Évaluer le prix d'une exploitation viticole n'est jamais simple. « Il faut prendre en compte le contexte, précise Benjamin Devaux, conseiller d'entreprise au CER France Méditerranée, à Narbonne (Aude). On n'évalue pas un domaine de la même manière s'il s'agit de modifier le statut juridique sans changement de propriétaire, ou si c'est dans le cadre d'un décès, d'une cession à un tiers ou de l'installation d'un enfant. »
Pour parvenir à une évaluation qui convienne à toutes les parties, les experts établissent souvent la moyenne entre la valeur patrimoniale de l'exploitation et sa valeur économique. Cette façon de procéder répond également à une demande de l'administration. « L'administration fiscale exige plusieurs méthodes de calcul, confirme Josselin Danier, expert-comptable associé au cabinet BSF, à Libourne (Gironde), membre fondateur du réseau Agiragri. Elle apprécie les valeurs moyennes. Néanmoins, on peut opter pour une méthode unique à condition de bien argumenter. »
La valeur patrimoniale
Pour la calculer, on répond à la question : « Que possède la société d'exploitation, ou l'exploitant s'il est en nom propre ? », puis on effectue la somme de la valeur des biens détenus par l'exploitation : le matériel, le chai, les autres bâtiments, le stock, les vignes, etc. On en déduit ensuite les dettes pour obtenir la valeur patrimoniale. Celle-ci est souvent assez élevée, notamment lorsque les terres valent cher comme dans les régions prisées des investisseurs extérieurs pour lesquels la rentabilité est secondaire. Ils recherchent un nouveau cadre de vie avec un joli bâti, ou réalisent un placement.
La valeur économique
D'une manière générale, celle-ci est nettement moins élevée que la valeur patrimoniale et détermine « ce que rapporte ou va rapporter l'exploitation ». De plus, « elle est assez difficile à évaluer en viticulture en raison du poids du foncier, estime Josselin Danier. Cependant, quand les vignes ne sont pas détenues par la société d'exploitation, c'est l'approche qui a le plus de sens. Cela se passe ainsi dans les autres secteurs d'activité. »
Il existe plusieurs manières de calculer la valeur économique. « On peut se placer dans une approche anglo-saxonne avec la mise en place d'un business plan sur cinq ans et se demander : si mon entreprise rapporte 100 en 2015, combien rapportera-t-elle en 2020 ? Partant de là, on calcule sa valeur », détaille Josselin Danier.
Les autres méthodes se basent sur la rentabilité actuelle de l'exploitation (voir infographie).
L'une d'entre elles consiste à évaluer sa capacité de remboursement. Pascal Donet, responsable du développement chez Altonéo, à Château-Gontier (Mayenne), l'emploie couramment. Il part de l'EBE (excédent brut d'exploitation) moyen des cinq dernières années auquel il soustrait la rémunération du travail des repreneurs, les frais financiers à court terme et 10 % de l'EBE pour parer aux coups durs et pour l'autofinancement. Reste alors la capacité de remboursement.
Prenons le cas d'une exploitation générant un EBE moyen de 100 000 €. Pour estimer sa valeur, Pascal Donet en retire les prélèvements privés (40 000 €), les frais financiers à court terme (2 000 €) et la marge de sécurité (10 000 €). Il reste 48 000 € qui peuvent être consacrés au remboursement du prêt consenti pour l'achat de l'exploitation en question. Or, avec cette somme, on peut acquérir un bien valant 483 000 € en 12 ans à un taux de 3 % par an, assurance décès et invalidité comprise. Pascal Donet en déduit que l'exploitation vaut au maximum 483 000 €. Le choix de douze années correspond à une moyenne, le matériel étant en général amorti sur 6 ans et les bâtiments sur 15 ans. « Je pense que d'ici dix à quinze ans l'évaluation des exploitations se fera principalement sur une base économique, comme cela se pratique avec les PME. C'est déjà le cas pour les élevages hors-sol. La seule question qu'il faut se poser est celle de la rentabilité », estime Pascal Donet.
En viticulture, d'autres paramètres peuvent intervenir, quelle que soit la méthode de calcul retenue, comme la valeur du stock et celle de la marque. « Le stock est souvent un point de discussion intense entre les parties, confirme Benjamin Devaux. Le cédant y voit une valeur, tandis que l'acheteur doute de parvenir à vendre des vins qu'il n'a pas produits. Dernier point : les créances clients dont il faut s'assurer de la solvabilité. »
Préparer le cédant
L'évaluation d'un domaine revêt une forte dimension psychologique. « Pour le cédant, la valeur de son domaine, c'est le fruit de sa vie de travail, relate Benjamin Devaux. Qu'elle se résume à 300 000 € - ce qui arrive parfois - n'est pas simple à accepter. » Pour l'accompagner, cet expert établit un diagnostic cinq ans avant la vente. Les points faibles sont corrigés : amélioration des abords, arrachage d'une vieille vigne visible du caveau, formalisation des accords avec les principaux clients, etc. Pascal Donet, lui, incite les agriculteurs de 50 ans à faire le point sur la rentabilité de leur outil et leur épargne. À cet âge, il est encore temps de se constituer un complément de retraite dans l'hypothèse où l'exploitation sera vendue ou cédée à sa valeur économique. « Les exploitants ne doivent plus compter sur une transmission basée sur une valeur patrimoniale, déconnectée de la rentabilité, explique-t-il. S'ils ne sont pas en mesure d'épargner à 50 ans pour un complément de retraite, il est préférable de ne pas envisager une transmission à un enfant. Autant vendre au plus offrant ! »