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VIN

Élevage Staves et copeaux consomment du SO2 libre

MARION BAZIREAU - La vigne - n°280 - novembre 2015 - page 70

Dès leur ajout dans le vin, les staves, inserts et autres copeaux libèrent de l'oxygène. Un phénomène dont il faut tenir compte durant l'élevage car il provoque une diminution du SO2 libre et qui pourrait fragiliser le vin.
STAVES DE CHÊNE plongées dans l'ouverture supérieure d'une cuve pour boiser les vins. ©  P. PARROT

STAVES DE CHÊNE plongées dans l'ouverture supérieure d'une cuve pour boiser les vins. © P. PARROT

Benoît Verdier, directeur des développements oenologiques pour la tonnellerie Seguin-Moreau, l'affirme : « Contrairement à ce que l'on pensait jusqu'à récemment, les alternatifs à la barrique dans le vin - copeaux, staves, inserts, douelles - apportent de l'oxygène au vin. À dose mesurée, le bois donne de la rondeur et de la complexité au vin, mais fait aussi baisser sa teneur en SO2 libre. »

Le bois de chêne est poreux. Il renferme 63 % d'air, composé à 20 % d'oxygène. En moyenne, les techniciens estiment la quantité maximale d'oxygène contenue dans un gramme de bois sec à 0,4 mg. Partant de cette valeur, lors d'un ajout de staves à raison de 8 g/l, le vin peut théoriquement recevoir jusqu'à 3,2 mg/l d'oxygène. Une quantité non négligeable, si on la compare à celle apportée par un soutirage avec aération, entre 4 et 8 mg/l.

Pour le vérifier, l'équipe de R & D de Seguin Moreau* a lancé en 2014 un programme de recherche, avec le soutien de l'ISVV. À cette fin, les techniciens ont débité quinze douelles de chêne français en staves de petite dimension (3 x 5 x 2 cm) ou en copeaux. Les douelles provenaient soit de chêne de l'Allier - bois à grain fin -, soit de chêne limousin - à gros grain. Certaines ont été chauffées, d'autres pas. Ils ont versé ces échantillons à la dose de 16 g/l, dans des flacons de solutions hydro-alcooliques, sans oxygène. Puis, ils ont mesuré l'évolution de l'oxygène dissout à l'aide de pastilles PreSens collées sur les parois des flacons.

Les chercheurs en ont tiré plusieurs enseignements. Ils ont ainsi constaté que le relargage d'oxygène par les alternatifs comporte trois phases. Dans les 48 heures qui suivent l'ajout, plus de 80 % de l'oxygène contenu dans le bois est libéré dans le vin. Puis, la concentration en oxygène dans le vin atteint un palier pendant deux ou trois jours. Enfin, durant la dernière phase, elle diminue. De l'oxygène continue à être libéré par le bois, mais il est en partie reconsommé par les composés extractibles du bois, sans doute les tanins, d'après Alexandre Pons, chercheur chez Seguin Moreau détaché à l'ISVV.

On comprend ainsi pourquoi l'ajout de staves pendant un élevage en cuve permet de limiter la réduction, phénomène que nombre de vignerons et d'oenologues ont pu constater.

Mais les alternatifs ne sont pas tous logés à la même enseigne, comme l'ont montré par la suite les chercheurs. En effet, les copeaux relarguent en moyenne plus de deux fois moins d'oxygène que les staves issues d'un même merrain, soit 55 µg d'O2 par gramme de bois sec contre 130 µg pour les staves.

Comme le bois libère de l'oxygène, il doit entraîner une chute des teneurs en SO2 libre. Les chercheurs de Seguin Moreau l'ont vérifié. D'abord au laboratoire, en faisant macérer des concentrations croissantes de copeaux - 0, 5, 10 et 15 g/l - dans une solution hydro-alcoolique de composition proche de celle du vin, ensuite en conditions réelles. Cette seconde expérience a été menée sur du merlot 2012 issu de l'AOP Bergerac. Les chercheurs ont suivi quatre cuves de 50 hl de merlot, soutirées et sulfitées à 29 mg/l de SO2 libre après FML. Ils en ont traité trois avec des doses croissantes (5, 8 et 10 g/l) de douelles Œnostave, de Seguin Moreau. Au cours des cinq mois d'élevage, ils ont régulièrement ajusté le niveau de SO2 libre, pour le maintenir à 29 mg/l. Résultat : ils ont dû rajouter 2 g/hl sur le témoin, 3 g/hl sur la modalité dosée à 5 g/l, 4 g/hl à 8 g/l et jusqu'à 6,5 g/hl sur la cuve boisée à 10 g/l.

