin de la FA est une période à risque car la baisse du dégagement de CO2 met le vin à nu. Pour se prémunir des effets indésirables de l'oxydation, en amont, on peut, par exemple, flash-pasteuriser les moûts blancs et rosés. Cette technique dénature la polyphénoloxydase, enzyme responsable des brunissements. Après la FML, il est crucial de mettre les vins au propre le plus vite possible. Lors du conditionnement, il faudra les filtrer avec un seuil de coupure bas. En outre, on pourra inerter les espaces de tête des bouteilles en envoyant une goutte d'azote liquide à la surface du vin, qui à elle seule retire 90 % de l'O2. Enfin, l'obturateur doit être adapté aux capacités oxydatives du vin. »