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VIGNE

Les cinq défis de la pépinière viticole française

CHRISTELLE STEF - La vigne - n°279 - octobre 2015 - page 34

Pour améliorer leur compétitivité et répondre à la demande des viticulteurs, les pépiniéristes modernisent et agrandissent leurs installations, mécanisent certaines tâches et renouvellent leurs vignes mères.
PHILIPPE DAYDÉ (le gérant)  et son fils Fabien (responsable des cultures)  dans les serres ultramodernes qui leur permettent d'être leaders sur le marché des plants en pot.

PHILIPPE DAYDÉ (le gérant) et son fils Fabien (responsable des cultures) dans les serres ultramodernes qui leur permettent d'être leaders sur le marché des plants en pot.

La pépinière viticole française « dispose d'un vrai savoir-faire », souligne Marie-Catherine Dufour, directrice du pôle Bordeaux Aquitaine de l'IFV. Elle propose une offre importante et diversifiée de plants et de clones, dont une grande partie répond à la charte de qualité de la marque Entav-Inra. « Au niveau sanitaire et génétique, notre capacité de production est unanimement reconnue », ajoute David Amblevert, le président de la Fédération française de la pépinière viticole.

Mais cette filière est handicapée par son atomisation, ses coûts de production élevés et des lourdeurs administratives. « Pour maintenir notre place de premier producteur mondial et satisfaire la demande, nous avons besoin de nous moderniser », insiste David Amblevert. Le contexte étant favorable, beaucoup d'entreprises sautent le pas. Tour d'horizon des défis qu'elles relèvent.

1. Adapter l'offre à la demande

« Nous sommes en situation de pénurie », reconnaît Pierre-Marie Guillaume, des pépinières éponymes, à Charcennes (Haute-Saône). Depuis trois ans, des assemblages de greffons et de porte-greffes manquent régulièrement. Et pour cause : le nombre de pépiniéristes ne cesse de diminuer. En quatorze ans, la production française a chuté de plus de 100 millions de plants. Or, depuis deux ans, la demande est soutenue, boostée par la hausse des cours, les aides à la restructuration et la nécessité de renouveler un vignoble vieillissant ou touché par les maladies de dépérissement.

Les pépiniéristes qui subsistent sont donc obligés de grossir et de se moderniser pour répondre aux besoins des viticulteurs. C'est le cas des pépinières viticoles Pierre Morin, situées à Faveraye-Mâchelles, dans le Maine-et-Loire. « Nous greffons entre 3,5 et 4 millions de plants par an. Sur les deux dernières campagnes, nous avons augmenté notre production de 15 % », explique Alain Gautereau, le gérant. Cette année, il a modernisé sa salle de greffage et installé des convoyeurs pour acheminer les plants tout juste greffés vers l'atelier de paraffinage. Il a également aménagé une deuxième salle de stratification et une deuxième chambre froide pour stocker les plants. De même, il a fait construire un grand hangar pour abriter son matériel. Coût de ces installations : environ 300 000 €.

Beaucoup de pépiniéristes investissent également dans de nouvelles serres pour pouvoir produire davantage de plants en pot. Une situation exceptionnelle liée au faible taux de reprise des greffés-soudés traditionnels en 2014, dans le contexte de forte demande.

Ces serres sont une priorité pour les pépinières viticoles Philippe Daydé, à Montans, dans le Tarn. « Nous avons un programme de 4 millions d'euros d'investissements sur quatre ans dans des serres ultramodernes destinées à la production des plants en pot. Nous sommes leader sur ce marché. Cette année, nous avons produit 4 millions de plants en pot, contre 2 à 3 millions habituellement », rapporte Philippe Daydé.

L'an dernier, il a inauguré 2 400 m2 de serres en dur, équipées de chariots d'irrigation et d'un système automatique pour réaliser les traitements phyto. Les travailleurs y circulent avec des chariots élévateurs pour déplacer les caisses qui contiennent les plants. Poursuivant son programme d'investissement, Philippe Daydé démarre la construction d'une deuxième serre de 6 500 m2 cet automne.