Benoît Verdier tire les conséquences de ces observations : « Après le boisage, il faut vérifier la couverture en SO2 libre toutes les deux semaines pendant les trois premiers mois d'élevage car c'est la période où l'apport d'oxygène par le bois est le plus important. Ensuite, des contrôles mensuels peuvent suffire. » Pour se prémunir de développements microbiologiques, il conseille aussi aux viticulteurs de protéger leur vin avec au moins 0,6 mg/l de SO2 actif.

Dans la pratique, il a constaté que la baisse du SO2 libre est surtout visible au-delà d'un apport de 5 g/l de bois. « Et plus le morceau de bois est gros, et donc lourd, et plus il libère de l'oxygène. »

Dans les grands chais à barriques, ajuster le sulfitage demande beaucoup de main-d'oeuvre. Benoît Verdier a remarqué que certains vinificateurs « surdosent » le SO2 avant l'entonnage, en prévision de la baisse du SO2 libre engendrée par l'utilisation d'inserts dans les fûts usagés.

Pour aider les vinificateurs, Seguin Moreau a conçu un calculateur qui permet, en renseignant les principaux paramètres analytiques du vin et la dose d'apport de bois, de simuler la perte de SO2 actif. Cet outil est disponible en ligne, sur le site de la tonnellerie, et sur téléphone portable.

*Alexandre Pons, Andrei Prida, Benoît Verdier (Seguin Moreau) ; Philippe Darriet et Denis Dubourdieu (ISVV).

Chauffe et grain ne changent rien

Les chercheurs de Seguin Moreau et de l'ISVV ont voulu savoir si le grain du bois de chêne avait une influence sur la libération d'oxygène. Ils ont fait tremper des douelles non chauffées de chêne de l'Allier, à grain fin, et de chêne limousin, à gros grain, dans une solution hydro-alcoolique. Ajouté à la dose de 16 g/l, le bois à grain fin a libéré en moyenne 1,4 mg d'oxygène par litre contre 1,9 mg/l pour le gros grain. Mais difficile d'en faire une généralité puisque, sur vingt essais, les concentrations maximales en oxygène mesurées dans le vin après ajout d'oxygène sont allées de 0,48 à 3,3 mg/l. Les chercheurs ont également montré que la chauffe du bois n'avait aucune influence sur les teneurs en oxygène retrouvées dans le vin. Ces résultats vont dans le même sens que ceux de Marie Mirabel, de la société Chêne & Cie, qui avait montré en 2011 que la chauffe ne modifie pas la porosité du bois.

Le Point de vue de

CHRISTOPHE COUPEZ, OENOLOGUE ET DIRECTEUR DE L'OENOCENTRE DE PAUILLAC (GIRONDE)

« Contrôler le SO2 toutes les 4 à 6 semaines »

 © ALBAN GILBERT

© ALBAN GILBERT

« Pour conseiller nos clients, nous considérons qu'un gramme de bois sec peut, en théorie apporter jusqu'à 0,4 mg d'oxygène au vin, comme l'ont montré les chercheurs. En revanche, nous ne faisons pas de différence entre les douelles, les inserts et les copeaux quant à la quantité d'oxygène relarguée. Nous considérons aussi que la dissolution d'1 mg d'oxygène par litre de vin peut entraîner une baisse du SO2 libre de 2,5 mg/l. Partant de là, nous ajustons les doses de SO2 à apporter au vin au début de l'élevage pour qu'il reste protégé après la dissolution de l'oxygène. Nous préconisons aux vignerons que nous suivons de contrôler le SO2 toutes les quatre à six semaines. Et nous les marquons au maillot. Par ailleurs, notre groupe d'oenologues suit régulièrement des formations pour rester au top sur la gestion de l'oxygène. »

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