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CLASSEMENT À L'UNESCO Effet discret à Saint-Émilion

COLETTE GOINÈRE - La vigne - n°280 - novembre 2015 - page 12

Après la Bourgogne et la Champagne, classées en juillet dernier, Sancerre a officialisé en octobre sa candidature au patrimoine mondial de l'Unesco. Pour Saint-Émilion, déjà inscrit depuis 1999, tout reste à faire, car les viticulteurs ne se sont pas approprié cette distinction.
SAINT-ÉMILION et son vignoble sont inscrits au patrimoine mondial de l'Unesco depuis 1999. © INCAMERASTOCK/PHOTONONSTOP

SAINT-ÉMILION et son vignoble sont inscrits au patrimoine mondial de l'Unesco depuis 1999. © INCAMERASTOCK/PHOTONONSTOP

Le jeudi 2 décembre 1999, la juridiction de Saint-Émilion (huit communes, 5 000 ha de vignes) est inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco pour « son paysage exceptionnel, entièrement consacré à la viticulture, dont les villes et villages comptent de nombreux monuments historiques de qualité ».

En termes de fréquentation touristique, les effets de ce classement ne se font pas attendre. L'année suivante, l'office de tourisme de Saint-Émilion enregistre 8 % de hausse des entrées payantes dans les monuments souterrains du village, les visites phares. Aujourd'hui, plus de un million de vacanciers affluent à Saint-Émilion chaque année. Environ 400 000 d'entre eux passent par l'office de tourisme qui leur propose un panel de visites, notamment dans les 113 châteaux viticoles adhérents à l'office , répartis dans 22 communes alentour.

Quel apport pour l'économie viticole locale ? Difficile à dire. « Il n'y a pas eu d'étude pour le quantifier. Mais nous avons gagné encore plus de notoriété. Nous sommes fiers de cette reconnaissance qui joue un rôle dans le boom de l'oenotourisme. Tout comme elle permet une prise de conscience de la nécessité de respecter ce paysage viticole », confie Guy-Petrus Lignac, le président de l'office de tourisme de la ville.

Les viticulteurs se sont-ils approprié ce label ? En ont-ils tiré profit ? « Je ne le crois pas. Et je n'ai pas senti l'effet Unesco sur notre activité. Depuis toujours, nous nous retroussons les manches pour accueillir les touristes à la propriété. En revanche, les grands crus, une fois passés dans les mains d'investisseurs, se sont engouffrés dans l'oenotourisme pour répondre à la demande de la clientèle chinoise et américaine. Ils se sont mis à ouvrir leurs portes alors qu'auparavant, elles restaient fermées », lâche Véronique Bourrigaud, à la tête du Château Champion, une propriété de 6,5 ha.

Même son de cloche chez Catherine Ouzoulias, du Château Franc-Pourret (5,5 ha), pour qui « l'effet Unesco n'est pas notoire ». En 2005, elle a ouvert dans sa propriété deux chambres d'hôtes qui sont occupées presque toute l'année. Elle jure que sa démarche n'a rien à voir avec l'Unesco.

Matthieu Mazière comprend ces réserves. Pour le directeur de l'association Juridiction de Saint-Émilion, patrimoine mondial de l'humanité, « ce classement a été la cerise sur le gâteau pour Saint-Émilion qui avait déjà une forte notoriété. Les viticulteurs vendent bien leurs vins. Ils n'ont pas besoin de se référer à cette distinction ». Au Conseil des vins de Saint-Émilion, Franck Binard, le directeur, ajoute : « L'inscription est venue couronner le travail quotidien des viticulteurs. Fondamentalement, elle n'a rien changé pour eux. »

À cela, il faut ajouter les aigreurs que provoquent les contraintes urbanistiques plus strictes depuis le classement. Julien Berjal, du Château le Chatelet (3,18 ha), garde en mémoire la procédure pour obtenir le permis d'édifier, en 2000, un petit bâtiment accolé à la propriété et destiné à abriter ses tracteurs. « Nous avons été obligés de passer par l'architecte des Bâtiments de France, de respecter des couleurs et des matériaux. La procédure a été longue et la facture plus lourde que prévu », souligne-t-il.

Véronique Bourrigaud, ne dit pas autre chose. En 2011, elle décide de doter son château, qui accueille des touristes, de toilettes pour personnes à mobilité réduite et d'un espace bureau pour une surface globale de 30 m2. La demande de permis, déposée en 2011, ne sera satisfaite qu'un an plus tard. « Les contraintes architecturales sont réelles. L'architecte des Bâtiments de France a beaucoup ergoté et chipoté sur notre dossier. C'était rageant ! »

Alors se pose la question de fond : comment valoriser cette inscription ? Comment faire en sorte que les viticulteurs se l'approprient ? Matthieu Mazière a son idée. Comme le logo de l'Unesco ne peut figurer sur aucun document commercial (tarif des vins, etc.), il réfléchit à un sigle sur le thème du classement, que les viticulteurs pourraient utiliser.

