La fosse pédologique complète l'analyse du sol

L'analyse du sol ne dit pas tout. Pour découvrir l'univers qu'explorent les racines, il faut creuser profond. On comprend alors mieux le fonctionnement de la vigne.

À quoi sert la fosse pédologique ?

Elle permet d'observer les différents horizons du sol dont« on sous-évalue souvent la profondeur utile. La vigne enfonce ses racines très bas car les horizons profonds ne sont pas forcément compacts, et il y a encore de la vie », note Isabelle Letessier, du cabinet d'études Sigales. « La couche de surface est homogénéisée par le travail du sol et l'érosion. En dessous, c'est bien plus diversifié ! », observe David Pernet, de la société de conseils Sovivins.

Ne descendant pas au-delà de 60 cm, les prélèvements à la tarière ne permettent pas de décrire la structure de chaque horizon, avec ses cailloux, ou encore de visualiser le parcours des racines. « Pour comprendre la circulation de l'eau, qui est au coeur de la qualité d'un terroir, il faut observer le profil du sol jusqu'à la roche mère », souligne Maxime Christen, de la chambre d'agriculture de Gironde.

Est-elle utile avant une plantation ?

Oui. Observer les horizons profonds permet d'éviter les erreurs dans le choix du matériel végétal. « On peut par exemple découvrir une zone calcaire qui sera au contact des racines. Cela imposera le choix d'un porte-greffe résistant à la chlorose », note Begoña Rodriguez-Lovelle, enseignante et consultante à Terres de Vignes. La profondeur du sol et sa capacité à stocker l'eau conditionnent aussi le choix du cépage. « Tous ne craignent pas autant la sécheresse. La syrah ou le viognier, par exemple, y sont plus sensibles. Avec le réchauffement du climat, mieux vaut adapter finement le matériel végétal au sol », affirme-t-elle.

Avec les fosses, il est aussi possible de cerner l'hétérogénéité dans la parcelle. « Si celle-ci est forte, on peut choisir des porte-greffes différents. Et si la parcelle est assez grande, on peut même la redécouper pour adapter les cépages », suggère Begoña Rodriguez-Lovelle. En observant les horizons, on peut déterminer l'itinéraire de préparation du sol le mieux adapté. « S'il y a une croûte calcaire en profondeur, il vaut mieux opter pour un ripage qui la fragmentera sans la remonter », conseille-t-elle. Si l'on observe des traces d'hydromorphie, c'est que l'eau stagne par endroits. « On prévoira alors un drainage ou simplement un fossé plus profond pour accélérer le ressuyage du sol », note Maxime Christen

Et sur une vigne en place ?

Le creusement d'une fosse permet d'apprécier la profondeur du sol et sa capacité à retenir l'eau. Cela aide à conduire la parcelle. « Si le volume exploré par les racines est limité, mieux vaut éviter de trop travailler le sol pour ne pas les perturber », conseille David Pernet. Dans ce cas, il faut aussi veiller à ne pas implanter un enherbement trop concurrentiel. « À l'inverse, si les racines descendent en profondeur et que le sol a une bonne réserve en eau, on peut enherber sans hésiter », note Isabelle Letessier.

« Ouvrir une fosse dans une zone où on a repéré un manque de vigueur ou des carences aide à comprendre d'où vient le problème », affirme Maxime Christen. « Si l'eau stagne l'hiver, par exemple, cela détruit des racines et rend la vigne plus sensible au stress hydrique l'été », constate David Pernet. Les fosses servent aussi à mieux connaître les caractéristiques fines de chaque sol. « Ainsi, le niveau d'altération du granit conditionne le type d'argiles présentes et donc les réserves en eau ou encore la fourniture en potassium », précise Isabelle Letessier.

Comment faut-il procéder ?

