Celesta Lab, laboratoire basé à Mauguio (Hérault), est un pionnier. Depuis vingt ans, il propose de caractériser la vie des sols, en plus des analyses de terre classiques. Sa méthode repose sur la mesure du fractionnement de la matière organique, le dosage de la biomasse microbienne et celui de la minéralisation du carbone et de l'azote (voir La Vigne n° 268 d'octobre 2014, p. 46 et 47). Cette approche suscite un intérêt croissant. Elle a séduit Justin Prudhomme, le responsable technique du domaine Pierre-Jean Villa, à Chavanay (Loire), qui travaille sur 10 ha de vignes. « À mon arrivée, il y a trois ans, j'ai voulu connaître la dynamique de mes sols. Ils sont très sableux, qualitatifs pour la vigne, mais ils manquent de stabilité structurale. Grâce à l'analyse de Celesta Lab, nous nous sommes rendu compte que nous avions un taux de matière organique totale satisfaisant mais que la proportion de matière organique libre était un peu trop élevée par rapport à la matière organique liée. Or, c'est cette dernière qui favorise la stabilité structurale. » Justin Prudhomme a donc modifié les pratiques de fertilisation. Exit le fumier de cheval, une matière organique facilement dégradable mais peu structurante. Place au compost à base de déchets verts dont l'effet est plus structurant que fertilisant. « L'analyse des micro-organismes a révélé que notre sol était très vivant. Cela a conforté notre choix d'apporter des matières organiques stables. » Mais Celesta Lab n'est plus le seul sur ce marché de l'analyse de la vie des sols. Auréa Agrosciences (voir encadré) propose une offre similaire depuis 2008. Dernièrement, d'autres laboratoires ont aussi lancé de nouvelles prestations.
Compter les nématodes
Depuis quatre ans, Elisol Environnement, à Congénies, dans le Gard, propose ainsi une analyse des nématodes du sol. « Ces vers microscopiques sont très divers. Certains se nourrissent de bactéries (bactérivores) et d'autres de champignons (fongivores). Plus ils sont abondants, plus le sol est vivant. Et si les populations de nématodes bactérivores augmentent après un apport de matière organique (fumier, compost...), cela signifie qu'elle est bien utilisée. »
Il existe également des nématodes omnivores et carnivores. Ils ne sont présents que si l'écosystème va bien. Si le sol est trop riche en cuivre ou travaillé, ils sont moins abondants. Enfin, on trouve aussi les nématodes phytophages. « Parmi eux, des parasites comme Xiphinema index qui transmet le court-noué, mais aussi les Meloidogynes qui peuvent perturber le développement des jeunes vignes. Les nématodes phytophages donnent des indications sur le risque de perte de rendement », explique Cécile Villenave, responsable scientifique chez Elisol.
L'analyse des nématodes en vue d'étudier le fonctionnement biologique du sol se fait sur l'horizon superficiel (0 à -20 cm). « À cette profondeur, on ne détecte pas X. index qui se situe plutôt à 50 ou 60 cm. Pour rechercher ce parasite, nous proposons une autre prestation », précise Cécile Villenave. La qualité du prélèvement est importante : « Il faut un échantillon représentatif de la variabilité de sol de la parcelle », précise la scientifique. Le prélèvement se fait au printemps et à l'automne. L'échantillon doit être envoyé le jour même ou le lendemain, tant que les nématodes sont encore vivants. Le coût de l'analyse est de 200 € à 300 € HT par échantillon.
« Partant de nos résultats, on calcule un indice d'enrichissement. S'il est très élevé, cela signifie que la parcelle est fertile, ce qui peut induire une trop forte vigueur. On calcule également un indice de structure des communautés. S'il est bas, cela témoigne d'un manque de diversité et donc d'une perturbation du milieu. Cela peut être lié aux pratiques phytosanitaires, au travail du sol, au nombre de passages des engins », rapporte Cécile Villenave.
Caractériser la dégradation de la matière organique
De son côté, le laboratoire Leva, à l'Esa d'Angers, vient de développer le Levabag, un outil de terrain pour caractériser la vitesse de dégradation de la matière organique. Il est basé sur la méthode du litterbag. Il s'agit de petits sacs renfermant de la matière organique « standardisée » que l'on place dans le sol à 10 cm de profondeur à la sortie de l'hiver. On les laisse ainsi durant 120 jours, puis on les récupère et on les envoie au laboratoire qui les analyse.
« En viticulture, on conseille de déposer trois sacs par parcelle », précise Mario Cannavacciuolo. L'intérêt ? « Cette mesure donne une idée de la vitesse de dégradation de la matière organique apportée au sol. Si elle est trop rapide, le sol fournira trop d'azote à la vigne. Pour y remédier, on peut envisager d'enherber les rangs. Si la matière organique ne se dégrade pas bien, cela peut être dû à un problème de compactage des sols », indique le chercheur. Coût de l'analyse 105 € HT par parcelle (trois Levabag).