À Reignac, en Gironde, les pépinières viticoles du Vieux Puit ont monté cette année cinq serres en plastique d'une surface totale d'un peu plus de 2 000 m2. Un investissement qui avoisine les 100 000 €. Du coup, « j'ai mis en oeuvre 3,3 millions de plants dont 500 000 à 600 000 pots alors qu'habituellement, je produis seulement 2,5 à 2,6 millions de plants », explique Jean-Pierre Bouillac, le gérant.

2. Abaisser les coûts de main-d'oeuvre

En pépinières, beaucoup de tâches s'effectuent manuellement. La main-d'oeuvre représente ainsi la moitié du coût de revient d'un plant. Sur ce point, il existe de fortes disparités entre les pays européens, les charges sociales étant moindres en Italie, Espagne, Allemagne et au Portugal. À cela s'ajoutent des difficultés pour recruter du personnel qualifié. Pour rester compétitive, la filière doit donc réduire ces frais et diminuer la pénibilité du traavail. Cela passe par la mécanisation de certains process, à commencer par le débouturage des porte-greffes. Cette opération consiste à supprimer tous les yeux et vrilles le long des bois afin qu'il n'y ait pas de repousses. Une machine de la société BM semble faire merveille en la matière.

« Ces trois dernières années, j'en ai acheté quatre, explique Patrick Arsicaud, des pépinières Vitiplant. Cela m'a coûté 15 000 € par machine et autant pour les aménagements. Ce matériel élimine parfaitement les vrilles, les yeux et les pousses latérales. Les porte-greffes ressortent propres, prêts à être fractionnés par mes équipes. Ce travail mécanique procure un meilleur résultat que le travail manuel : les bois sont mieux nettoyés et on augmente le rendement de 30 à 40 % ; mais il ne fonctionne que si les porte-greffes sont secs. »

Pour accueillir ces machines et stocker les porte-greffes avant leur débouturage à l'abri des intempéries, le pépiniériste a construit un bâtiment de 500 m2. Pour améliorer le confort de travail du personnel, ce local est isolé, chauffé, éclairé et spacieux. « Cela facilite les recrutements. » Toutefois, Marie-Catherine Dufour souligne que l'amélioration de la compétitivité de la filière ne se résume pas à une volonté de mécaniser à tout-va. « Les pépiniéristes restent très attachés à préserver l'activité économique en milieu rural. »

3. Lutter contre la flavescence dorée

La pépinière viticole fait de la lutte contre la flavescence dorée l'un de ses chevaux de bataille. C'est donc tout naturellement qu'elle investit dans la prospection des vignes mères de greffons. Cette année, 100 % du parc sera ainsi inspecté. À cette action collective s'ajoutent aussi les initiatives individuelles. À Châteauneuf-du-Rhône (Drôme), les pépinières Vitiplant viennent de s'équiper d'une machine de traitement des plants à l'eau chaude. Conçue par la société MSD à la demande du pépiniériste, elle peut traiter 12 000 plants par bain. « En deux semaines, on peut traiter l'intégralité de notre production, soit 1,2 à 1,5 million de boutures de porte-greffes et 800 000 plants. Nous allons également faire de la prestation de services », indique Patrick Arsicaud. Coût : 45 000 € pour la machine auxquels il faut ajouter les équipements périphériques, soit un total d'environ 60 000 €. « La flavescence dorée progresse. Pour l'instant, à Montélimar, nous sommes encore en zone protégée. Mais nous exportons des boutures et des plants en Suisse, au Portugal et en Allemagne, des pays qui demandent le traitement. Nous travaillons aussi avec les producteurs de clairette de Die. Là encore, le syndicat demande que tous les plants soient passés à l'eau chaude. C'est pour eux une garantie sanitaire », justifie Patrick Arsicaud.

