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AU COEUR DU MÉTIER

À SAINT-AUBIN, EN CÔTE-D'OR « Changement de cap pour monter en gamme »

FLORENCE BAL - La vigne - n°280 - novembre 2015 - page 48

À SAINT-AUBIN, EN CÔTE-D'OR, la famille Roux s'est trouvée en danger, en 2008, lorsque la crise financière a éclaté aux États-Unis. Elle a alors tout revu pour mieux valoriser ses vins, quitte à en vendre moins. Un pari réussi.
FACE AU FIEF FAMILIAL DE SAINT-AUBIN, trois générations de la famille Roux. De gauche à droite, Régis, Marcel, Sébastien, Matthieu et Christian, à la retraite depuis 2012. Marcel est le père de Régis et Christian qui est lui-même le père de Sébastien et Matthieu. F. BAL

FACE AU FIEF FAMILIAL DE SAINT-AUBIN, trois générations de la famille Roux. De gauche à droite, Régis, Marcel, Sébastien, Matthieu et Christian, à la retraite depuis 2012. Marcel est le père de Régis et Christian qui est lui-même le père de Sébastien et Matthieu. F. BAL

MATTHIEU ROUX déguste quelques vins avec Pierre Fonteneau, oenologue de Burgondia Œnologie, qui le conseille depuis 2013. F. BAL

MATTHIEU ROUX déguste quelques vins avec Pierre Fonteneau, oenologue de Burgondia Œnologie, qui le conseille depuis 2013. F. BAL

LE TABLEAU DE BORD DE LEUR EXPLOITATION

LE TABLEAU DE BORD DE LEUR EXPLOITATION

UNE ZONE DE VINIFICATION TEMPORAIRE est installée tous les ans sous une tente car le bâtiment ne sera agrandi qu'en 2020. Après les vendanges, Matthieu Roux donne un coup de main à son nouvel embauché, Maximilien Brégégère, pour un grand nettoyage. F. BAL

UNE ZONE DE VINIFICATION TEMPORAIRE est installée tous les ans sous une tente car le bâtiment ne sera agrandi qu'en 2020. Après les vendanges, Matthieu Roux donne un coup de main à son nouvel embauché, Maximilien Brégégère, pour un grand nettoyage. F. BAL

UN CAVEAU DE DÉGUSTATION POUR LES PARTICULIERS est installé dans une des caves que la famille Roux possède au village. Matthieu prépare ici une dizaine de cuvées.  F. BAL

UN CAVEAU DE DÉGUSTATION POUR LES PARTICULIERS est installé dans une des caves que la famille Roux possède au village. Matthieu prépare ici une dizaine de cuvées. F. BAL

Faire moins, faire mieux et gagner plus. Après avoir surmonté d'importantes difficultés liées à un fort endettement et à la crise financière de 2008, la maison Roux a pris un nouveau cap. Depuis cinq ans, elle est montée en gamme, a augmenté ses prix, changé ses réseaux de distribution et renforcé la qualité de ses vins.

Installée à Saint-Aubin, en Côte-d'Or, elle est à la tête de 65 ha de vignes (la SARL Domaine Roux père et fils) et d'un négoce (Roux père et fils SA). En 2014, son chiffre d'affaires a baissé de 7 %, mais sa marge globale a augmenté de 15 %. Elle a commercialisé 800 000 bouteilles de vins d'appellations de la Côte de Beaune, de la Côte de Nuits et de la Côte chalonnaise - 60 % en blancs et 40 % en rouges. La gamme comprend 115 références dont une quarantaine de premiers crus et huit grands crus. Elle dispose de onze marques ou noms de domaines différents.

En quarante ans, l'entreprise s'est fortement développée. En 1975, Christian Roux (aujourd'hui à la retraite) reprend les 30 ha de vignes familiales dans la Côte de Beaune. Son frère Régis le rejoint en 1982. Ambitieux et entreprenants, ils créent, deux ans plus tard, le négoce Roux père et fils SA pour compléter leurs gammes et leurs approvisionnements. En 1995, Emmanuel, le troisième frère, arrive à son tour dans l'entreprise. En 1997-1998, le trio achète deux domaines dans le Languedoc ; au total une centaine d'hectares de vigne. Parallèlement, ils agrandissent leur domaine bourguignon de 25 ha en quinze ans.

Sébastien, 37 ans aujourd'hui, et Matthieu, 36 ans, tous deux fils de Christian, rejoignent l'entreprise en 2003. L'époque est favorable. Sébastien, aujourd'hui président de la SA et de la holding familiale, développe l'exportation, notamment vers les États-Unis. « De 2003 à 2007, raconte Sébastien, les ventes du négoce augmentaient de 100 000 bouteilles par an, jusqu'au pic de 2007 où nous avons commercialisé 1,1 million de cols », produits à 70 % par le négoce.

