Fanny Gillet, responsable du service Économie et Études d'Interloire, se réjouit de voir que le touraine blanc a toujours le vent en poupe. Certes, « les basses récoltes ne permettent pas à l'appellation de se développer en volume, mais elle trouve une compensation en valeur ». Il y a dix ans, le négoce se fournissait en touraine blanc pour 91 euros l'hectolitre. Aujourd'hui, il doit débourser un peu plus de 200 euros.
Alain Godeau, président du syndicat de l'AOP Touraine, explique ce succès par le travail mené par les vignerons, qui maîtrisent les températures et s'entourent d'oenologues. L'engouement pour le sauvignon, l'unique cépage du touraine blanc, y est aussi pour beaucoup.
Patricia Denis, pense qu'un déclic s'est produit lors du Concours mondial du sauvignon initié en 2010. « Les vignerons de la région ont récolté beaucoup de médailles. Ils ont compris qu'ils produisaient des vins exceptionnels, parmi les meilleurs du monde », explique cette viticultrice, installée au domaine de la Renaudie, à Mareuil-sur-Cher (Loir-et-Cher). Du coup, ils se sont lancés dans l'export et ont demandé des prix plus hauts au négoce. Ainsi, en 2014, 39 000 hl, soit 35 % des touraines blancs, sont partis à l'étranger contre 18 000 hl en 2005.
La vigneronne constate également que, depuis cinq ans, le climat est plus propice à la viticulture tourangelle. « Les raisins mûrissent mieux. Ils donnent des vins moins végétaux, plus gras, avec une bouche plus longue qui plaît au consommateur. » Le touraine blanc est son best-seller. « Nous l'expédions aux États-Unis, au Canada et au Japon, mais aussi en Europe. » Le sauvignon représente déjà plus de la moitié des 30 ha de son vignoble. « Et nous arrachons encore de vieilles parcelles de chenin, cabernet ou arbois pour replanter du sauvignon. »
À Limeray, sur ses 10 ha, François Péquin manque aussi de blanc. Régulièrement médaillé, il ne peut pas répondre à toutes les demandes. « Je dois d'abord satisfaire ma clientèle historique. C'est dommage car je commençais à percer en Scandinavie et en Irlande, des pays qui découvrent le vin et ont une forte appétence pour le côté frais et fruité du sauvignon de Touraine. » Petit à petit, il arrache de vieilles parcelles et les replante en sauvignon ou en chenin, pour son crémant de Loire ou son touraine-amboise.
Lionel Gosseaume, vigneron à Choussy, va plus loin. 70 % de ses 22 ha sont déjà plantés en sauvignon. « Et je vais encore arracher du chenin, du cabernet et du cot. » Selon lui, produire du touraine rouge n'est pas rentable. Les rendements sont trop faibles et les prix trop bas. « 95 % des personnes qui dégustent mon sauvignon l'adorent. Mais les trois quarts trouvent le touraine rouge trop acide. Le choix est vite fait. »
Le vigneron, membre du comité exécutif d'InterLoire et de l'ODG, estime que le prix de revient du touraine blanc se situe autour de 125 €/hl. Or, jusqu'en 2012-2013, il s'est vendu sur le marché du vrac en deçà de ce seuil. « Cela explique pourquoi les gens n'ont pas renouvelé leur vignoble. Aujourd'hui, les plantations redémarrent. Les vignerons réalisent que vendanger 5 à 6 hl de plus par hectare vaut le coup. »
Alain Godeau se veut prudent face à cet engouement. « Certes, le touraine blanc nous permet d'atteindre l'équilibre, mais il ne faut pas tout miser sur le sauvignon. Une rechute pourrait vite arriver en cas de grêle ou de décrochage des marchés. » En outre, il aimerait que les prix de vente au négoce, par lequel passent aujourd'hui 60 % des touraines blancs, se stabilisent. « Il faut une pause dans la hausse pour que l'on ne perde pas de marchés. »
Lionel Gosseaume le reconnaît. Si les cours actuels sont bons pour les vignerons, « leur augmentation a été trop brutale pour les acheteurs, qui étaient habitués à des prix bas ».
Déjà quelques pays décrochent. « De janvier à octobre 2015, par rapport à la même période en 2014, les exportations de touraine blanc ont chuté de 14 % en volume. Les cours ne peuvent plus augmenter car les clients ne suivent plus », averti Noël Bougrier, négociant et président de l'Union des maisons et des marques de vins de Loire. Le Royaume-Uni, premier client de l'AOP, a même baissé ses achats de 27 %. Les Pays-Bas et la Belgique suivent, avec - 25 % et - 24 %. Heureusement, d'autres marchés, tels que les États-Unis, le Canada ou le Japon, se portent bien, et en France, les ventes restent stables. Pour le négociant, l'idéal serait une bonne récolte en 2016, à 65 hl/ha. « Avec plus de vin, nous pourrions ramener les cours autour de 180 €/hl et récupérer des marchés. Toute la profession serait gagnante. »
201 €/hl
C'est le cours du touraine blanc en nov. 2015, soit + 4 % par rapport à 2014-2015, avec un cours moyen des vins vendus au négoce de 194 €/hl. Source : InterLoire.
ÇA MARCHE AUSSI...
- Le cours du touraine rouge connaît lui aussi une belle envolée. En dix ans, il est passé de 73 €/hl à 131 €/hl, en vrac. Le touraine rouge est vendu à 95 % sur le marché national, au prix moyen de 4,47 €/l en grande distribution, contre 3,32 €/l en 2005. Pour Alain Godeau, le président de l'AOP, c'est encore insuffisant : « Le touraine rouge est encore vendu en dessous de son prix de revient. »
- Le touraine-chenonceaux et le touraine-oisly, deux AOP qui ont vu le jour en 2011, fonctionnent très bien. Les volumes revendiqués restent faibles mais augmentent chaque année. En 2015, trente-huit vignerons ont engagé des parcelles en AOP Touraine-Chenonceaux sur une centaine d'hectares. Pour Luc Poullain, le président de l'AOP, « le touraine-chenonceaux représente la cuvée haut de gamme des viticulteurs ». En 2015, le touraine-oisly a, lui, été revendiqué par une douzaine de viticulteurs pour un total de 1 500 hl. Bien valorisées, ces deux AOP se vendent entre 8 et 11 € la bouteille.
- Avec la restructuration d'InterLoire, l'ODG Touraine reprend sa communication en main. Pour Lionel Gosseaume, c'est une bonne chose, car « les vins du Val de Loire sont bien connus en France mais il faut que les AOP se réapproprient leur identité pour aller gagner des parts de marchés et de la valeur ajoutée ».
ÇA POURRAIT ALLER MIEUX...
- En dix ans, les AOP Touraine blanc et rouge n'ont jamais atteint les rendements de base, fixés à 65 et 60 hl/ha. En blanc, la moyenne est de 54 hl/ha. En 2014, les vignerons ont vinifié 130 424 hl. D'après Noël Bougrier, négociant, le millésime 2015 devrait afficher une moyenne de 45 hl/ha. En rouge, la moyenne sur dix ans ne dépasse pas les 49 hl/ha.
- Au 31 juillet 2015, les stocks de touraine blanc représentaient seulement trois mois de commercialisation, avec 42 000 hl côté négoce et 31 000 hl côté viticulteurs. Pour le touraine rouge, c'est un peu mieux, avec des stocks qui équivalent à douze mois de commercialisation.