Une pelle mécanique est nécessaire pour creuser rapidement une fosse de 1,5 à 2 m de profondeur. Sa largeur doit être d'au moins 80 cm pour pouvoir s'y accroupir. « Pensez à faire une marche ou une pente sur un des côtés pour en ressortir facilement », conseille Begoña Rodriguez-Lovelle. Sur une vigne en place, passer entre les rangs est impossible avec une grosse pelle. Il faut alors creuser au début des rangs, depuis le bord de la parcelle. « Avec une mini-pelle, par contre, on peut s'avancer entre les rangs si l'écartement est d'au moins 1,5 m », note Maxime Christen. Suivant la puissance de la pelle, il faut compter une à deux heures pour faire cinq à six fosses dans une parcelle, et le même temps pour les reboucher.

Quand et où creuser ?

« La saison importe peu. Mais le sol doit être ressuyé pour éviter que la fosse ne se remplisse d'eau », souligne Isabelle Letessier. Si on a repéré des zones différenciées sur la vigne en place, il faut prévoir une fosse par zone. Avant de creuser, pour localiser les changements de type de sol, il est possible de faire des mesures de résistivité. « Il faut aussi tenir compte de la topographie. Dans une parcelle en pente, il faut prévoir une fosse en bas, une au milieu et une en haut », note Maxime Christen.

Que doit-on observer ?

Il faut d'abord rafraîchir le profil du sol, qui a été lissé par la pelle, en le grattant sur 5 à 10 cm avec un couteau, un piolet ou encore une truelle. « C'est long mais indispensable, sinon on ne voit rien », affirme Isabelle Letessier. Puis il faut repérer les différents horizons, mesurer leur épaisseur, décrire leur couleur, leur texture, leur humidité et leur porosité, en notant les observations sur une fiche.

La vue est utile, le toucher aussi. « On peut évaluer le taux d'argile en modelant un petit boudin de terre », précise Maxime Christen. Des prélèvements permettent d'analyser chaque horizon. On localise ainsi précisément le calcaire actif. « Cela évite de surestimer le pouvoir chlorosant du sol et de se retrouver avec une parcelle trop poussante, parce qu'on a utilisé un porte-greffe très vigoureux alors que ce n'était pas nécessaire », note-t-il.

Il faut observer aussi l'activité des vers de terre. Puis on inspecte les racines : la façon dont elles se développent dans les couches, les obstacles qu'elles rencontrent... Pour évaluer leur état sanitaire, il suffit de les couper et de regarder la couleur de la section. « Si celle-ci est pourpre, c'est que le sol est asphyxiant. En profondeur, dans un sol argileux, cela peut limiter la vigueur et donc être favorable à la qualité des vins rouges. En surface, cela indique qu'il y a un problème de tassement. Un décompactage sera alors nécessaire », note David Pernet.

Faut-il faire appel à un spécialiste ?

C'est préférable. « La description des horizons demande de la méthode, un vocabulaire précis, des références visuelles pour évaluer le pourcentage de cailloux, par exemple », constate Maxime Christen, qui organise régulièrement des formations pour les techniciens ou les enseignants. L'interprétation des données n'est pas simple non plus. « Avoir des points de comparaison aide à comprendre ce qui se passe dans un sol. Si on creuse dans une zone qui manque de vigueur, il faut aussi le faire dans une zone où la vigueur est équilibrée, pour voir s'il y a des éléments qui diffèrent », conseille Isabelle Letessier. L'expérience du spécialiste est souvent nécessaire car il a déjà vu de nombreux types de sols. « Mais celle du vigneron est tout aussi indispensable pour faire le lien entre les caractéristiques du profil et le comportement de la vigne dans la parcelle étudiée », note David Pernet.

Combien ça coûte ?

La location d'une pelle mécanique à la journée revient entre 500 et 600 € HT, avec le chauffeur. Pour interpréter les profils, des consultants indépendants et des chambres d'agriculture proposent des prestations qui vont de 500 à 1 500 € HT en fonction du nombre de fosses et d'analyses réalisées en complément. « Mutualiser l'intervention en se groupant à plusieurs permet d'étudier une quinzaine de fosses dans la journée. Cela réduit les coûts. Et chacun peut observer différentes situations, ce qui aide à comprendre ce qui se passe dans chaque type de sol », note Isabelle Letessier.