Les chercheurs en oenologie du monde entier se sont donné rendez-vous du 29 juin au 1er juillet, place de la Bourse, à Bordeaux. Le point sur leurs dernières avancées...
Réchauffement
Le goût du bordeaux en question
Le consommateur appréciera-t-il les bordeaux élaborés sous un climat plus chaud ? Pour le savoir, l'ISVV (Institut des sciences de la vigne et du vin) de Bordeaux et l'Inra ont conduit une étude originale, combinant analyse sensorielle et économie expérimentale. Les chercheurs ont d'abord fait déguster une trentaine de vins rouges à dominante merlot à des professionnels, en leur demandant de les classer selon l'intensité de leurs notes de figue et de pruneau, des descripteurs couramment attribués au réchauffement climatique. Après quoi, ils ont retenu trois vins : un « A », peu représentatif du réchauffement, titrant 13,9 % vol. alc., un « B », jugé très représentatif à 15,2 %, et un « C », intermédiaire, à 14,4 %.
184 consommateurs, divisés en deux groupes, les ont ensuite dégustés, notés et leur ont octroyé le prix auquel ils étaients prêts à les acheter. Le premier groupe a fait ce travail en laboratoire. Le but : récolter leur « première impression ». Dans ce contexte, ils ont préféré le vin emblématique du réchauffement climatique (le B) - appréciant son côté « fruits cuits » -, qu'ils sont prêts à payer plus cher. Les membres du deuxième groupe ont, eux, dégusté les vins chez eux avant chaque repas pendant deux jours. Dès lors, une nette inversion s'est opérée : ils ont jeté leur dévolu sur le vin classique (le A) - moins alcooleux -, lui conférant un prix 6 % plus cher que celui du groupe 1. À l'inverse, ils ont attribué au vin B un prix inférieur de 20 % à celui donné par le premier groupe. Une mauvaise nouvelle pour les vignerons de la région car, malgré un attrait initial, les bordeaux issus du réchauffement climatique ne devraient pas plaire à la majorité sur le long terme. Dès lors, si les viticulteurs n'adaptent pas leurs techniques, les consommateurs pourraient être tentés de se rapprocher des vins septentrionaux.
Bois de chêne
Distinguer les deux espèces à coup sûr
L'ISVV de Bordeaux parvient à distinguer avec certitude le chêne sessile du chêne pédonculé, grâce à l'analyse de leur composition en triterpènes. Depuis 2011, Axel Marchal, maître de conférences à l'ISVV, a identifié une vingtaine de ces composés, qui peuvent être regroupés selon que leur saveur est sucrée ou amère. Le chercheur a ainsi découvert que le chêne sessile est généralement plus riche en quercotriterpénosides (QTT) I, II et III, à saveur sucrée. Un critère insuffisant cependant car certains chênes sessiles en contiennent aussi peu que le pédonculé. Heureusement, il a aussi remarqué que ce dernier présente plus de triterpènes amers. Il a alors calculé le ratio entre les triterpènes des deux catégories et constaté qu'un facteur de 100 au minimum sépare les deux espèces, ce qui supprime tout risque d'erreur. « En plus d'aider à la sélection de bois, cette méthode pourra être utilisée comme outil de traçabilité des barriques, d'autant que la chauffe des douelles ne modifie pas les résultats », a-t-il expliqué. Ces travaux ont été menés en partenariat avec Seguin Moreau et Rémy Martin.
Arômes du chêne
Tout dépend du grain
Le chêne sessile est souvent plus aromatique et moins tannique que le chêne pédonculé. Mais les tonneliers se fondent plus sur le grain que sur l'espèce pour classer leurs barriques. Quel paramètre a le plus d'impact sensoriel ? Pour le savoir, des chercheurs du groupe Chêne & Cie ont mené une petite expérience. Ils ont analysé l'ADN de plusieurs chênes pour en identifier l'espèce, et ont mis trois palettes de merrains à maturer : du chêne sessile à grain fin, du chêne de la même espèce à grain grossier et du chêne pédonculé. En début de maturation et au bout de six mois, ils ont analysé les teneurs en composés aromatiques de chaque lot. Résultat : aux deux périodes étudiées le chêne sessile à grain fin présentait beaucoup plus de whisky-lactone (arômes de noix de coco) que celui à gros grains, le chêne pédonculé, lui, n'en contenant pas du tout. Le grain a donc bien un impact sur ce composé aromatique. Les résultats des dosages de l'eugénol (clou de girofle) et de la vanilline (vanille) sont, eux, plus nuancés. Concernant les ellagitanins (tanins du bois qui donnent de l'amertume), aucun lot n'en présentait en début de maturation. Après six mois, c'est le chêne pédonculé qui en contient le plus. Les travaux se poursuivent pour savoir si ces différences persistent après 18 mois de maturation du bois et sur les barriques.
