Novembre est le mois des cépages oubliés. Les 7 et 8 auront lieu les Ves Rencontres des cépages modestes, à Saint-Côme-d'Olt (Aveyron). Quelques jours plus tard, Wine Mosaic organisera son deuxième symposium à Marseille. On y parlera de la préservation et de la valorisation des cépages rares des régions nord-méditerranéennes Puis, le Sitévi, à Montpellier (Hérault), présentera des vins de cépages anciens ou oubliés. Ces variétés sont remises au goût du jour. On les retrouve, on les étudie, on les inscrit au catalogue officiel des variétés de vigne. En mars 2016, à Paris, elles seront même associées aux maladies rares lors du premier Salon rare, organisé par les Rotary Clubs.
« On a l'impression qu'il n'existe que des initiatives locales de vignerons ou d'associations. Mais les syndicats, les organisations professionnelles et l'IFV (Institut de la vigne et du vin) s'y intéressent depuis longtemps, remarque Olivier Yobregat, ingénieur à l'IFV. Dans le Sud-Ouest, nous avons recensé 130 cépages anciens que nous avons réunis dans une collection pour les évaluer. À la demande des vignerons de Fronton, qui voudraient produire un vin blanc propre à leur terroir, nous avons réimplanté une parcelle de bouysselet blanc. Pour les producteurs de gaillac, nous testons le verdanel. Ces deux cépages seront examinés en fin d'année en vue d'une inscription au catalogue. »
Dans l'Aveyron, où dix cépages anciens ont été retrouvés, c'est au fel blanc que les vignerons s'intéressent. Ils projettent aussi d'évaluer le tarabassié, un cépage rouge autochtone. Dans le Gers, les Producteurs Plaimont redécouvrent le manseng noir. Inscrit au catalogue, mais abandonné car sensible au flétrissement et aux carences en magnésie, il a donné des résultats très prometteurs en microvinification. En Savoie, grâce au travail du Centre d'ampélographie alpine Pierre-Galet, la douce noire, la mècle, le bia blanc et la sérénèze ont été inscrits au catalogue. Des essais sont également réalisés avec la mondeuse, le persan, l'altesse et la jacquère.
La France n'est pas la seule à rechercher des cépages anciens. « Lorsque nous avons créé l'association Wine Mosaic, il y a deux ans, nous avions parmi nous un jeune vigneron libanais, raconte Jean-Luc Étiévent, le président. Celui-ci a convaincu ses collègues et compatriotes, qui cultivent essentiellement du merlot, de redécouvrir leur patrimoine local. Ils ont retrouvé une quarantaine de cépages autochtones que personne ne connaissait. Et que dire de Miguel Torres, l'un des plus gros producteurs de vin d'Espagne, qui a créé sa propre collection de cépages anciens. Il a compris que l'enjeu était colossal. »
« Aujourd'hui les acheteurs étrangers cherchent l'originalité et plus uniquement du cabernet et du merlot, analyse Jean-Luc Étiévent. On assiste à un effet de mode extraordinaire. » André Deyrieux, président de l'Association des cépages modestes, observe : « Des amateurs curieux, qui s'intéressent à l'histoire de la vigne et du vin, cherchent à découvrir de nouveaux vins à base de cépages inconnus. Mais ce regain d'intérêt pour les cépages retrouvés est également porté par des vignerons qui veulent maintenir la biodiversité et lutter contre l'uniformisation des goûts. Ils peuvent aussi avoir des préoccupations sur l'avenir du vignoble face au réchauffement climatique. Pourquoi se penchererait-on sur les OGM et pas sur les cépages anciens ? »
Les scientifiques s'emparent aussi du sujet. L'Institut des hautes études de la vigne et du vin de Montpellier SupAgro et l'association Wine Mosaic ont confié à Héloïse Mahé, élève ingénieure, une étude sur les cépages rares des régions nord-méditerranéennes. Réalisée courant 2015, celle-ci a permis d'établir une liste de soixante cépages. Une fiche pratique sera éditée sur chacun d'eux, présentant leur historique, leurs caractéristiques et des témoignages d'utilisateurs.
Patricia Boyer-Domergue, Clos Centeilles, 12 hectares, à Siran (Hérault) « Les cépages anciens demandent trois fois plus de travail »
Installée depuis vingt-cinq ans au Clos Centeilles, Patricia Boyer-Domergue a replanté des cépages anciens dès 1997, tout d'abord des blancs - riveirenc, piquepoul gris, clairette gris, araignan -, puis en 1999 des noirs - piquepoul, oeillade, morastel. Elle cultive 12 ha au total, dont 3 ha de cépages retrouvés, puis multipliés pour constituer une vigne. « J'ai recherché les cépages qui avaient fait la renommée des vins du Languedoc au XVIIIe siècle. Ils sont très tardifs et apportent beaucoup de fraîcheur. Ils composent deux de mes neuf vins : le C de Centeilles rouge, qui allie piquepoul, riveirenc, morastel et oeillade, et le C de Centeilles blanc où l'on trouve de l'araignan et du riveirenc gris et blanc. Ces mélanges en font des crus uniques. Mais j'y consacre beaucoup de temps. Les cépages anciens adorent la maladie, notamment l'oïdium. Je suis obligée d'enlever les anticipés [les entre-coeurs, NDLR], de passer la soufrette au stade de deux feuilles, puis de cinq feuilles étalées. Il faut ensuite trier les grappes. Cela me demande beaucoup d'attention et de suivi, et me donne trois fois plus de travail qu'avec des cépages récents. Je n'en planterai jamais davantage. »
Le chauché gris adopté par l'IGP charentais
Depuis 2003, le Conservatoire du vignoble charentais a retrouvé 71 cépages qu'il conserve dans sa collection ampélographique. Parmi eux, le chauché gris, forme grise du trousseau noir du Jura, était très cultivé entre le XIIe et le XVIIIe siècle avant le développement de la distillation. Il a été replanté dès 2005 afin de tester son aptitude à produire des vins de pays et des moûts pour le pineau des Charentes.
Ce cépage précoce à petit rendement est assez sensible au botrytis, mais il « permet d'élaborer des vins typés, aromatiques et corsés », lit-on dans le catalogue officiel des variétés. Les démarches du conservatoire ont permis de l'inscrire à ce catalogue en 2011, puis au cahier des charges de l'IGP charentais en juillet dernier. Pour le pineau sous AOP, il faudra encore attendre un an.
Le conservatoire a engagé un important programme de recherche pour le cognac avec le BNIC. L'objectif est d'évaluer la résistance aux maladies et au changement climatique de plusieurs cépages au rendement élevé et de les comparer à l'ugni blanc. Trois parcelles de monbadon ont ainsi été plantées chez Courvoisier, Rémy Martin et Hennessy en 2015. Deux parcelles de cinq croisements à base d'ugni blanc sont installées depuis 2014 aux Domaines Martel et à la Fondation Fougerat. Enfin, trois porte-greffes historiques, le 107 vidal, le vivet 15 et le BC2, seront évalués avec l'Inra de Bordeaux. La multiplication du matériel végétal est en cours.