LES VIEUX CEPS de primitivo font la fierté de Nicola Chiaromonte. Ce sont eux qui donnent les plus hauts degrés d'alcool. P. BOURGAULT
À LA CANTINA DUE PALME, à Cellino San Marco, 1 200 viticulteurs livrent leur raisin pour produire des vins qui sont exportés à 70 %. P. BOURGAULT
À LA COOPÉRATIVE DUE PALME, le chai est humidifié régulièrement par des pulvérisations d'eau pour réduire la consume. P. BOURGAULT
Située entre les mers Adriatique et Ionienne, face à l'Albanie, la plaine des Pouilles constitue le talon de la botte italienne. C'est le second vignoble d'Italie en superficie, après la Sicile.
Les Pouilles furent un très important fournisseur de vins de table en vrac. Mais ces temps sont révolus. « Le vignoble a régressé de 102 000 ha en 2006 à 84 000 ha en 2013, souligne Denis Pantini, chef de projet sur le site web wine-monitor.it. La récolte est passée de 8,3 Mhl (millions d'hectolitres) en 2005 à 4,7 Mhl en 2014 - une chute supérieure à la moyenne italienne. La proportion de vin de table a diminué au profit du vin de qualité (IGT, DOC et DOCG). Mais le changement le plus significatif concerne la valeur des exportations. Alors qu'elles représentaient 60 M€ en 2006, elles sont passées à 120 M€ en 2012 et 95 M€ en 2013. Par ailleurs, les Pouilles embouteillaient 14 % du vin qu'elles produisaient. Sept ans plus tard, on est à 40 %. Aujourd'hui, les bouteilles représentent plus de 90 % des exportations en valeur. Le premier marché est l'Allemagne, suivi de la Suisse et de la Suède. »
Comment les vignerons ont-ils réussi cette mutation ? Pour le savoir, nous avons rencontré quatre entreprises de tailles diverses : de 33 à 2 400 ha. Tous élaborent des vins rares, pour amateurs de curiosités. Tous ont mis en avant les cépages rouges locaux avec lesquelles ils produisent des vins séduisants dont la légère sucrosité arrondit les saveurs. La réglementation le leur permet puisqu'elle admet jusqu'à 10 g/l de sucre résiduel dans les DOC (IGP locales). Ces rouges sont intenses et chaleureux, prêts à boire quelques mois après la vendange. Ils dégagent des arômes de fruits noirs à l'alcool, de figues, de réglisse, de chocolat... tout en gardant une certaine fraîcheur. Un style « Nouveau Monde » très apprécié à l'étranger. Nicola Bove, un expert qui travaille pour le magazine Slow Wine, ajoute que les vins italiens s'exportent d'autant mieux qu'ils accompagnent parfaitement la cuisine italienne, plus répandue que la nôtre à travers le monde.
En quelques années, Luigi Rubino a transformé l'entreprise familiale Rubino, située à Brindisi. Pour passer du vrac à la bouteille, il a partagé les 220 ha qu'il cultive en quatre zones selon les terroirs et l'altitude. Il a ainsi pu intéresser la presse et les acheteurs en mettant en valeur les différents caractères de sa propriété.
Rubino exporte désormais 60 % de sa production vers 30 destinations (Pays-Bas, Belgique, Allemagne, Brésil...). Ses curiosités : un spumante (mousseux) en cuve close élaboré à partir de vermentino, et une cuvée à base du cépage rouge sussumanielo (âne gris). Celui-ci avait été abandonné à cause de ses bas rendements. Luigi Rubino l'a réhabilité et le valorise « auprès des curieux ». Pour vendre sa gamme aux touristes, il a ouvert un bar à vins sur le port de Brindisi.
Une autre stratégie pour être remarqué de la presse et des consommateurs : créer un « superprimitivo », autrement dit un vin spectaculaire issu de ce cépage emblématique des Pouilles. Enfant terrible de la région, Nicola Chiaromonte s'en est fait une spécialité. Sa « réserve » flirte avec les 20° d'alcool naturel. Il élabore aussi un passerillé rouge nommé nigredo. Au total, il cultive 33 ha à Acquaviva delle Fonti, dans une campagne à la terre ocre et rouille, parmi des oliviers millénaires, près de Bari, la capitale des Pouilles. Il produit 100 000 bouteilles qu'il exporte à 85 % vers l'Asie. Ses tarifs au chai oscillent entre 7 et 70 €.
Quant à Filipo Cassano, il se distingue en cultivant en bio les 70 ha de vignes de son domaine Polvanera, à Gioia del Colle. Il a creusé un chai de 1 000 m2 à 8 m de profondeur, dans lequel il élabore 200 000 bouteilles dont 70 % partent à l'export. Sa curiosité : un spumante rosé en méthode traditionnelle élaboré à partir de verjus de primitivo vendangés en octobre. Il emploie 20 personnes.
Les coopératives ne sont pas en reste. Elles vinifient 35 % des vins des Pouilles et modernisent la relation avec leurs membres, qui ne sont plus de simples apporteurs de raisins. Ainsi, la Cantine Due Palme, à Cellino San Marco, près de Brindisi, rassemble 2 400 ha appartenant à 1 200 viticulteurs. Durant la saison, ceux-ci reçoivent les instructions par SMS au sujet de la taille, des vendanges, etc. Ils se réunissent chaque semaine autour d'un buffet, dans un impressionnant amphithéâtre de 800 places, afin de poursuivre leur formation technique et d'être informés des actions et stratégies de la coopérative. Chez Due Palme, 800 hectares sont vendangés à la main, le reste à la machine. Les cépages sont rouges à 95 %. La coopérative livre au moins 15 millions de bouteilles par an, dont des marques pour la grande distribution, le reste en bib et en vrac.
Environ 70 % des vins produits partent à l'export. Le premier prix pour une bouteille de negro-amaro (rouge) ou de chardonnay est de 2 €.
Dernière initiative : Due Palme, Rubino et trois autres grandes maisons ont monté le consortium Puglia Best Wines (Les meilleurs vins des Pouilles), qui organise des conférences et dégustations, chaque année en octobre, afin de promouvoir leur production.
Des degrés d'alcool records
Les Pouilles cultivent les records : des haricots mezzo metro longs de 50 cm, des oignons pesant 1,3 kg pièce et des vins à fort degré d'alcool. Ainsi, Nicola Chiaromonte présente sa cuvée classique de primitivo - le cépage connu sous le nom de zinfandel aux États-Unis - à « seulement » 16 % vol. alc., sa réserve à 17 % et son superprimitivo à 19,5 % - et ce sans aucun ajout d'alcool, ni de sucre. « Et 20 % l'an prochain ! », lance-t-il fièrement. Les levures locales sont phénoménales. Elles résistent à ces teneurs en alcool élevées, alors que les levures classiques cessent de travailler au-delà de 15 %. Nicola Chiaromonte vend ses primitivo sous l'appellation Gioia del Colle, du nom d'une ville des Pouilles. Le viticulteur exporte en Asie et aux États-Unis, mais pas en Grande-Bretagne ni en Suède, deux pays qui taxent fortement les vins très alcoolisés.