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VIN

FML Le manque d'acide malique fait débat

MARION BAZIREAU - La vigne - n°280 - novembre 2015 - page 66

Cette année, les faibles teneurs en acide malique sont courantes. Quelles conséquences sur le déroulement de la FML (fermentation malolactique) ? Les avis divergent chez les oenologues comme chez les chercheurs.
PRÉLÈVEMENT D'ÉCHANTILLONS EN VUE D'UNE ANALYSE. Des chercheurs ont mesuré la durée de la fermentation malolactique sur le chardonnay et le pinot noir, en faisant varier leur teneur en acide malique. © GUTNER

PRÉLÈVEMENT D'ÉCHANTILLONS EN VUE D'UNE ANALYSE. Des chercheurs ont mesuré la durée de la fermentation malolactique sur le chardonnay et le pinot noir, en faisant varier leur teneur en acide malique. © GUTNER

Les millésimes chauds s'accompagnent souvent d'une dégradation de l'acide malique. Cette année, il n'était pas rare de vendanger des raisins en contenant moins de 0,5 g/l. C'est très peu. En effet, lors d'une année classique, les teneurs en acide malique sont plus élevées : entre 1,5 et 2,5 g/l dans le Sud-Est, entre 1 et 3 g/l à Bordeaux ou en Bourgogne, selon les cépages et les terroirs... Reste à savoir si ces faibles teneurs compliquent ou au contraire favorisent le déclenchement de la fermentation malolactique.

La question fait débat chez les oenologues de terrain et personne ne semble vraiment le savoir. Certains considèrent que les faibles acidités sont une aubaine pour les bactéries lactiques, alors que d'autres pensent que le manque de substrat va freiner leur multiplication. Qu'en est-il ?

Aline Lonvaud ne peut pas répondre à la question, bien que spécialiste des bactéries à l'ISVV de Bordeaux. Elle remarque que, ces dernières années, les fermentations malolactiques sont souvent perturbées alors que les teneurs en acide malique sont faibles. Y a-t-il un lien de cause à effet ? Aline Lonvaud ne peut pas l'affirmer. « Le bon déroulement de la FML dépend de multiples facteurs. En plus des teneurs en acide malique, le degré alcoolique, le pH et l'intensité colorante facilitent ou compliquent l'opération. Par exemple, on admet que l'alcool freine le développement des bactéries dès 12 % vol. et complique le déroulement de la FML à partir de 13,5 % vol. Et pourtant, dans certains vins à 15 % vol., tout se passe très bien. » Concernant la matière colorante c'est également compliqué : certains polyphénols accélèrent la FML, comme les anthocyanes et l'acide gallique, tandis que d'autres l'inhibent.

En Suisse, Benoît Bach n'est pas surpris. « Il n'est pas étonnant que les oenologues se contredisent car la FML n'a pas encore livré tous ses secrets, explique ce professeur de l'école de Changins. Ce qui est sûr, c'est que les bactéries n'aiment ni les excès ni les manques. L'acide malique est leur substrat préféré. Le risque, quand il y en a peu, c'est qu'elles se tournent vers l'acide citrique et les sucres résiduels, qu'elles produisent trop de diacétyle et fassent monter l'acidité volatile. »

Vincent Gerbaux et Carole Briffox ont fait des essais pour tenter d'y voir plus clair. Travaillant à l'IFV de Beaune, ils ont opéré sur des lots de 750 ml de chardonnay et de pinot noir, vendangés en 2014. Les vins affichaient le même pH, 3,25, le même degré alcoolique, 12,5 % vol., et étaient conservés à la même température, 16 °C. Les chercheurs ont fait varier leur teneur en acide malique et les ont inoculés avec différentes souches de bactéries lactiques : six sur le chardonnay et cinq sur le pinot noir.

Tout d'abord, ils ont remarqué que les concentrations en acide malique influencent la durée de la FML : plus les vins en sont chargés, plus les bactéries le dégradent vite. Par exemple, sur le chardonnay, lorsque la concentration en acide malique est de 0,75 g/l, les bactéries en consomment en moyenne 83 mg par jour, alors qu'elles en consomment en moyenne 230 mg par jour lorsque le vin contient 5,20 g/l d'acide malique.

Plus intéressant encore, les chercheurs ont montré que, même si elle est plus lente, la dégradation de l'acide malique reste effective pour des concentrations basses, inférieures à 1 g/l. Mieux, le temps de latence avant enclenchement de la FML est le même pour tous les lots.

Au bout du compte, sur le chardonnay, la FML a duré entre 10 jours, pour une concentration initiale en acide malique de 0,75 g/l, et 38 jours, pour 5,20 g/l. Sur le pinot, elle a duré entre 32 et 40 jours, pour des teneurs de 3 à 5,70 g/l.

À en croire ces essais, les faibles teneurs en acide malique dans le millésime 2015 ne devraient donc pas poser trop de problèmes. Il faut toutefois noter que certaines souches ont donné des résultats inférieurs à cette moyenne.

Dans leurs essais, les chercheurs de l'IFV ont également constaté que la FML est difficile à relancer lorsqu'elle se bloque avant d'arriver à son terme dans le cas où la concentration en acide lactique dépasse 1 g/l.

