JÉROME MEYER est philosophe. « On sème beaucoup. Et d'un coup, les ventes explosent. On ne sait pas quand. Il faut juste savoir attendre. » © C. REIBEL
Jérôme Meyer exploite 7,9 ha. Selon ses calculs, il lui faudrait plus de surface mais il n'en touve pas. © C. REIBEL
Persévérant ! C'est sans doute le terme qui résume le mieux Jérôme Meyer, 35 ans. En effet, malgré les sérieuses déconvenues qu'il a connues à ses débuts, son enthousiasme de vigneron est resté intact. Rien ne l'obligeait pourtant à reprendre les six hectares de vignes familiales en 2005, au contraire. Lorsqu'il était au lycée, son père l'avait incité à passer un baccalauréat de comptabilité-gestion. Il l'obtient et avec lui un emploi de salarié en CDI... qui ne lui convient pas. Rapidement, Jérôme démissionne. En 2001, il démarre un BTS viti-oeno en apprentissage chez un viticulteur alsacien qui travaille en biodynamie.
À partir de 2003, il enchaîne une formation de trois ans au commerce des vins, d'abord à l'IUT de Colmar puis en Grande-Bretagne.
À l'automne 2005, Jérôme Meyer est prêt à faire le grand saut. Mais avant cela, il doit batailler pour récupérer quatre des six hectares que sa mère avait mis en location après le décès de son père, en 1995. En janvier 2006, il reprend ces hectares plus les deux que sa mère continuait d'exploiter. Il lui rachète en même temps ses parts sociales dans l'EARL. Il s'installe dans une cave quasiment vide et achète « le minimum pour exploiter » : un tracteur vigneron, un girobroyeur, une rogneuse, un broyeur à sarments, le tout pour 60 000 € HT, et un pressoir de 40 hl d'occasion pour 25 000 €. Son prêt JA ne suffisant pas à tout financer, son endettement grimpe.
Jérôme se lance d'emblée en bio, influencé par son expérience chez son maître d'apprentissage. « C'était une grosse erreur. Le rendement n'était pas au rendez-vous. Les acheteurs de raisins ou de vin bio en vrac ne courent pas les rues. Le bio n'est rentable que s'il est vendu en bouteilles », constate-t-il avec le recul. De plus, les vendanges se déroulent dans des conditions déplorables. La pourriture acide fait des ravages. Les raisins tournent du vert au violet en quelques heures. Il rentre 60 hl/ha alors que l'appellation en autorise 80 et qu'il a besoin de volumes pour faire face à ses charges.
À l'époque, il vend 50 % de sa récolte en raisins, 25 % en vin en vrac et garde le dernier quart pour le mettre en bouteille. En 2007, les rendements sont à peine meilleurs : 70 hl/ha.Une des causes de ce mauvais démarrage tient au fort taux de ceps manquants dans ses vignes. « J'ai payé pour les pieds touchés par l'esca et non remplacés. En 2008, j'ai dû en replanter deux mille, soit quasiment un demi-hectare. Sur ma petite surface, c'était un coût important », signale Jérôme.
Il déroge alors un peu à ses principes. Il revient partiellement au désherbage chimique des rangs, mais profite, toujours dans une optique bio, d'une aide pour acheter une nouvelle décavaillonneuse hydraulique à 15 000 €. La somme s'ajoute aux 10 000 € dépensés pour moderniser son caveau de 25 m².
En 2010, son rendement chute à nouveau à 60 hl/ha. « Cela a été la sonnette d'alarme. 60 hl/ha, ce n'est pas viable lorsqu'on vend du raisin et du vrac, et qu'on a des loyers à payer. J'allais droit dans le mur. Mes revenus ne me permettaient pas de me verser un salaire. »
Jérôme révise sa stratégie pour augmenter les rendements. Il commence par replanter à une densité de 6 000 pieds/ha pour anticiper les dégâts des maladies du bois. Il classe ensuite ses parcelles en fonction du risque de mildiou et d'oïdium. Il conduit en conventionnel celles qui subissent une forte pression. Pour les autres, il se contente de traitements au cuivre et au soufre qui ont l'avantage de coûter moins cher. « Ça marche », se réjouit Jérôme - en faisant abstraction du millésime 2015 pénalisé par la sécheresse. Il distingue désormais les vignes qu'il réserve à la bouteille et qu'il conduit en bio, de celles qu'il vinifie en vrac et qu'il cultive en conventionnel.
En 2011, il trouve 1,9 ha supplémentaire à louer. Désormais, il exploite 7,9 ha. À son grand dam, il n'en a pas trouvé davantage depuis lors, alors que, selon ses calculs, il lui « faudrait encore un peu plus de surface ». Le tableau s'éclaire cependant. Les ventes en bouteilles décollent enfin. Il faut dire que sa gamme impressionne par sa diversité. Elle comporte 21 vins. Pour ne pas seulement disposer des vins de cépages traditionnels, Jérôme multiplie les cuvées. Il assemble sylvaner, muscat et pinot gris pour produire le « Paradis » valorisé à 6,80 €. En 2015, il crée la cuvée « Les Pucelles de César », de 500 litres à peine, un assemblage provenant de toutes ses vignes qui produisent pour la première fois. Il propose aussi quatre pinots noirs (de 7,20 à 12,40 €), deux rieslings grand cru (12,40 €), un sylvaner surmaturé (12,20 €) et trois crémants (entre 8,20 € et 10 €), dont l'un est élaboré avec les premiers 60 % de jus d'égouttage.