Analyser l'ADN du sol
C'est le cas de Génoscreen, une société basée à Lille. Elle extrait l'ADN d'un échantillon de sol pour dresser un inventaire des micro-organismes présents : bactéries, champignons... Toutefois, il ne s'agit pas encore d'analyses courantes. « On a la technique, mais pas encore de référentiel pour pouvoir comparer les échantillons entre eux ou dans le temps. Et nous n'avons pas encore de seuils pour dire si la vie microbienne est suffisamment diversifiée ou active pour le bon fonctionnement des sols », explique Stéphanie Ferreira, responsable recherche, développement et innovation. Même chose pour Welience-Agroenvironnement, une société située à Bretenière (Côte-d'Or), également spécialisée dans l'analyse de l'ADN. Mais les choses devraient évoluer rapidement...
Observez les vers de terre
Il existe trois façons d'étudier les vers de terre :
- Le test bêche, qui consiste à prélever six blocs de terre dans lesquels on dénombre les vers de terre.
- L'arrosage d'une portion de sol avec une solution de moutarde diluée. Les vers de terre remontent alors à la surface et on peut les compter.
- Les paniers remplis de feuilles de vigne que l'on fixe au sol et que l'on photographie tous les quinze jours, afin d'évaluer la vitesse de disparition des feuilles. Celle-ci est directement liée à l'abondance des vers de terre.
C'est l'université de Rennes I qui a mis au point ces protocoles. Elle a également mis en place l'observatoire participatif des vers de terre. Chacun peut y enregistrer ses résultats en vue d'élaborer des référentiels locaux des populations. Pour en savoir plus, rendez-vous sur http://ecobiosoil.univ-rennes1.fr
Les sols ne sont pas morts
Le programme de recherche Agrinnov, qui a démarré fin 2011, vient de se terminer. Son objectif : identifier des indicateurs pratiques et pertinents du fonctionnement biologique des sols. Cette expérimentation a réuni 248 agriculteurs dont 123 viticulteurs. Dans un premier temps, ils ont sélectionné avec les scientifiques les indicateurs qui leur paraissaient les plus intéressants. Cinq tests et méthodes ont ainsi été retenus : l'analyse des nématodes, des vers de terre et des micro-organismes, le test bêche, qui permet d'apprécier la structure du sol, et le test du « litterbag » qui permet d'évaluer l'activité des micro-organismes qui dégradent la matière organique (voir article principal). Puis, tous les viticulteurs ont été initiés à leur utilisation. Ils ont ainsi réalisé les prélèvements de sol puis envoyé les échantillons aux laboratoires pour l'analyse des nématodes et des micro-organismes. Les testeurs ont aussi enterré puis récupéré les sacs conçus pour le test du litterbag. Ils ont fait eux-mêmes le test bêche et compté les vers de terre. Les scientifiques leur ont communiqué les résultats et en ont discuté avec eux. Le bilan ? « Les cinq indicateurs testés sont opérationnels. À partir de là, des indicateurs de synthèse ont été construits pour déterminer, pour chaque sol, si son patrimoine et sa fertilité biologiques sont bons, à surveiller ou à améliorer. Nos observations montrent que les sols agricoles et viticoles ne sont pas morts. Il est vrai qu'en viticulture, il y en a un peu plus qui sont dans le rouge, mais c'est lié au fait que les vignes sont installées sur des sols moins fertiles que les grandes cultures », rapporte Laure Gontier, responsable du programme Agrinnov à l'IFV pôle Sud-Ouest.
Naissance d'Auréa Agrosciences
Les laboratoires d'analyses agronomiques LCA, SAS Laboratoire et Agro-Systèmes/Agro-Prélèvement viennent de fusionner. Ils donnent ainsi naissance à Auréa Agrosciences.
Une opération logique car Arvalis est l'actionnaire majoritaire de tous ces laboratoires. Cette nouvelle structure est déjà leader sur le plan national mais souhaite se développer au niveau européen. « Nous réalisons 150 000 analyses de sol par an, dont 40 000 en viticulture, sur un marché français qui se situent entre 250 000 et 300 000, toutes cultures confondues. En viticulture, la demande progresse plus vite que le marché », explique Antoine Simon, le directeur administratif et financier d'Auréa. Les analyses de la vie des sols représentent près de 1 % des analyses de terre du laboratoire, les plus nombreuses étant faites en cultures pérennes. « Cela reste faible. Il est vrai qu'elles sont coûteuses et qu'on manque encore de références pour donner des conseils précis aux viticulteurs. Mais nous prenons le temps de construire une proposition qui apporte un conseil concret », explique Mathieu Valé, d'Auréa.