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Magazine - Etranger

Le pisco, boisson nationale péruvienne

ELSA CASALEGNO - La vigne - n°279 - octobre 2015 - page 76

Cette eau-de-vie de vin est élaborée à partir de variétés locales, cultivées dans des oasis du vaste désert côtier du Pérou. Grandes entreprises et petits artisans rivalisent pour la fabriquer.
DOMAINE CENTENAIRE, Tacama, fondé en 1899, est l'un des plus grands et des plus anciens domaines viticoles du Pérou. Sa production est de 1,5 million de litres de vin et 200 000 l de pisco par an.  E. CASALEGNO

DOMAINE CENTENAIRE, Tacama, fondé en 1899, est l'un des plus grands et des plus anciens domaines viticoles du Pérou. Sa production est de 1,5 million de litres de vin et 200 000 l de pisco par an. E. CASALEGNO

CYCLE AUSTRAL. La taille en espalier ou en lyre est réalisée en août-septembre. La floraison a lieu en octobre, la véraison en janvier et les vendanges en février-mars. ©X. VILA/ALTERNATIVA

CYCLE AUSTRAL. La taille en espalier ou en lyre est réalisée en août-septembre. La floraison a lieu en octobre, la véraison en janvier et les vendanges en février-mars. ©X. VILA/ALTERNATIVA

QUATRE CATÉGORIES. Le pisco est classé pur (élaboré à partir d'un cépage unique parmi les sept variétés), aromatique ou non, mosto verde (fermentation courte) ou acholado (mélange de plusieurs cépages). E. CASALEGNO

QUATRE CATÉGORIES. Le pisco est classé pur (élaboré à partir d'un cépage unique parmi les sept variétés), aromatique ou non, mosto verde (fermentation courte) ou acholado (mélange de plusieurs cépages). E. CASALEGNO

DÉSERT. Les vignobles péruviens se situent dans les oasis du désert côtier, l'un des plus arides du monde, avec de 0 à 20 mm de pluies par an. E. CASALEGNO

DÉSERT. Les vignobles péruviens se situent dans les oasis du désert côtier, l'un des plus arides du monde, avec de 0 à 20 mm de pluies par an. E. CASALEGNO

Luis Gonzales (ci-dessus) et ses sept frères se sont partagé la bodega Tres Esquinas, fondée en 1856 par leur aïeul, Manuel Alvarez. Tous distillent, mais seuls trois d'entre eux - Tres Generaciones, El Catador et Santa Catalina - possèdent l'appellation. E. CASALEGNO

Luis Gonzales (ci-dessus) et ses sept frères se sont partagé la bodega Tres Esquinas, fondée en 1856 par leur aïeul, Manuel Alvarez. Tous distillent, mais seuls trois d'entre eux - Tres Generaciones, El Catador et Santa Catalina - possèdent l'appellation. E. CASALEGNO

LA TRADITION COMME CREDO. Les fabricants artisanaux de pisco mettent en avant la tradition : raisin foulé aux pieds, alambic de cuivre chauffé au feu de bois, presses en bois... E. CASALEGNO

LA TRADITION COMME CREDO. Les fabricants artisanaux de pisco mettent en avant la tradition : raisin foulé aux pieds, alambic de cuivre chauffé au feu de bois, presses en bois... E. CASALEGNO

Le long de la Panamerica Sur, la route qui longe l'océan Pacifique, traversant le Pérou du nord au sud, dunes de sable et falaises rocheuses se succèdent. Au milieu de ce désert aride, d'immenses périmètres irrigués verdissent le paysage à intervalles réguliers, où alternent cultures du Nouveau et de l'Ancien Monde : maïs, coton, quinoa, avocats, orangers, oliviers... et raisin !

Dans ces oasis gagnées sur le désert, de vastes parcelles de vigne sont consacrées au pisco, une eau-de-vie réputée. Elles bénéficient d'un ensoleillement exceptionnel et de précipitations proches de zéro. « Les jours ensoleillés et chauds permettent au raisin de mûrir, tandis que les nuits longues contribuent à conserver une acidité et une fraîcheur aux vins », souligne Frédéric Thibaut, oenologue français travaillant à Tacama, l'un des plus grands domaines viticoles du pays.

Avec moins de 20 mm de pluie par an, les vignes sont systématiquement irriguées. La majorité des parcelles est inondée deux à six fois entre décembre et mars, durant l'été austral, quand le fleuve Ica se remplit d'eau. Quelques-unes sont irriguées au goutte-à-goutte. En l'absence de pluie, il n'y a pas de mildiou et très peu de pourriture grise ou acide. Le phylloxera et des nématodes assez agressifs tentent bien de s'attaquer aux vignes, mais celles-ci supportent ces parasites, bien que la majorité des petits exploitants les cultivent franc de pied. « C'est grâce à leur vigueur et à l'irrigation par inondation, que les vignes cohabitent avec le phylloxera », révèle Frédéric Thibaut. Seuls les grands domaines utilisent des porte-greffes américains ou français, comme le 101-14 ou le Dog Ridge.