Puis le vent tourne. En 2007, la crise des subprimes éclate aux États-Unis. Ses conséquences frappent la famille Roux de plein fouet. Très dépendante de ce marché, elle entre dans une zone de forte turbulence dont elle ne sortira véritablement qu'en 2012. Son endettement devient trop pesant.

En juin 2008, juste avant l'éclatement de la crise financière mondiale, les Roux vendent l'un de leurs domaines de l'Hérault, puis se séparent des vignes du deuxième, tout en conservant une marque en vins de Pays d'Oc, Sainte-Croix. « De toute façon, on se serait séparé de ces vignes pour se recentrer sur la Bourgogne, commente Sébastien. Le timing a été providentiel. » En 2009, leur chiffre d'affaires global tombe à 6,64 millions d'euros, en recul de 30 % par rapport à 2007. Les ventes aux États-Unis ont chuté de 60 %. « On a grandi très vite en foncier. Un peu trop vite, un peu trop fort, analysent aujourd'hui Sébastien et Matthieu. Nous nous sommes beaucoup endettés et nous avons mis beaucoup de temps à le digérer. Nous avons vécu des périodes extrêmement tendues. »

« Compte tenu de notre taille intermédiaire - nous ne sommes ni un petit domaine ni un gros négociant - notre situation a longtemps été inconfortable. Nous avons mis du temps à trouver notre place sur le marché », poursuit Sébastien.

À l'exportation et en grande distribution, ils étaient positionnés sur des marchés d'entrée et de milieu de gamme. « Nous avions une approche plutôt agressive, analyse Sébastien. Nous avions peur de vendre cher. » Depuis cinq ans, ils ont changé de stratégie, profitant de l'envolée des prix bourguignons. Ils ont augmenté leurs tarifs de 30 à 100 % selon les crus. Ils vendent moins en volume, d'autant que plusieurs petites récoltes se sont enchaînées, mais ils valorisent beaucoup mieux. Ils réduisent la voilure du négoce en travaillant beaucoup moins avec la grande distribution (10 % des ventes au lieu de 42 % en 2004) mais là encore ils vendent « beaucoup mieux ».

Ces changements se font en phase avec des progrès au chai et au vignoble. « On ne peut pas tout chambouler d'un coup », explique toutefois Matthieu, le directeur technique, épaulé au chai par Emmanuel, l'oenologue. À partir de 2003, ils mettent en place des procédures écrites et une traçabilité pour optimiser la gestion du travail. Afin d'éviter l'oxydation prématurée des vins blancs, ils diminuent la longueur des tuyaux entre les cuves et généralisent l'inertage.

Depuis 2010, ils pratiquent une filtration lenticulaire sur les villages, premiers et grands crus, un mois avant l'embouteillage. « D'un faible débit (10 hl/h), elle est plus douce. On garde une belle brillance tout en minimisant la perte aromatique », explique Matthieu. Ils choisissent par ailleurs de mettre systématiquement en avant la diversité de leurs terroirs en valorisant tous les lieux-dits. Par exemple, ils proposent aujourd'hui dix saint-aubin 1er cru contre deux en 2003. Saint-Aubin est leur fief, « notre signature », disent-ils. Pour vinifier de nombreux petits volumes, ils disposent de 10 000 hl de cuves en Inox, de 3 hl à 250 hl, et de 800 fûts, de 228 l à 400 l.

Autre évolution : les marchés demandent des vins ayant du fruité et de la fraîcheur, moins boisés et moins riches. Ils s'adaptent. Depuis 2010, ils vendangent les chardonnays plus tôt, à 11,5-12° au lieu de 12°-13° auparavant. Ils réduisent de 24 à 18 mois la durée maximum de l'élevage en fûts de leurs grands vins rouges. Ils allongent un peu celle des grands blancs, mais réduisent la part de fûts neufs, avec pas plus de 30 % contre 50 % auparavant. Ils pratiquent une gestion plus fine du SO2 selon la vendange et les vins avec des apports plus raisonnés tout au long de leur élaboration. À la vigne, pour améliorer la qualité des raisins, ils remplacent l'éclaircissage par un ou deux ébourgeonnages supplémentaires sur le pinot noir et les grandes AOC. Ainsi, ils étalent mieux les yeux sur la baguette. Ils pratiquent également un effeuillage manuel.

