« Un vin oxydé lors du conditionnement est endommagé de façon irréversible », ont insisté Carole Puech et Sophie Vialis, chargées d'études chez Inter Rhône lors d'une conférence sur la durée de vie des vins conditionnés, le 23 juin, à Avignon (Vaucluse). Leur maître mot : la prévention.
1. Réajustez le SO2
« La mise s'anticipe », rappelle Sophie Vialis. Deux, voire trois semaines sont nécessaires pour tout préparer. Durant cette période, vérifiez la stabilité microbiologique du vin et sa teneur en SO2.
Durant la préparation à la mise, les vins subissent des traitements et mouvements susceptibles de les enrichir en oxygène, ce qui élimine du SO2 par oxydation en sulfates. Ces pertes peuvent vite s'élever à 10 mg/l de SO2 libre. Il faut donc analyser la teneur en SO2 une première fois quelques semaines avant la mise, la réajuster si nécessaire, puis l'analyser de nouveau une semaine avant la mise, une fois le vin prêt. Les doses recommandées varient d'un vin à l'autre mais, selon Carole Puech, « au remplissage, le SO2 libre doit être compris entre 25 et 40 mg/l sur bouteille, et entre 30 et 45 mg/l sur bib car c'est un emballage plus perméable ». On vise le haut de ces fourchettes si les vins doivent partir à l'export, sur des circuits commerciaux longs. Les valeurs basses suffisent pour une mise sur le marché rapide.
Surveillez aussi la part de SO2 actif. C'est la fraction « antioxydante ». Selon la température et le pH du vin, elle doit osciller entre 0,35 et 0,60 mg/l. Des logiciels gratuits la calculent en ligne.
2. Filtrez bien le vin
Employez un filtre adapté au volume et à l'état du vin à traiter. Mesurez le coefficient de filtrabilité Lamothe-Abiet (CFLA) car « on peut avoir des vins troubles qui se filtrent très bien, et inversement », prévient Sophie Vialis. Cet outil donne un bon repère pour le choix du média filtrant à utiliser avant la filtration finale. On évite ainsi les colmatages précoces et les brassages qui en résultent. Enfin, mettez doucement le vin à 15 °C, température idéale pour la mise.
3. Conservez du CO2
« Quitte à décarboniquer la veille ou l'avant-veille du conditionnement, il est important de garder le plus longtemps possible une forte teneur en CO2 dans les vins », explique Sophie Vialis. En effet, les vins riches en CO2 résistent mieux à la dissolution de l'oxygène. Inter Rhône a transféré deux vins rouges dans les mêmes conditions. Le premier renfermait 300 mg/l de CO2 au départ et affichait près de 2 mg/l d'O2 dissous en fin de transfert. Le second contenait 1 000 mg/l de CO2. et moins d'1 mg/l d'O2 à l'arrivée. Des résultats similaires ont été obtenus sur les rosés et les blancs.
4. Inertez les circuits
L'inertage est un autre paramètre clé avant et pendant le conditionnement. Réservez de préférence l'azote aux manches et aux pompes. « Plus les manches sont longues, plus on doit inerter longtemps. Quelques secondes ne suffisent pas. » Inter Rhône a ainsi montré que pour passer sous 0,5 % d'oxygène dans un tuyau de 10 m, il faut injecter de l'azote pendant au moins 8 min à raison de 12 l/min. Pour obtenir le même résultat dans un tuyau de 45 m, il faut patienter 13 min. Avec un débit de 90 l/min d'azote, 1 min est nécessaire avec des tuyaux de 10 et 20 m, contre 2 min avec un tuyau de 45 m.
Pour inerter les cuves, utilisez plutôt du CO2 et préférez le tromblon à l'injecteur. En effet, le tromblon forme un matelas gazeux homogène tandis qu'avec l'injecteur, le matelas n'est efficace que sur 30 cm de haut. Vous pouvez aussi désoxygéner le vin. Sophie Vialis préconise de le faire lors d'un transfert. Le débit d'injection du gaz neutre doit être à 10 % de celui de la pompe, ou 30 % si la température du vin est inférieure à 5 °C.
