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VIN - Interview

JOANA COULON, RESPONSABLE R & D MICROBIOLOGIE CHEZ LAFFORT « Avec le levurage, les vins sont plus stables »

PROPOS RECUEILLIS PAR M. BAZIREAU - La vigne - n°280 - novembre 2015 - page 68

Responsable R&D microbiologie chez Laffort, Joana Coulon a découvert que les vins non levurés sont plus difficiles à stabiliser. La faute aux levures indigènes et à des fermentations malolactiques (FML) languissantes.
 ©P. ROY

©P. ROY

Quel était l'objet de vos essais ?

Joana Coulon : Nous avons cherché à savoir si levurer les moûts permet de réduire le sulfitage des vins. En 2012, nous avons travaillé sur quatre cuves de 4 hl de moût de merlot, deux sulfitées à 2 g/hl, et deux à 4 g/hl. Puis, pour chaque modalité, nous avons levuré une cuve avec la Zymaflore FX10 de Laffort. L'autre a fermenté spontanément.

Qu'avez-vous remarqué ?

J. C. : Dans les deux cuves qui ont fermenté spontanément, nous avons constaté un développement très important de levures non-Saccharomyces, quelle que soit la teneur en SO2, contrairement aux cuves levurées. Nous en concluons que pour des doses modérées de SO2, le levurage est plus efficace que le sulfitage pour contenir les populations de levures indigènes. En fin de fermentation, nous avons mesuré le TL35. Ce paramètre indique la quantité de SO2 à ajouter dans un vin pour arriver à 35 mg/l de SO2 libre. Plus le TL35 est haut, plus le vin contient de composés combinant le SO2. Nous avons constaté peu d'écart dans les modalités à 2 g/hl. En revanche, dans les vins sulfités à 4 g/hl, le TL35 de la cuve non levurée est supérieur de 13 mg/l.

Est-il possible que ces résultats soient accidentels, qu'une espèce dommageable se soit implantée dans le dernier lot ?

J. C. : Difficile de répondre à cette question. Ce que nous avons remarqué, et qui nous a été confirmé par une autre expérience sur du cabernet-sauvignon, c'est que les non-Saccharomyces se développent davantage dans les vins non levurés. À chaque fois, cela fait grimper le TL35. Mais les écarts peuvent varier selon les situations. Il ne faut pas négliger l'effet millésime, le type de vin, l'état sanitaire ou le sulfitage de la vendange. Dans nos essais, le sulfitage à 2 g/hl n'a visiblement pas trop perturbé les levures indigènes. Par contre, dans la modalité à 4 g, elles ont produit beaucoup de composés combinant le SO2 pour se défendre.

Les non-Saccharomyces produisent-elles toujours plus de composés combinant le SO2 ?

J.-C. : En moyenne, oui. Mais certaines levures Saccharomyces peuvent aussi produire des molécules qui combinent le SO2. Cette synthèse dépend de deux facteurs : l'espèce de levure et son état physiologique. Des levures indigènes stressées sur la pellicule du raisin auront naturellement tendance à produire plus de composés combinant le SO2 que des levures sèches actives bien hydratées et inoculées dans de bonnes conditions.

Quelles sont ces molécules qui combinent le SO2 ?

J. C. : Dans le cas de vendanges saines, ce sont l'éthanal, mais également l'acide pyruvique et l'acide 2-oxoglutarique.

Le levurage a-t-il eu un impact sur les bactéries lactiques ?

J. C. : Oui. À partir de la fin de la fermentation alcoolique, nous avons observé que les bactéries indigènes se développent davantage dans les vins levurés. À la fin de la fermentation alcoolique, avant ensemencement en bactéries, on décompte déjà près de 50 000 UFC/ml (unité faisant colonie) dans les deux modalités levurées. Dans les deux modalités non levurées, il n'y a que 3 000 et 100 UFC/ml. On ne sait pas encore bien expliquer ces différences, mais il est certain que le levurage crée des conditions favorables aux bactéries indigènes. Il est intéressant de constater que les deux vins ensemencés en levures présentent le même nombre de bactéries lactiques en fin de fermentation alcoolique, qu'on ait sulfité à 2 ou 4 g/hl.

Cela signifie que le levurage annule l'effet du sulfitage pour les bactéries ?

J. C. : Oui, au moins pour des doses faibles à modérées de SO2. Le levurage offre des conditions plus permissives aux bactéries lactiques. Nous aurions certainement obtenu des résultats différents sur un vin sulfité à 8 g/hl.

Que se passe-t-il pendant la FML ?

J. C. : Après la fermentation alcoolique, nous avons ensemencé les deux cuves levurées avec la 450 PreAc, une bactérie lactique sélectionnée par Laffort. Toutes deux ont réalisé la FML en 42 jours et ont vu leur TL35 chuter d'environ 20 mg/l, passant d'environ 70 mg/l à 50 mg/l. Sur les deux autres cuves, la FML s'est déroulée spontanément et a duré entre 72 et 96 jours. De plus, le TL35 a grimpé en moyenne de 60 mg/l, passant de 83 à 122 mg/l pour la première, et de 83 à 165 mg/l pour la seconde. Nous en concluons que la FML peut être un moyen très efficace pour éliminer des molécules combinant le SO2. Œnococcus oeni, principale bactérie lactique, est en effet capable de dégrader l'éthanal, mais aussi l'acide pyruvique et l'acide 2-oxoglutarique. Mais, pour cela, il faut qu'elle se développe dans de bonnes conditions. Mieux vaut ensemencer pour s'assurer une FML franche et rapide. Et cela autorisera le vinificateur à réduire son sulfitage pendant l'élevage.

Justement, qu'avez-vous observé pendant l'élevage ?

J. C. : Les écarts de pouvoir de combinaison des vins ensemencés ou non perdurent, aussi bien à trois mois qu'à sept mois et demi. En fonction des niveaux de combinaisons, nous avons à nouveau sulfité les vins à sept mois : les vins ensemencés ont respectivement reçu 3 et 5 g/hl de SO2, alors que les vins non ensemencés en ont reçu 5 et 8 g/hl, pour arriver dans tous les cas à 35 mg/l de SO2 libre après le sulfitage. Au final, ce sont donc ces derniers qui contiennent le plus de SO2 total. Paradoxalement, ils présentent aussi les teneurs les plus faibles en SO2 actif, 0,18 et 0,06 mg/l, contre 0,44 et 0,49 mg/l pour les vins ensemencés en levures et bactéries. Pour comprendre ces écarts, nous avons mesuré les teneurs en éthanal. Les vins ensemencés en contenaient tous les deux 13 mg/l, tandis que la modalité au plus fort TL35 en affichait 50 mg/l. C'est la preuve que, tout seul, le sulfitage ne suffit pas à protéger les vins.

Que conseillez-vous aux viticulteurs qui ne levurent pas ?

J. C. : Ils doivent être conscients des risques qu'ils prennent. Ne pas ensemencer, c'est jouer à la loterie : on peut très bien obtenir de beaux résultats mais on peut également obtenir le pire, avec des levures qui font monter l'acidité volatile ou qui provoquent des fermentations languissantes. Pendant l'élevage, le vinificateur doit donc analyser régulièrement les teneurs en SO2 actif de ses vins et les réajuster si besoin.

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