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VIGNE

Cépages résistants Le précieux héritage d'Alain Bouquet

MICHÈLE TRÉVOUX - La vigne - n°281 - décembre 2015 - page 34

Pendant trente-cinq ans, Alain Bouquet, chercheur à l'Inra, a croisé des vignes pour obtenir des cépages résistants au mildiou et à l'oïdium. Les essais montrent qu'il a atteint son objectif. Le point sur ces variétés que l'Inra refuse de diffuser.
À GAUCHE, UN CÉPAGE CLASSIQUE AYANT PERDU TOUTES SES FEUILLES. À droite, une variété résistante, obtenue par Alain Bouquet, les a toutes conservées intactes. Ces vignes n'ont pas été traitées de toute l'année. Photo prise le 9 novembre, à l'Inra de Pech Rouge. © INRA PECH ROUGE

À GAUCHE, UN CÉPAGE CLASSIQUE AYANT PERDU TOUTES SES FEUILLES. À droite, une variété résistante, obtenue par Alain Bouquet, les a toutes conservées intactes. Ces vignes n'ont pas été traitées de toute l'année. Photo prise le 9 novembre, à l'Inra de Pech Rouge. © INRA PECH ROUGE

Il avait tout d'un visionnaire. Décédé prématurément en 2009 à la suite d'une opération chirurgicale, Alain Bouquet, chercheur à l'Inra de Montpellier (Hérault), a consacré toute sa carrière à l'amélioration génétique de la vigne. Dès 1974, alors que le sujet n'intéressait pas la profession, il a initié un programme d'hybridation en croisant Vitis vinifera avec Muscadinia rotundifolia, une espèce américaine résistante à de nombreux parasites de la vigne (phylloxéra, nématodes...) mais surtout au mildiou et à l'oïdium.

Pendant trente-cinq ans, ce chercheur, peu soutenu par ses pairs, s'est entêté à transférer cette résistance à la vigne. Pour cela, il a croisé sa première génération d'hybrides avec des cépages connus, puis a recommencé avec les générations suivantes. Au total, il a effectué jusqu'à cinq rétro-croisements successifs (génération dénommée RV6) avec du cabernet-sauvignon, du merlot ou du grenache. « Un travail exceptionnel », reconnaissent aujourd'hui la plupart des scientifiques.

« Son idée était d'obtenir des variétés très proches de Vitis vinifera, mais avec les gènes de résistance à l'oïdium et au mildiou de Muscadinia rotundifolia, explique Laurent Torregrosa, professeur de génétique et biologie de la vigne à Montpellier SupAgro, dont Alain Bouquet a été le directeur de thèse. Aujourd'hui, ces variétés ressemblent en tout point aux Vitis vinifera. Elles ont le même port, le même feuillage... Mais n'ont pas l'apparence des hybrides producteurs directs largement plantés entre 1920 et 1950. Et les vins ne présentent plus du tout le caractère foxé de ces hybrides. À l'aveugle, il est très difficile de les distinguer de Vitis vinifera. » Alain Bouquet a obtenu une quarantaine de variétés, conservées sur différents sites de l'Inra.

À partir de 2005, une première vague d'essais a été lancée avec plusieurs chambres d'agriculture et le Bnic. Huit obtentions (cinq rouges et trois blancs) ont été choisies pour être testées dans différents vignobles : Languedoc-Roussillon, vallée du Rhône, Bordeaux et Cognac. Sur l'ensemble de ces sites, ces variétés n'ont jamais reçu un seul traitement et font preuve d'une résistance totale à l'oïdium et au mildiou.

Début 2006, l'Inra de Pech Rouge (Aude) a également surgreffé des variétés à faible degré d'alcool d'Alain Bouquet (deux rouges et deux blancs) et des variétés au profil méditerranéen (treize rouges et huit blancs). Là encore, les parcelles expérimentales n'ont reçu aucun traitement - excepté deux passages contre la flavescence dorée - et ont fait preuve d'une résistance parfaite à l'oïdium et au mildiou. En outre, ces variétés n'ont pas subi d'attaque de black-rot ni de la maladie de Brenner.