Thiols
Un effet protecteur du glutathion
Les thiols, et notamment le 3MH et l'A3MH (acétate de 3MH), sont des molécules très instables qui peuvent réagir avec de nombreux composés du vin. Certaines liaisons sont irréversibles et provoquent une perte aromatique. Mais celles qui se créent entre les thiols et d'autres composés soufrés (disulfures) sont réversibles. « Les formes disulfures constituent donc une réelle réserve aromatique », indique Aurélie Roland, responsable projets chez Nyséos. Aidée par l'IBMM, cette société a développé une méthode qui permet de doser la part de thiols piégés sous forme de disulfures à l'instant « t ».
Nyséos a ensuite voulu savoir quels étaient les effets d'un ajout d'oxygène, de cuivre ou de glutathion sur le potentiel « thiol » des vins. Elle a donc choisi trois vins jeunes, contenant tous plus de 90 % de thiols sous forme libre. Sept jours après chaque traitement, elle a mesuré à nouveau le taux des thiols. Résultat ? L'oxygénation a fait chuter la proportion de thiols libres, sans changer celle des formes disulfures, d'où des pertes aromatiques irréversibles. Le cuivre a fait disparaître les thiols libres mais a augmenté le réservoir aromatique. Quant au glutathion, il n'a pas eu d'impact sur les thiols libres ou liés. Mais cet élément s'est combiné avec d'autres substances oxydantes du vin, protégeant ainsi les thiols pour le futur. À terme, cette nouvelle méthode devrait permettre de prédire la durée de conservation du potentiel aromatique d'un vin thiolé et de mieux gérer son vieillissement.
Thiols
Nouveaux précurseurs pour le 3MH
Le 3-Mercaptohexanol (3MH), renommé 3-Sulfanylhexanol (3SH), est un thiol qui confère à de nombreux vins des arômes de pamplemousse, d'agrumes et de fruits exotiques. Presque absent dans le moût, il est, en réalité, en partie rattaché à de la cystéine (Pcys3SH) ou à du glutathion (Pgsh3SH) et libéré par la levure au cours de la fermentation alcoolique. C'est alors qu'on le perçoit. Mais une partie du 3SH provient d'ailleurs. Dans le cadre de sa thèse réalisée à l'ISVV de Bordeaux, Caroline Böcker a découvert deux nouveaux précurseurs du 3SH dans le moût de sauvignon : une forme aldéhydique et une sulfurique. La chercheuse les a dosés et a montré que l'ensemble des précurseurs du 3SH connus à ce jour contribue pour 65 % seulement au 3SH libre que l'on retrouve dans les vins. On peut donc espérer en découvrir d'autres à l'avenir. D'ores et déjà, ces travaux vont permettre une meilleure prédiction des teneurs en 3SH dans les vins de sauvignon.
Odorat Un sens influencé par la culture
Gabriel Lepousez, chercheur à l'Institut Pasteur, a exposé les dernières avancées concernant notre système olfactif, capable de percevoir la multitude d'odeurs et qui est à l'oeuvre lorsque nous dégustons. « On sait depuis 2014 que les 400 récepteurs olfactifs que possède l'homme, soit environ 2 % de son génome, lui permettent de différencier 1 000 milliards d'odeurs. » Notamment, grâce à la faculté des molécules odorantes de se fixer sur différents récepteurs. 30 % de ces récepteurs sont différents d'une personne à une autre, ce qui explique que nous ne percevons pas un vin de la même manière que notre voisin. Mais ce sont surtout notre mode de vie et notre apprentissage qui nous différencient. « Ainsi, lors de la dégustation d'une même molécule, les Français ont perçu une odeur de fraise alors que les Chinois ont parlé d'ananas. On l'explique par les différences d'habitudes alimentaires. » Toujours selon Gabriel Lepousez, le système olfactif des dégustateurs « experts » ne se dégrade pas avec l'âge, contrairement à celui du reste de la population. Le chercheur a enfin expliqué que les récepteurs n'ont pas la même affinité pour toutes les molécules odorantes. Pas de chance, ils sont friands des mercaptans (odeur d'oeuf pourri), ce qui explique en partie le faible seuil de perception de ce composé.
Santé Le resvératrol contre Parkinson
On connaissait les vertus du vin rouge vis-à-vis des maladies cardiovasculaires. Il pourrait également aider dans la lutte contre la maladie de Parkinson. C'est l'une des conclusions du Gesvab (Groupe d'études des substances végétales à activité biologique) de l'Université de Bordeaux. Ceci grâce aux stilbènes, des polyphénols naturellement présents dans le raisin, parmi lesquels le resvératrol. Le cerveau des personnes atteintes de la maladie de Parkinson présente des agrégats en forme de « spaghettis », des fibrilles composées d'une seule et même protéine, l'alpha-synucléine. Celle-ci n'est pas nocive en soit mais son agrégation provoque la destruction de la dopamine, un neurotransmetteur. Le Gesvab a étudié in vitro l'action de 4 monomères et polymères de stilbènes. Tous réduisent la formation des fibrilles, mais le resvératrol est le plus efficace, avec 80 % de fibrilles en moins. Il a aussi une action curative puisqu'il détruit les fibrilles déjà formées. Santé !