5. Choisissez bien les matières sèches
Si le ratio SO2 libre/total d'un vin est mauvais, c'est qu'il a été oxydé. Le conditionner en bouteille de 37,5 cl n'est pas judicieux car plus le contenant est petit, plus l'oxygène présent dans l'espace de tête au-dessus du vin aura un impact sur sa conservation. Quant au bouchon, il définit la quantité d'oxygène qui passera dans le vin durant son stockage. « L'obturateur doit être choisi selon le profil du vin et sa durée de vie souhaitée », indique Carole Puech. Certains obturateurs ont une forte variabilité, comme le liège naturel, contrairement au synthétique. Enfin, mieux vaut vérifier vos matières sèches à la livraison.
6. Soyez méticuleux
Le jour J, il faut être vigilant. En effet, des essais ont montré qu'un fort apport d'oxygène au moment de la mise en bouteilles a autant d'impact sur l'évolution du vin que des apports modérés durant tout le cycle de production. D'abord, veillez à ce que les raccords soient bien serrés et les joints en bon état pour ne pas provoquer de turbulences ni d'aspiration d'air. « La pompe doit être placée au plus près de la cuve d'alimentation, précise Sophie Vialis. Et gare aux fuites, surtout lorsqu'elles se situent en amont de la pompe, car c'est là que l'on prend le plus d'oxygène. »
Désinfectez et rincez correctement la chaîne de tirage. Doit suivre une purge du circuit ou, mieux, un avinage pour ne pas trop diluer et oxygéner les bouteilles ou bib. « Il faut aussi régler la tireuse pour obtenir le bon espace de tête, et l'inerter. » En effet, 1 ml d'air dans l'espace de tête correspond à 0,3 mg d'O2. Pour les bib, réglez la table de façon à trouver l'inclinaison qui laisse le plus petit cône d'air.
« Mieux vaut aussi réserver les bouteilles ou bib de début et fin de tirage à des circuits courts ou à la vente en caveau car c'est là que l'oxygénation est la plus élevée. »
Après la mise, manipulez les bouteilles ou bib avec précaution. « On évitera ainsi de déposer les bib sur une palette sans carton de protection, les clous risquant de les percer », indique la technicienne.
7. Veillez aux conditions de stockage
« La température optimale de stockage et de transport du vin se situe entre 10 et 20 °C », estime Carole Puech. Hélas, ce n'est pas toujours le sort qui lui est réservé (voir encadré). La chaleur provoque une perte d'arômes et de couleur. L'Inra a d'ailleurs montré qu'en passant de 20 à 30 °C, la durée de vie d'un bib diminue de moitié.
Transport Encore des conditions délicates
Entre 2011 et 2013, Inter Rhône et la société eProvenance ont étudié les conditions de transport des vins partant de la Vallée du Rhône. Pour cela, ils ont posé des capteurs de température sur trente-quatre palettes à destination de l'Asie, de l'Amérique du Nord, de l'Europe et de l'Océanie. Seuls 62 % des vins ont voyagé dans des conditions optimales, soit entre 10 et 20 °C. 22 % ont subi lors du transport des températures supérieures ou inférieures de 5 °C aux températures optimales, à savoir entre 5 et 10 °C ou entre 20 et 25 °C. Pire, 16 % ont connu des températures à risque, c'est-à-dire inférieures à 5 °C ou supérieures à 25 °C. Les expéditions les plus courtes ne sont pas toujours les mieux loties : le vin exporté au Royaume-Uni et au Danemark a connu des températures supérieures à 25, voire 30 °C. Les lots partis en Chine ont subi les conditions les plus rudes ; ceux destinés au Japon, les meilleures, avec une moyenne de 15 °C sur trois expéditions, et ce grâce au stockage en container frigorifié.
Perméabilité des bib Un nouveau calcul
Actuellement, la perméabilité à l'oxygène des bib s'évalue en suivant l'évolution de la teneur en oxygène dans l'espace de tête des bib (méthode gaz/gaz). Pour Audrey Devatine, maître de conférences à l'INP-Ensiacet, ce n'est pas réaliste. En collaboration avec Vitop et Smurfit Kappa, Inter Rhône a donc développé une nouvelle méthode qui, outre le suivi classique, observe l'évolution de la teneur en oxygène dans le vin. Cela permet d'évaluer les transferts par le robinet, la poche et les soudures. Sur des bib de 3 l, on obtient des quantités d'O2 transféré deux fois plus faibles que celles estimées par la seule méthode gaz/gaz. Les techniciens ont aussi remarqué que les quantités d'oxygène dissous sont jusqu'à deux fois moins importantes en bib de 10 l qu'en bib de 3 l.