Franck Binard, lui, est convaincu que l'inscription sur la liste du patrimoine de l'Unesco est « une chance que le viticulteur doit saisir. Dans la compétition internationale à laquelle se livrent les vins du monde entier, les nôtres bénéficient d'une plus-value avec ce classement qui valorise ce paysage vivant, façonné par des générations successives de vignerons ». Dès 2016, le Conseil des vins conviera des viticulteurs à raconter leur parcours en l'inscrivant dans leur paysage culturel. Des interviews qui devraient se retrouver sur le site web du Conseil des vins et qui feront aussi l'objet d'un livre. Le premier pas vers l'appropriation du classement ?

Sancerre, Alsace, Cognac, Crus classés de 1855 : tous candidats

LE VILLAGE DE BUÉ (Cher) et les vignes du Sancerrois. ©BIVC

LE VILLAGE DE BUÉ (Cher) et les vignes du Sancerrois. ©BIVC

Le coup d'envoi a été donné, le 31 octobre dernier, à Crézancy-en-Sancerre (Cher). Ce jour-là, la mairie de Sancerre, l'office du tourisme du Sancerrois, le Comité de promotion des vins de Sancerre et l'Union viticole signaient la lettre de candidature à l'inscription au patrimoine mondial de l'Unesco de ses collines viticoles, son Piton et ses caves. Les raisons ? « Les vins de Sancerre sont très connus au plan international. Par contre, ce n'est pas le cas pour nos vignobles, nos paysages et notre terroir. Nous voulons valoriser ce patrimoine méconnu », indique Nicolas Jean, directeur de l'office de tourisme du Sancerrois. D'ici la fin décembre, un comité de pilotage sera créé, une association porteuse du projet qui structurera la démarche. D'autres candidatures sont dans les tuyaux. En Alsace, le député-maire de Ribeauvillé, Jean-Louis Christ, a lancé l'idée d'une inscription du vignoble. En Gironde, le Conseil des grands crus classés de 1855 souhaite faire inscrire ce classement au patrimoine culturel immatériel français, un préalable à la reconnaissance par l'Unesco. En Charente, Cognac veut se mettre sur les rangs. Pas simple de trouver un thème : l'idée de présenter les savoir-faire liés à l'élaboration du cognac (alambics, distillation, assemblage) fait son chemin.

Les petits ambassadeurs du label

Un livre écrit par des enfants et destiné aux adultes. C'est le projet que porte l'association Le Barde du label, créée par Catherine Arteau (ci-contre). Cette consultante constate que l'inscription au patrimoine mondial de l'Unesco n'est pas exploitée. À tort selon elle, car elle est persuadée que cela peut être un outil de développement local. Les élèves des écoles primaires de Saint-Christophe-des-Bardes et de Saint-Étienne-de-Lisse, qui regroupent cinq villages viticoles inscrits dans la juridiction de Saint-Émilion, sont les petits écrivains de son ouvrage qui sortira à 1 500 exemplaires en juin prochain. « Je demande aux enfants, dont beaucoup sont issus de familles de viticulteurs, de repérer et de décrire les lieux symboliques de l'histoire et de la géographie de notre territoire. Leur regard apportera un nouveau coup de projecteur sur son identité et sur ce qui lui vaut d'être inscrit à l'Unesco », explique-t-elle. La cave coopérative UDP Saint-Émilion n'a pas hésité un instant. Le 15 octobre dernier, elle a offert 3 000 € à l'association dont la moitié pour l'achat d'une centaine d'exemplaires du livre. Le Conseil des vins de Saint-Émilion est lui aussi partenaire financier du projet. Catherine Arteau mène d'autres opérations, notamment des classes du patrimoine. D'ici juin 2016, elle va emmener les élèves de quatre écoles de la juridiction de Saint-Émilion à la découverte de ses paysages, villages et monuments.

Huit ans d'efforts en Bourgogne

En juillet 2015, les Climats du vignoble de Bourgogne, ces parcelles de vignes de la côte de Nuits et de la côte de Beaune, au sud de Dijon, ont décroché l'inscription au patrimoine mondial de l'Unesco. Le couronnement de huit ans d'efforts. Un travail « long, exigeant et ambitieux », reconnaît Krystel Lepresle, directrice de l'association qui pilote le dossier. D'abord, il a fallu bâtir une union sacrée. Politiques, représentants de l'État et de la filière viticole : tout ce beau monde a été appelé à travailler ensemble pour porter le projet. Ensuite, il a fallu réunir des fonds. Les cinq partenaires historiques (les villes de Dijon et de Beaune, l'interprofession, le conseil régional de Bourgogne, le conseil départemental de Côte-d'Or) ont déboursé chacun 40 000 € pendant cinq ans. De même, 120 entreprises dont 40 % liées à la viticulture ont offert des sommes rondelettes chaque année. Ainsi, 350 000 € en 2014. Dernier défi : mobiliser le plus grand nombre. Dans ce but, l'association qui a organisé la marche des climats, le 8 avril 2011, a rassemblé plus de 3 000 personnes. « L'adhésion de la population a été essentielle. Il fallait que chacun prenne conscience du caractère unique des Climats, de l'intérêt de les protéger et de les transmettre », explique Krystel Lepresle.

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