D'après Aline Lonvaud, il faudrait créer une base de données, avec un grand nombre de vins aux pH, TAV, sucres résiduels et intensité colorante identiques. Ce serait plus utile que des expériences en laboratoire qui ne sont pas toujours le reflet de la réalité. « On verrait alors vraiment comment la fermentation malolactique est influencée par la teneur initiale en acide malique, et dans quelle mesure elle est facilitée ou compliquée. »

Des conseils de bon sens

Dans le doute, beaucoup de techniciens se montrent prudents et conseillent d'ensemencer en bactéries lactiques le plus tôt possible, surtout lorsque les pH sont élevés, pour éviter les phases de latence et les développements de micro-organismes indésirables, tels que les Brettanomyces ou les bactéries acétiques.

Pour Aline Lonvaud, de l'ISVV de Bordeaux, si on ensemence le vin à au moins 106 cellules par millilitre, les bactéries seront assez nombreuses pour transformer l'acide malique en acide lactique. « L'ensemencement permet de s'affranchir des difficultés de multiplication. »

Pour Daniel Granès, directeur technique à l'ICV, le premier réflexe doit être le maintien des cuves à une température compatible avec la FML, entre 20 et 22 °C, afin que les malos puissent se dérouler spontanément. « Dans un second temps, l'idée peut être d'ensemencer les cuves que l'on sait à risque, ajoute le directeur technique de l'ICV. C'est le cas des merlots thermovinifiés avec macération préfermentaire à chaud, ou des cuves à degré alcoolique élevé. Les vignerons peuvent également ensemencer les cuvées qu'ils sont sûrs de bien valoriser. » Car les bactéries lactiques coûtent cher, deux fois plus que le levurage. D'ailleurs, à l'échelle mondiale, moins de 10 % des vins sont ensemencés.

Pour faire des économies, Christophe Coupez, directeur de l'oenocentre de Pauillac (Gironde), propose quant à lui d'ensemencer une première cuve avec un levain malolactique et, une fois que la FML a bien démarré, de repiquer les autres cuves.

Pour stabiliser la couleur et affiner les tanins des vins rouges, Vincent Gerbaux préconise une FML régulière mais lente, permettant un sulfitage à l'action décolorante tardif. « Le viticulteur peut, par exemple, coupler un ensemencement en bactéries lactiques et un abaissement de la température autour de 14 °C pour limiter le développement des micro-organismes », explique-t-il.

Daniel Granès a une autre technique dans le même registre : profiter de la macération post-fermentation alcoolique et des températures fraîches pour stabiliser le vin, avant la FML. « Cinq à dix jours suffisent, avec des apports modérés d'oxygène, pour stabiliser la couleur et le fruit. »

La note beurrée à surveiller

Les faibles teneurs en acide malique ne devraient pas avoir trop d'impact sur le profil sensoriel des vins. Pour Nicolas Rubin, conseiller technique à la chambre d'agriculture du Maine-et-Loire, la baisse d'acidité sera simplement moins importante entre les fermentations alcoolique et malolactique.

« Comme l'acide malique joue pour les deux tiers de l'acidité, le pH augmentera peu entre la FA et la FML », ajoute Daniel Granès, directeur technique à l'ICV.

En fait, le risque est ailleurs. Compte tenu des faibles teneurs en acide malique, les bactéries pourraient être tentées de se tourner vers l'acide citrique et de le dégrader en diacétyle. À faible dose, le diacétyle contribue à l'apparition d'arômes appréciables de noix et de grillé, des concentrations plus importantes font apparaître des notes beurrées, rarement recherchées. Mais la production de diacétyle ne dépend pas que des teneurs en acides malique et citrique. Elle est également influencée par la température : le diacétyle s'accumule davantage dans le vin à 18 °C, qu'à 25 °C. En outre, le moment d'inoculation des bactéries et le choix de la souche favorisent, ou non, sa production.

L'ICV anticipe le déroulement de la FML

Aidé par Lallemand, l'ICV a développé un test rapide (2 à 5 jours) qui permet de prédire le déroulement de la FML d'un vin, après ensemen-cement d'une bactérie de la gamme Elios. Ce test permet de savoir si la FML sera facile (avec un déclenchement inférieur à 20 jours), moyenne (entre 20 et 40 jours), ou difficile (plus de 40 jours), voire impossible.

Si le test indique une FML facile, le vigneron peut ensemencer son vin. S'il annonce une FML moyenne, il faut préparer le terrain, réchauffer le vin autour de 20 °C ou l'assembler avec une cuve présentant des critères plus favorables (moins d'alcool, meilleur pH...).

Dans le cas où le test indique qu'une FML est impossible, le vigneron doit d'abord acidifier un échantillon ou l'assembler avec une autre cuve, puis refaire un nouveau test. Seize tests ont déjà été réalisés, à 25 € l'unité,

sur des vins provenant essentiellement du Languedoc-Roussillon et aux teneurs en acide malique inférieures à 1,2 g/l. Un seul test a prédit une FML difficile.

Il présentait 1,04 g/l d'acide malique, 15,8 % vol. et un pH de 3,2. Le reste des échantillons a révélé une FML facile ou moyenne.

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