En 2013, il fournit l'essentiel de son effort d'investissement en cave. Il profite des 30 % d'aide à l'investissement de l'OCM Vin. Il achète une benne à double fond de 50 hl et une sauterelle pour apporter les raisins dans le pressoir, en les triturant le moins possible. Il complète sa capacité de vinification avec deux cuves à chapeau flottant, équipe ses cuves en Inox comme ses fûts avec des drapeaux pour le contrôle des températures.
Le jeune viticulteur travaille dans deux caves distantes d'une dizaine de mètres qu'il a reliées par une conduite dès 2006. Celle-ci passe sous la cour et permet le transfert de vin mais aussi d'eau glacée. Durant les vinifications et l'élevage, l'objectif de Jérôme est « d'intervenir le moins possible ». Il pressure ses raisins blancs entiers pendant environ six heures. Il sulfite peu ses moûts mais il les enzyme. Il attend six heures avant de descendre les jus à 10 °C. « Je cherche des jus limpides au débourbage », explique-t-il.
Il réalise un pied de cuve avec des levures du commerce pour obtenir des fermentations régulières et minimiser les risques d'arrêts. Durant la fermentation, les différentes cuves sont maintenues entre 18 et 23 °C. Ensuite, le viticulteur élève ses vins sur lies fines pendant six mois, en les bâtonnant au cas par cas. Il fait effectuer la mise en bouteilles par un prestataire. « J'économise de l'argent où je peux, explique-t-il. Je bouche avec de l'aggloméré les vins qui sont consommés dans les trois ans, mais je mets le paquet sur mes grands crus avec un bouchon en liège pleine fleur. »
Jérôme répartit ses vins en quatre catégories : les crémants, les vins « de plaisir » issus de raisins récoltés en surmaturation, les grands crus vinifiés en sec et les vins « de tradition », propres à accompagner les repas. « Ce sont ces derniers que je vends le plus, essentiellement en restauration. Pour ces vins, il me faut de la continuité et de la régularité. »
« Au départ, j'ai cru que j'allais me faire connaître par mon travail à la vigne et par la qualité de mes vins. Mais c'est faux. Il faut occuper le terrain commercial. » Jérôme en a tiré la leçon. Il sacrifie régulièrement des week-ends pour proposer à des restaurateurs d'animer des ateliers « cuisine et vin » dans leur établissement, parfois jusqu'à minuit. Il participe tous les ans à un salon gastronomique à Strasbourg. À cette occasion, il a noué de nombreux contacts avec les restaurateurs. Les retombées suivent : lors du « Pique-nique du vigneron indépendant 2015 », ils étaient 30 chefs sur 100 participants. Jérôme s'associe également à « l'Apéro gourmand » du Synvira (Syndicat des vignerons indépendants d'Alsace) et au « Double rendez-vous des saveurs » durant lequel, chaque 8 mai, les viticulteurs de Blienschwiller marient plats et vins.
« Ma chance, c'est que mes vins se vendent désormais rapidement. Le caveau a ses adeptes. La plupart repartent avec, au moins, 150 € de marchandises. » Jérôme a relié la sonnette du domaine à son téléphone. Dès qu'un client arrive, il arrête tout pour regagner son caveau. Et dans sa cave de stockage, il a toujours des cartons de toutes ses références prêts à être remis à ses clients !
SUCCÈS ET ÉCHECS CE QUI A BIEN MARCHÉ
En 2013, Jérôme signe un contrat avec un grossiste pour diffuser ses vins en Alsace avec peu d'effort commercial. Il souhaite en trouver pour d'autres régions françaises.
Ses vendangeurs sont des retraités. Ils s'adaptent aux dates de récolte très étalées, selon la maturité des raisins.
En 2007, il a acheté un tank à lait ! « C'est très pratique pour gérer les arrêts de fermentation, soutirer de petits volumes, laver des tuyaux. »
SUCCÈS ET ÉCHECS CE QU'IL NE REFERA PLUS
Jérôme estime avoir mal réparti son effort d'investissement : trop d'argent au départ dans le matériel (200 000 €) et le rachat des parts sociales (50 000 €), pas assez dans le commercial.
La médaille d'or au concours des gewurztraminers du monde en 2008 ne lui a amené aucun nouveau client. Comme il ne vend pas en grande distribution, il ne court plus après les médailles.
« J'ai voulu faire tous les travaux moi-même. Je me suis éparpillé sur des choses qui apportent peu de valeur ajoutée. Maintenant, je délègue à mon saisonnier qui fait l'équivalent d'un mi-temps. »
SA STRATÉGIE COMMERCIALE Se faire connaître et remarquer pour se créer une clientèle
- Jérôme Meyer croit aux réseaux sociaux et à la proximité. Il est actif sur Facebook et Twitter. Grâce à un chef qui partage ses publications, il lui arrive de toucher un millier de personnes en trois jours. « C'est un très bon impact. Mon portable m'est indispensable », dit celui qui préside aussi le syndicat d'initiative local.
- Se faire remarquer reste le leitmotiv de Jérôme. Il apporte toujours aux événements une vieille barrique équipée d'un vaste plateau à son nom pour ses verres et ses bouteilles. « C'est ma marque », insiste-t-il.
- Jérôme est persuadé que son développement passe par des marchés à l'étranger. Ils sont plus aptes que la France à laisser une « marge correcte ». Sa part se limite actuellement à 10 % sur la seule Grande-Bretagne. Pour conforter ce débouché, il pense à des déplacements sur le terrain.