4. Renouveler les vignes mères

C'est indéniable, le parc de vignes mères de greffons se réduit. « Pour le matériel certifié, on est passé de 1 800 ha en 2004 à 1 300 ha en 2013 », déplore Pascal Bloy, de l'IFV. Et il est vieillissant : 16 % des vignes mères ont plus de 25 ans, 49 % ont entre 15 et 25 ans selon les données de FranceAgri-Mer de décembre 2014. À cela plusieurs explications. D'abord on ne peut implanter de vignes mères de greffons que sur des parcelles vierges de vigne depuis au moins dix ans. Or, il est de plus en plus difficile de trouver des terrains qui répondent à cette exigence. Ensuite, chaque année, des vignes mères sont retirées du parc pour des raisons sanitaires.

Les conséquences de cette situation ne sont pas identiques pour tous les cépages et toutes les régions. « Pour les variétés emblématiques comme le pinot noir, le chardonnay ou la syrah, le parc est suffisant. Mais on manque de greffons de cépages qui reviennent au goût du jour comme le cinsault et de variétés non traditionnelles comme le chenanson et le caladoc », note Didier Viguier, de la chambre d'agriculture de l'Aude.

Sur le plan régional, le Sud-Ouest fait régulièrement face à des pénuries de matériel végétal.

En revanche, la Champagne est plus chanceuse. « Nous avons au total 45 ha de vignes mères de greffons dont un peu plus de 8 ha hors AOC. Avec ces parcelles, nous couvrons nos besoins mais nous ne sommes pas à l'abri d'une pénurie pour les clones les plus demandés », rapporte Géraldine Uriel, du CIVC. Toutefois, l'implantation de vignes mères hors AOC est très contraignante : il faut des droits de plantation spécifiques et l'exploitant ne peut pas récolter les fruits de ses vignes. Il doit les mettre à terre avant les vendanges. « La production de ces greffons coûte trois fois plus cher », explique Géraldine Uriel. Du coup, c'est l'interprofession qui a subventionné l'installation de ces vignes mères. Une nécessité pour conserver un parc suffisant. Mais toutes les régions ne peuvent se le permettre. « Il faudrait que la réglementation évolue pour que les raisins puissent être valorisés en vin sans IG, en jus de fruits ou en confitures. »

Les pépiniéristes sont conscients de la situation et réimplantent des vignes mères à greffons dès qu'ils le peuvent. Les pépinières Morin ont ainsi prévu de planter 1,5 ha de vignes de greffons en 2016. Il s'agit de cépages locaux : grolleau gris, chenin, cabernet franc et cabernet-sauvignon.

Pour les vignes mères de porte-greffes, la situation est un peu moins délicate. Mais des difficultés d'approvisionnement persistent sur certains porte-greffes. C'est le cas pour le 41 B qui constitue 95 % des greffages en Champagne. Du coup, de grandes maisons de Champagne optent pour de l'auto-approvisionnement en plantant leurs propres vignes mères de porte-greffes. Le parc de vignes mères de porte-greffes nécessite donc lui aussi d'être renouvelé. Là encore, les pépiniéristes qui le peuvent y mettent les moyens. C'est le cas de Patrick Arsicaud, de la SARL Vitiplant, qui en a replanté 7 ha dernièrement.

5. Préserver l'environnement

Comme les viticulteurs, les pépiniéristes réalisent des investissements en faveur de la préservation de l'environnement. Les pépinières Vitiplant ont ainsi investi 20 000 € (subventionné à 75 %) dans une aire de lavage de tracteurs et machines agricoles équipée d'un phytobac.

De leur côté, les pépinières Morin, qui possèdent 13 ha de cultures, ont installé cette année le goutte-à-goutte sur 3 ha, pour moins consommer d'eau et de produits de traitement. « Cette année, j'ai ainsi économisé un tiers d'anti-mildiou et réduis ma consommation d'eau de 20 % », rapporte Alain Gottereau. L'an prochain, il équipera 3 ha supplémentaires.

En Gironde, les pépinières du Vieux Puit ont remplacé les caisses en polystyrène par des cagettes en plastique rigide pour transporter les plants en pot. Coût : 25 000 €. « Les cagettes en plastique sont traitées contre les UV. Elles ont une plus grande longévité (quinze ans) que le polystyrène et sont plus maniables », rapporte Jean-Pierre Bouillac. Quant aux pépinières Daydé, elles ont installé il y a trois ans des panneaux photovoltaïques sur un bâtiment d'un hectare. Coût : 6 millions d'euros.

