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Dans le Bordelais, le millésime 2015 s'annonce exceptionnel. © P. ROY
Pour les oenologues, 2015 est un millésime exceptionnel. Dans le nord de la Vallée du Rhône, la Bourgogne, le Beaujolais et le Bordelais, il serait même supérieur à 2005, 2009 ou 2010.
Sauf exception, les vignerons ont récolté des raisins très sains. Ils n'ont pas eu besoin de trier. « C'est un millésime aux antipodes de 2014, qui avait connu de gros dégâts de pourriture acide », explique Éric Pilatte, oenologue en Saône-et-Loire.
Deux épisodes cévenols ont toutefois entraîné la sortie de foyers de pourriture grise et précipité les vendanges dans l'Hérault. « Heureusement, les viticulteurs ont su s'adapter », explique Sabine Jullien, oenologue à l'ICV. Vers Lodève, au nord du département, où les rivières sont sorties de leur lit le 12 septembre, ils ont vinifié en rosé les parcelles de rouges limonées car « il fallait débourber ».
La richesse en sucres, autre facteur de qualité. En Champagne, les vins affichent entre 10 et 11,5 % vol. « ce qui est exceptionnel pour la région », selon Ludovic Janetta, de la Station oenotechnique de Champagne. En Alsace et en Bourgogne, des producteurs se sont laissé surprendre par le degré de certains rieslings et auxerrois, trop élevé pour faire des crémants. Dans le Sud et à Bordeaux, il n'est pas rare d'avoir des cuvées à 15 % vol.
Ces hauts degrés s'accompagnent d'un effondrement de l'acide malique. Dans la Vallée du Rhône et le Languedoc-Roussillon, Daniel Granès, directeur technique de l'ICV, évoque des teneurs en acide malique comprises entre 0,4 et 0,8 g/l contre 1,5 à 2,5 g/l habituellement. « Des grenaches, des syrahs et même des merlots n'en contiennent plus du tout. » « Dans le sud, il a fallu acidifier tous les blancs et rosés », explique Olivier Naslès, gérant du laboratoire Aix nologie. Comme Nadine Poulhazan, oenologue à Grézillac, il a conseillé d'attendre le tiers de la fermentation pour acidifier, « car l'acidité a tendance à remonter en cuve ». Fait rare, même l'Alsace a demandé une dérogation pour pouvoir acidifier.
Originalité de ce millésime : les débourbages sont parfois plus longs que d'habitude, sans que les oenologues ne parviennent à l'expliquer. Daniel Granès a conseillé de mettre rapidement les vins au propre après fermentation « car les turbidités se maintiennent hautes ».
Cette difficulté mise à part, les fermentations ont bien démarré et se sont déroulées sans heurts. Début octobre, la baisse des températures a ralenti les choses. À Cognac, Gérald Ferrari, du BNIC, conseillait de réchauffer les moûts du matin pour que les fermentations démarrent vite.
À l'arrivée, les vignerons obtiennent des vins fruités et colorés. Dans le Languedoc, Daniel Granès est surpris par l'absence de sensations végétales, « même sur les cépages bordelais ». Dans la Vallée du Rhône, Olivier Roustang déguste des rouges « colorés, tanniques, gras et fruités ». Ces couleurs intenses s'expliquent par des teneurs en anthocyanes élevées. En Alsace, les pinots noirs « dépassent souvent les 750 mg/l, un record depuis que nous contrôlons ce paramètre, soit 2007 », précise Michel Pinsun, de la chambre d'agriculture du Haut-Rhin. Dans le Beaujolais, les raisins ont affiché le potentiel de couleur le plus élevé depuis 2002. Cette couleur s'extrait plus ou moins facilement. Sur le merlot, à Bordeaux, les choses se passent bien. Nadine Poulhazan conseille donc d'y aller doucement sur les délestages. À l'inverse, pour les braucols, à Gaillac, « il faut chauffer à 28 °C et délester », explique Francine Calmels.
Les bretts doivent être surveillés. En effet, même si les oenologues décrivent un millésime « facile », Jean-Christophe Crachereau, à la chambre d'agriculture de la Gironde, rappelle que les pH élevés, la richesse polyphénolique et la présence éventuelle de sucres résiduels impliquent une surveillance accrue des Brettanomyces.
Les pH sont supérieurs d'un ou deux dixièmes à la moyenne dans de nombreuses régions. Les vignerons devront être particulièrement attentifs durant l'élevage de leurs vins.
Le Point de vue de
Corentin Pichon, vigneron au Domaine Pichon, Chavanay (Loire), 16 ha de vignes
« Aucun tri à faire »
« Nous avons démarré les vendanges le 3 septembre et nous les avons terminées le 21 septembre, avec les condrieus. Nous n'avons eu aucun tri à faire et nous avons même pu réduire le sulfitage : 4 g/hl sur les blancs et 5 g/hl sur les rouges. Les rendements sont bons sur la marsanne et la syrah. En revanche, le viognier a rendu un peu moins de jus que d'habitude au pressurage. Le débourbage des blancs a duré entre 12 et 24 heures au lieu de 6 heures habituellement, sans que l'on sache vraiment pourquoi. En revanche, les fermentations ont démarré très vite, même avec les levures indigènes. Les températures ne se sont pas affolées. Nous vinifions notre condrieu en barriques et nous n'avons pas eu à trop le refroidir. Les rouges sont vinifiés dans des cuves en Inox. Grâce à l'alcool, la couleur est venue facilement : nous avons bloqué la température à 26 °C, au lieu de 28 °C, et nous n'avons pigé nos cuves qu'une à deux fois, au lieu de trois lors d'un millésime classique. L'acidité est faible et les pH sont un peu élevés par rapport à la moyenne, mais les vins ont gardé un bel équilibre. Les FML vont certainement se déclencher plus tôt que d'habitude. 2015 est un millésime facile. Nos vins sont puissants, tanniques et présentent des arômes de fruits noirs. »