En 2013, ils franchissent « une marche qualitative » supplémentaire. Ils font appel au laboratoire de Kyriakos Kynigopoulos, Burgondia Œnologie. Depuis, l'oenologue Pierre Fonteneau leur donne un avis « plus que bienvenu » après des analyses poussées. Exemple ? Sur ses conseils, ils se mettent à débourber leurs bourgognes et coteaux bourguignons rouges. « Une fois l'encuvage fait, on tire le jus, on le passe au froid entre 5 et 10 °C, on laisse débourber comme un blanc puis on le réinjecte sur le marc. C'est impressionnant comme on améliore la netteté du vin, s'enthousiasme Matthieu. Grâce à Pierre, on affine notre façon de faire les vins. » Il poursuit : « Le travail mis en place dans les vignes et au chai porte aujourd'hui ses fruits. D'autant que nous avons une excellente équipe de 30 personnes, des employés sur qui on peut vraiment compter. »

Craignent-ils un contrecoup de la flambée des prix ? Non, ils sont confiants dans l'avenir. « La Bourgogne reste une région de niche alors que la consommation mondiale de vin augmente tous les ans », souligne Sébastien, qui espère vendre un million de cols par an d'ici deux ou trois ans. Ils veulent continuer à valoriser leurs lieux-dits et à étoffer leur offre en villages, premiers crus, voire en grands crus, par exemple à Vosne-Romanée, « mais il est très difficile d'en acquérir », regrettent-ils. Ils prévoient également de doubler la surface de leur bâtiment actuel de 1 000 m2 d'ici à 2020. En effet, ils y sont tellement à l'étroit qu'ils montent une tente de 500 m2 tous les ans pour vinifier leur récolte.

La nouvelle génération des Roux continue à aller de l'avant et elle a la fierté d'avoir réussi « à inverser la vapeur ». « Nous sommes très contents de la mutation de qualité opérée à la vigne, dans les vins et dans nos réseaux de distribution », concluent-ils.

SUCCÈS ET ÉCHECS CE QUI A BIEN MARCHÉ

Ils ont réussi à remodeler leur distribution en passant sur des marchés de milieu et haut de gamme. Ils ont augmenté la part de l'exportation et réduit celle de la grande distribution française.

Depuis deux ans, leur marge globale a augmenté de 15 % après la hausse de leurs tarifs, même si leur chiffre d'affaires a baissé.

Depuis qu'ils font appel au laboratoire Burgondia Œnologie, ils ont « franchi une étape importante dans la qualité. On est contents, on sait où on va ».

SUCCÈS ET ÉCHECS CE QU'IL NE REFERA PLUS

En 1997 et 1998, ils ont acheté deux propriétés dans l'Hérault, ce qui a augmenté leur endettement qui était déjà important. « Notre réseau de vente n'a pas pu écouler 600 000 bouteilles supplémentaires. Nous en avons revendu une et cessé la vigne dans l'autre. »

De 2005 à 2010, ils ont pratiqué la vendange en vert sur le pinot noir pour améliorer la qualité. « On constatait toujours un grossissement des baies restantes. C'était sans intérêt. Nous avons arrêté. »

SA STRATÉGIE COMMERCIALE Un redéploiement à l'exportation

- L'export représente aujourd'hui 70 % des ventes contre 30 % en 2004. « Nous avons d'abord cherché à être présents dans le plus grand nombre de pays possible », explique Sébastien Roux, qui passe trois à quatre mois par an à l'étranger. Aujourd'hui, l'entreprise vend ses vins dans 50 pays contre une dizaine en 2003 (Angleterre, Canada, Japon, Benelux, Suisse, etc.) et une trentaine en 2008. « Il a fallu s'accrocher », continue-t-il. Pour se faire connaître, en plus des salons « incontournables » comme Prowein et Vinexpo à Bordeaux ou en Asie, ils développent leur présence dans des salons organisés par la CCIR de Dijon, le BIVB (l'interprofession) et Ubifrance. « Pour des pays que nous connaissons mal ou qui semblent compliqués, c'est précieux. On rencontre tout de suite les bonnes personnes. »

- Par ailleurs, l'entreprise prospecte et démarche intensivement en direct. Depuis cinq ans, à cause de l'augmentation conséquente de ses tarifs, elle cible des importateurs « très qualitatifs », leaders dans leurs pays et positionnés sur les marchés de milieu et haut de gamme. Une révolution pour un domaine qui a eu longtemps une approche agressive des marchés avec des prix bas.

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L'exploitation

Surface : 65 ha

Appellations (avec le négoce) : Coteaux bourguignons, Bourgogne, Hautes Côtes de Beaune, Bourgogne aligoté plus 13 villages en Côte de Beaune, Côte de Nuits et Côte chalonnaise, 40 premiers crus, 8 grands crus et 80 lieux-dits.

Plantation : 5 100 à 10 000 pieds par hectares.

Taille : guyot.

Main-d'oeuvre : 30 employés + 8 membres de la famille (dont 3 retraités).

Production du domaine en 2014 : 2 935 hl.

Production du négoce en 2014 : 3 060 hl.

L'essentiel de l'offre

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