En dépit de ces résultats prometteurs, en 2010, l'Inra a décidé de ne pas déployer ces variétés. Il estime que leur résistance étant monogénique (un seul gène de résistance), celle-ci risque d'être contournée si ces variétés étaient diffusées à grande échelle. Cela conduirait non seulement à la perte de résistance des variétés d'Alain Bouquet, mais priverait définitivement les chercheurs et la filière viticole des gènes Run1 de résistance au mildiou et Rpv1 de résistance à l'oïdium.

« Le nombre de gènes de résistance au mildiou et à l'oïdium est limité. Il est important de les préserver », plaide Carole Caranta, chef de la biologie et de l'alimentation des plantes à l'Inra. Une décision controversée au sein même de l'institut (voir La Vigne de novembre 2015).

En 2000, un nouveau programme d'hybridation a été lancé à l'Inra de Colmar sur la base des variétés RV4 et RV5 obtenues par Alain Bouquet. L'Inra les a croisées avec des variétés résistantes allemandes (regent, bronner) pour obtenir une descendance intégrant d'autres gènes de résistance. Les premières obtentions sont attendues en 2017.

« Ces variétés continuent d'être suivies ainsi que d'autres qui en dérivent à l'Inra de Pech Rouge. Nous leur avons dédié 10 ha pour les étudier afin de surveiller l'apparition d'éventuels contournements et de comprendre les mécanismes de résistance », indique Hernan Ojeda, directeur de l'unité expérimentale de l'Inra de Pech Rouge.

L'idée a été émise de créer un observatoire de la durabilité des résistances. Reste à savoir à partir de quand la résistance au mildiou et à l'oïdium des variétés d'Alain Bouquet pourra être considérée comme durable ? La question est aujourd'hui sans réponse. Seule certitude : Alain Bouquet était bel et bien un visionnaire.

Des syrahs et des carignans rendus résistants

C'est une avancée considérable dans la connaissance des mécanismes de résistance. Des chercheurs français de l'Inra (Montpellier, Colmar, Évry) ont réussi, avec des confrères australiens et américains, à séquencer les gènes de résistance Run1 (oïdium) et Rpv1 (mildiou). Ils ont ainsi identifié le contenu exact de la portion de chromosome (locus) où se situent ces deux gènes. Dans une publication de 2013, ils révèlent que ce locus est composé de quinze gènes, dont deux seulement sont des gènes majeurs de résistance : l'un à l'oïdium, l'autre au mildiou. À la suite de cette découverte, ils ont cloné et introduit ces deux gènes dans des variétés de Vitis vinifera. L'expérience a été menée sur syrah, tempranillo, portan, macabeu et carignan. Ces variétés transgéniques se sont révélées très résistantes au mildiou et à l'oïdium, confirmant donc que les gènes identifiés sont bien ceux qui portent la résistance à ces deux maladies. La connaissance de ces gènes va permettre un travail plus rapide dans la sélection par hybridation. Les chercheurs, utilisant désormais la sélection assistée par marqueurs, pourront donc vérifier, au début d'un programme de sélection, si ces deux gènes sont bien présents sur de jeunes vignes issues de croisement. Par ailleurs, ils vont travailler sur le mécanisme moléculaire de résistance : quel est le rôle de la protéine produite par ces gènes dans la réponse de la vigne à l'agent pathogène ? Sans les recherches d'Alain Bouquet, ces travaux auraient été impossibles. Il signe naturellement cette première scientifique aux côtés de ses confrères Ian Dry (CSIRO Australien) et Laurent Torregrosa.

Des vins très qualitatifs

Au printemps 2009, une première dégustation des vins issus des variétés d'Alain Bouquet avait donné une idée de leur qualité. Le jury d'alors, des chercheurs de l'Inra et des vignerons, avait dégusté à l'aveugle des variétés rouges et blanches. Une seule des obtentions rouges avait été jugée décevante. À l'inverse, deux d'entre elles avaient été mieux notées que le témoin, une syrah. Une nouvelle dégustation a été organisée en avril dernier, à la demande du CIVL. Quatre vins ont pu être évalués. Les deux premiers, un blanc et un rouge, provenaient de variétés sélectionnées pour leur capacité à produire des faibles degrés (entre 10 et 11 % vol.). Le blanc, légèrement muscaté, et le rouge, peu coloré et fruité, ont agréablement surpris l'assistance. Les deux autres, des rouges plus structurés, au profil proche du grenache, ont aussi été appréciés.

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