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DOSSIER - L'encépagement en mouvement

Au nom de la liberté

FRÉDÉRIQUE EHRHARD - La vigne - n°280 - novembre 2015 - page 36

Pour élargir sa palette de vins, Pierre Cros est allé chercher des cépages en Italie et au Portugal. Il a aussi réhabilité des cépages languedociens longtemps décriés.
PIERRE CROS, dans sa parcelle expérimentale de nebbiolo, plantée en 2001. © F. ERHRARD

PIERRE CROS, dans sa parcelle expérimentale de nebbiolo, plantée en 2001. © F. ERHRARD

Ce 25 septembre, le soleil chauffe dans les vignes de l'Aude. Un temps idéal pour les vendanges ! Mais le nebbiolo de Pierre Cros n'est pas encore prêt. « Ce cépage italien mûrit lentement. Je pourrai le récolter fin octobre. Il faut que l'état sanitaire se maintienne jusque-là. Ce n'est pas gagné », note le vigneron en examinant les grappes avec attention. Juste à côté, il cultive deux parcelles de touriga nacional, un cépage portugais. « Lorsque j'ai voulu les planter en 1998, ces deux cépages n'étaient pas encore inscrits au catalogue français. J'ai dû me bagarrer pour obtenir une autorisation dans un cadre expérimental », raconte cet ancien rugbyman qui ne se laisse pas arrêter par l'adversité.

Pierre Cros cultive aujourd'hui dix-sept cépages sur 22,5 ha, dans son exploitation située à Badens, dans l'Aude. Curieux de ce qui se fait ailleurs, il n'a pas voulu se contenter des cépages classiques de l'appellation Minervois : syrah, grenache et mourvèdre. En 2001, il a planté 58 ares de nebbiolo et 98 ares de touriga nacional.

« Je suis tombé amoureux de l'appellation italienne Barolo, élaborée avec du nebbiolo. Ce cépage apporte des tanins soyeux, de la finesse. C'est ce que je recherche », note-t-il. Le touriga nacional, qu'il a découvert lors d'un voyage dans la région du Dao, au Portugal, apporte surtout de la rondeur, de la complexité aromatique. « Il est plus expansif, plus chaleureux que le nebbiolo. »

Cultiver ces deux cépages n'est pas une mince affaire. Sur les sols de calcaire gréseux de Pierre Cros où la roche mère est à moins d'un mètre de profondeur, leur rendement ne dépasse pas 15 à 20 hl/ha. Et le nebbiolo s'avère délicat. « Il débourre tôt. J'ai déjà eu quelques dégâts de gel. Et comme il se récolte tard, il nécessite plus de tri à l'entrée en cave », note le vigneron.

Pour trouver un itinéraire de vinification adapté, il a tâtonné. La macération carbonique n'a pas donné de bons résultats. « Aujourd'hui, je le vinifie de façon traditionnelle, dans des fûts en bois, et je l'élève en bouteilles. »

Pierre Cros soigne aussi des parcelles de carignan, aramon, alicante et piquepoul noir plantées entre 1900 et 1930. Il en tire une cuvée dénommée Les Mal-aimés, qui associe ces quatre cépages languedociens longtemps décriés. « Cultivé sur de petites terres, l'aramon apporte du fruité, le piquepoul de la fraîcheur, le carignan de la structure et l'alicante de la couleur. Le tout donne un vin que les autres n'ont pas ! », affirme le vigneron. Il cultive aussi du morrastel et du rivairenc, qu'il vinifie en rosé avec de l'aramon. « C'est un plaisir d'avoir une large palette dans laquelle puiser pour faire ses assemblages », souligne-t-il.

Toutes ces cuvées sont commercialisées en vins de France. « Cela ne m'empêche pas de bien les valoriser », note Pierre Cros. Le nebbiolo et le touriga nacional sont présents dans sa gamme Liberté, « un nom choisi pour rappeler qu'il a fallu batailler pour la conquérir », souligne Pierre Cros.

Après avoir décroché six coups de coeur au guide Hachette, sa notoriété est établie. « Mais elle a été longue à construire. Je suis parti de zéro », rappelle-t-il. Aujourd'hui, ses tarifs au caveau vont de 7 €/col pour le rosé jusqu'à 26 €/col pour la cuvée Les Aspres en appellation Minervois. Le magnum de nebbiolo ou de touriga nacional s'affiche à 29 €. Et Pierre Cros, curieux, entend bien continuer à essayer de nouveaux cépages, « peut-être du tempranillo, ou du zinfandel ».

Des essais avec la chambre d'agriculture

La chambre d'agriculture de l'Aude a encadré les plantations expérimentales de nebbiolo et de touriga nacional chez Pierre Cros. « Nous avons acheté des greffons chez des pépiniéristes italiens et portugais, puis produit les plants », raconte Didier Viguier, responsable de l'atelier bois et plants de la chambre d'agriculture.

À partir de la quatrième feuille, il a vinifié 10 % des raisins récoltés dans les parcelles du viticulteur durant cinq ans. « Lors des dégustations à l'aveugle, ces deux cépages se démarquent bien. Ils donnent des vins fins, élégants et fruités », note l'expert. Ils ont été implantés dans un deuxième site, à Leuc, sur des terres un peu plus fertiles que chez Pierre Cros. « Là, nous avons obtenu 50 à 60 hl/ha. Ce sont des cépages du Sud. Mais il ne faut pas les planter dans des conditions trop extrêmes sinon leur rendement est très faible », conseille Didier Viguier.

Après avoir accumulé les observations agronomiques et oenologiques, la chambre d'agriculture a déposé un dossier d'inscription au catalogue français.

En parallèle, l'IFV a réalisé un travail de sélection sanitaire. « Depuis 2012, ces deux cépages sont inscrits et peuvent être plantés par tous », note Pierre Cros avec satisfaction.

L'essentiel de l'offre

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