Des pépiniéristes testent le palissage des vignes mères de porte-greffes

Palissage sur table de Némadex © CHAMBRE D'AGRICULTURE DE L'AUDE

Palissage sur table de Némadex © CHAMBRE D'AGRICULTURE DE L'AUDE

Le palissage des vignes mères de porte-greffes est courant en Nouvelle-Zélande. Pas en France. Ici, ces vignes restent conduites en tête de saule, à ras de terre. Les bois courent sur le sol. Rapidement, ils s'entrecroisent et interdisent le passage des engins. Il est très fastidieux de conduire et de récolter de telles parcelles. Face à ces difficultés, des pépiniéristes se mettent au palissage. C'est le cas de la SCEA Boutures greffables du Haut-Gard, basée à Saint-Jean-de-Maruéjols-et-Avéjan (Gard). Elle possède 7 ha de vignes mères de greffons et 30 ha de vignes mères de porte-greffes. Elle a palissé sur table 1,2 ha de 41 B et 70 ares de Némadex.

« Nous avons commencé avec le 41 B car ce porte-greffe produit peu de bois. Lorsqu'il est conduit en tête de saule, ses rameaux ne couvrent pas entièrement le sol. De l'herbe se met à pousser alors qu'on trouve de moins en moins d'herbicides pour nettoyer les vignes mères. De plus, le 41 B est très sensible au mildiou. Avec le palissage, on peut le traiter facilement. La qualité des bois est meilleure, comme le taux de reprise », rapporte René Boissin. Toutefois, l'installation a coûté 15 000 €/ha, plus 4 000 €/ha/an de coûts de production supplémentaires par rapport à la conduite classique.

Didier Viguier, responsable du département bois et plants à la chambre d'agriculture de l'Aude, confirme ces chiffres. « On a palissé du Némadex AB sur table car ce porte-greffe n'a pas de dominance apicale. Pour avoir des bois d'un diamètre correct, nous coupons les entrecoeurs en mai-juin (deux à trois passages à quinze jours d'intervalle). Si les bois sont palissés, l'opération est plus facile. La récolte est aussi plus rapide. Mais l'installation du palissage a un coût de 12 000 €/ha, plus l'entretien. Et cela ne convient pas aux variétés très vigoureuses, comme le SO4, qui produisent des tonnes de bois qui cassent le palissage. »

Des aides via les plans de compétitivité

Pour aider la filière à obtenir des financements, la Fédération française de la pépinière viticole a lancé, l'an passé, un vaste plan de compétitivité. Dans ce document cadre, elle liste les investissements nécessaires et évalue que les pépiniéristes auraient besoin d'une aide de 15 millions d'euros sur cinq ans pour les financer. Chaque syndicat membre de la fédération a ensuite eu pour mission de décliner ce plan au niveau régional. « Les priorités sont différentes d'une région à l'autre », note Marie-Catherine Dufour, de l'IFV pôle Bordeaux Aquitaine. Et, les conseils régionaux plus ou moins réceptifs. »

C'est en Aquitaine que les choses ont le plus avancé. Le conseil régional a lancé un plan quinquennal d'aide à l'investissement : Pépi 20-20. Les pépiniéristes peuvent obtenir 40 % d'aides pour des investissements compris entre 3 000 et 100 000 €. « Nous avons reçu une quinzaine de dossiers et en avons déjà instruit une petite dizaine », indique Thierry Mazet, le directeur de l'agriculture au conseil régional.

La région Poitou-Charentes propose aux pépiniéristes de rejoindre le plan de compétitivité des exploitations agricoles. Leur syndicat va présenter un projet collectif de machine pour traiter les plants à l'eau chaude.

La région Val de Loire, elle, a mis l'accent sur les investissements liés à l'environnement. Début septembre, aucun pépiniériste n'avait encore déposé de dossier.

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