Quand Laurent Miquel innove, il ne le fait pas à moitié. La preuve : en 2010, il a planté 20 ha d'alvarinho (albariño en galicien), cépage jusqu'ici inconnu en France. « Nous venions d'acheter le domaine des Auzines, à Lagrasse, dans les Corbières. Il est situé en altitude. Tous les précédents propriétaires s'y sont cassé les dents avec des rouges. J'ai voulu essayer des blancs », explique ce producteur négociant biterrois. Il arrache donc 34 ha parmi les 40 ha de vigne que compte le domaine et choisit ce cépage - très en vogue sur les marchés internationaux -, qui a fait la renommée de l'appellation Rias Baixas, en Galice. « Je l'ai découvert en Espagne. J'ai eu un coup de coeur pour ce vin vif, offrant une très belle minéralité. Ce profil manquait à notre gamme pour accompagner les fruits de mer. »
À l'époque, l'alvarinho n'est pas inscrit au catalogue. Appuyé par la chambre d'agriculture de l'Hérault, Laurent Miquel obtiendra son classement en moins d'un mois. Il avait prévu au départ de planter les 34 ha avec ce cépage, mais limité par la disponibilité des plants certifiés, il devra se contenter de 20 hectares.
À Lagrasse, l'alvarinho s'est particulièrement bien adapté. Les vendanges accusent quinze jours de retard par rapport à l'autre exploitation de Laurent Miquel, le Domaine de Cazal Viel, à Cessenon-sur-Orb. « Je suis très content de la qualité de ce vin. Elle correspond à l'objectif que nous nous étions fixé pour le positionner à un bon niveau dans notre gamme, soit à 12 € TTC la bouteille. En revanche, nous avons mis plus de temps que prévu à atteindre des rendements corrects. Cette campagne, nous parvenons à 40 hl/ha, mais les premières années, nous n'avons récolté que 25 hl/ha. »
Maintenant que son pari un peu fou semble en passe d'être gagné, Laurent Miquel rêve de la naissance d'une micro-appellation autour de Lagrasse qui, comme Rias Baixas, ferait la part belle à l'alvarinho. « Dédier un vignoble à l'alvarinho pour produire des vins très qualitatifs serait un moyen de faire revivre ces villages reculés des Corbières », estime-t-il.
Le Domaine de l'Arjolle a fait le choix du zinfandel, cépage noir qui représente près de 10 % du vignoble californien. Là encore, c'est à la faveur d'un voyage en Californie que Louis-Marie Teisserenc, alors à la tête de cette exploitation familiale des côtes de Thongue, déguste ce cépage capable de produire des vins très variés. En 1996, il en plante un hectare dans un cadre expérimental. « C'est un cépage assez productif, surtout les premières années. Il produit alors des vins peu typiques. Depuis que nous arrivons à maintenir les rendements entre 65 et 70 hl/ha, les vins sont beaucoup plus intéressants, avec des arômes puissants et très particuliers de clous de girofle et de géranium », détaille Charles Duby, en charge du vignoble au sein du Gaec familial.
Cépage peu précoce, il se ramasse entre le merlot et le cabernet-sauvignon et mérite d'être récolté bien mûr pour avoir une bonne puissance aromatique tout en gardant une belle fraîcheur. « C'est un vin de passionné. Il ne plaît pas à tout le monde car ses arômes sont très particuliers. Au niveau commercial, il a mis du temps à démarrer mais, aujourd'hui, la demande est là. Ainsi, nous en avons planté un hectare supplémentaire cette année pour pouvoir fournir le marché. C'est également une bonne stratégie de communication car cette cuvée a contribué à notre notoriété. »
C'est également la carte de la différenciation qu'a voulu jouer Olivier Pascal, vigneron à Capestang (Hérault). « J'ai un petit domaine de 10 ha en cave particulière. Il faut que je me démarque et que je propose autre chose que les sempiternels chardonnay, merlot ou cabernet-sauvignon. »
En 2010, il opte pour le nielluccio, cépage d'origine italienne, traditionnellement cultivé en Corse. « Je cherchais une variété adaptée au climat méditerranéen pour faire un vin frais et léger. » Il en plante un demi-hectare sur des terres irriguées, mais plutôt maigres. Il conduit la vigne en cordon de Royat et produit entre 60 et 70 hl/ha.
« J'obtiens le profil recherché : des vins légers - aux alentours de 12 % vol. - avec une belle fraîcheur car ils se maintiennent toujours au-dessus de 4 g/l d'acidité totale. » La production est vinifiée pour moitié en rouge et moitié en rosé de saignée. Commercialement, les deux cuvées marchent bien. « En rosé, je suis systématiquement en rupture de stock », confie le vigneron, qui a planté 50 ares supplémentaires cette année pour répondre à cette demande.
Joliment baptisés « Pour une poignée de raisins », ses nielluccios 2013 ont été désignées Cuvées Collection de l'IGP Pays d'Oc par un jury d'experts pour « leur délicieux accent méditerranéen ». Belle carte de visite pour leurs premiers pas.
Porte ouverte aux pépites du vignoble mondial
Les pouvoirs publics réagissent au réchauffement climatique. Récemment, ils ont inscrit au catalogue français une douzaine de cépages méditerranéens, jugés dignes d'intérêt dans leur région d'origine et adaptés aux fortes chaleurs comme à la contrainte hydrique. Figurent dans cette liste : le touriga nacional et le verdelho (Portugal), le saperavi (Géorgie), le nebbiolo, le barbera, le dolcetto et le primitivo ou zinfandel (Italie). Les vignerons français peuvent donc les planter. « Cet été, nous avons également demandé l'inscription de plusieurs variétés grecques qui donnent des vins particulièrement intéressants : l'agiorgitiko (rouge), l'assyrtiko (blanc) et le moschofilero (blanc). D'ailleurs, les Australiens, qui sont confrontés eux aussi au réchauffement climatique, s'y intéressent de près », indique Laurent Audeguin, du pôle national Matériel végétal de l'IFV. Au domaine du Chapitre de l'Inra, à Villeneuve-lès-Maguelone (Hérault), trois variétés ont été plantées ce printemps : touriga nacional, zinfandel et saperavi. Les variétés grecques seront également mises en terre dès leur inscription au catalogue. « Ces essais visent à tester ces variétés dans les conditions du Languedoc ainsi qu'à évaluer la valeur commerciale des vins. Ils ont aussi une vocation de démonstration vis-à-vis des vignerons », assure le chercheur.
Le pavillon des Cépages du monde au salon du Sitévi
Pour la première fois cette année, il sera possible de déguster au Sitévi une sélection de cépages du monde entier et de cépages originaux français. L'IFV et Comexposium, l'organisateur du salon, s'associent pour créer cette animation sur un espace dédié de 100 m2. Des vignerons présenteront des cépages étrangers ou rares qu'ils cultivent en France : alvarinho, zinfandel et carménère. L'IFV fera déguster des cépages grecs (assyrtiko et agiorgitiko) et portugais (touriga nacional) élaborés par des viticulteurs de ces pays. Une fiche explicative de chaque vin, élaborée à partir des informations données par le vigneron, sera fournie au visiteur. Les bouteilles seront exposées sur des présentoirs. Les visiteurs du salon pourront venir les déguster à tout moment de la journée, à condition de s'être inscrits à l'avance.