Quelques bodegas (caves) exploitent des vignobles de plusieurs centaines d'hectares et distillent elles-mêmes leur pisco - Tacama, Vista Allegre, Queirollo et Ococaje à Ica, Biondi à Arequipa, Tavernero à Chincha. Mais de nombreux distillateurs artisanaux résistent à leur puissance commerciale. « 95 % d'entre eux produisent moins de 5 000 l d'eau-de-vie par an », estime Manuel Bernales, producteur du pisco El Carmelo, dans la ville d'Ica. Certains possèdent quelques hectares de vignes, mais la plupart distillent du raisin acheté à une multitude de petits cultivateurs qui possèdent en général moins d'un hectare de vigne.

Le pisco fait partie du patrimoine gastronomique péruvien, au point qu'une fête nationale lui est consacrée, chaque quatrième dimanche de juillet. « Le pays du pisco, c'est le Pérou, soutient Manuel Higueras, un aficionado. Le vrai pisco, qui titre entre 40 et 44 % d'alcool, est élaboré par distillation du vin, sans autre ajout, contrairement au pisco chilien ou à la grappa italienne, fabriqués à partir du marc de raisin. »

Bénéficiant d'une appellation, sa fabrication est réglementée : 6 kg de raisin parmi les cépages quebranta, mollar, criolla negra, albilla, italia, moscatel et torontel, sont nécessaires à l'élaboration d'un litre de pisco générique. Il en faut 14 kg pour le haut de gamme, le mosto verde, obtenu par distillation d'un moût encore en cours de fermentation.

Après les vendanges, en février-mars, le raisin est pressé. Dans les bodegas artisanales, il est encore foulé aux pieds, avant de passer sous des presses en bois. Les grandes structures, elles, utilisent des pressoirs pneumatiques. Ensuite, le moût fermente directement, sans débourbage. Il donne un vin de base qui titre de 12 à 14,5 ° selon les cépages. Ainsi, l'albilla atteint difficilement 12°, tandis que la quebranta dépasse souvent 14°. « Plus qu'à un critère qualitatif, la recherche de hauts degrés répond à une logique de rendement. Les producteurs obtiennent plus de pisco avec des raisins plus mûrs ! », commente Frédéric Thibaut.

Cette distillation « doit être lente et régulière », conseille Manuel Bernales. Les fabricants artisanaux mettent en avant leur matériel traditionnel, un alambic en cuivre chauffé au feu de bois. Chez les industriels, il est en Inox. Pour tous, une température constante est indispensable au bon déroulement de la distillation. Dans les grands domaines, elle est contrôlée par une sonde. Dans les petites bodegas, « le savoir-faire de l'artisan fait tout », estime Luis Gonzales, qui produit un pisco réputé, Tres Generaciones.

Pour obtenir 400 l de pisco, 1 800 l de vin sont nécessaires. La distillation s'opère en une fois, il n'y a pas de repasse. Comme en France, le premier alcool - la cabeza (tête) - et le dernier - la cola (queue) - sont écartés : l'un est trop fort et l'autre n'affiche que 15°. Le distillat est ensuite gardé trois à huit mois avant la mise en bouteille.

Cette eau-de-vie portant un nom quechua remonte aux débuts de la conquête espagnole. Les premiers ceps seraient arrivés d'Europe en 1551 pour fournir le vin de messe. Aujourd'hui encore, le pisco scelle les mariages, fête les naissances et conclut les contrats. « Mais il n'est pas assez reconnu comme un alcool à part entière : il est trop souvent utilisé comme une base pour les cocktails, regrette Wilber Robles, du Centre interprofessionnel de la vigne et du pisco du Pérou (Peruvid). Si les jeunes en achètent davantage, ils se contentent de piscos bon marché. De plus, il est concurrencé par la bière, le rhum, le gin et la vodka. »

Autre difficulté : l'eau est le talon d'Achille des viticulteurs. Elle pourrait manquer face à la croissance rapide de l'agriculture irriguée dans la région. Tous pompent dans le rio Ica au printemps et en été, et dans la nappe phréatique dont le niveau baisse inexorablement d'un mètre par an.

La production a explosé en vingt ans

Le pisco péruvien est en vogue. Entre 1995 et 2013, la production a quintuplé, pour atteindre 7,2 millions de litres (Ml) sous dénomination d'origine protégée (DOP). La consommation locale a progressé avec la hausse du niveau de vie des Péruviens. Et les exportations ont augmenté de 33 % par an, en moyenne, ces dix dernières années, pour atteindre 470 000 litres. Principal client, avec plus de la moitié des achats : les États-Unis qui comptent une communauté péruvienne importante. La DOP, décrétée en 1991, a fixé les critères de qualité. « Environ 480 producteurs la détiennent », estime Manuel Bernales, producteur de pisco. Ils sont concurrencés par le secteur informel qui produit « peut-être 2 Ml par an, mais nous n'en avons aucune idée ». Ce pisco sans appellation, de qualité inégale mais à un prix accessible, conserve une clientèle locale et familiale. « Il manque encore à la filière une stratégie commune, efficace et ordonnée », déplore Manuel Bernales.

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