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Magazine - Histoire

Période : XVIIIe siècle Lieux : France Le terrible hiver 1709

FLORENCE BAL - La vigne - n°282 - janvier 2016 - page 77

À la fin du règne de Louis XIV, durant ce qu'on a appelé le « grand hyver de 1709 », beaucoup de Français sont morts de froid ou de faim. Les vins ont gelé dans les bouteilles et dans les fûts. Le vignoble, lui, est passé de 800 000 à 100 000 hectares.
Scène de famine pendant l'hiver de 1709. Illustration de Louis Bombled pour L'Histoire de France, de Jules Michelet. © RUE DES ARCHIVES/CCI

Scène de famine pendant l'hiver de 1709. Illustration de Louis Bombled pour L'Histoire de France, de Jules Michelet. © RUE DES ARCHIVES/CCI

Le 6 janvier 1709 : une vague de froid sans précédent s'abat sur la France et l'Europe. C'est le début de ce que la mémoire collective appellera longtemps « le grand hyver de 1709 ». À la fin du règne de Louis XIV, dans une France épuisée par neuf ans de guerre de succession d'Espagne, les dégâts sont considérables. Les cultures sont détruites. En deux ans, près d'un million de Français sur les vingt-deux que compte le royaume vont mourir de froid ou de famine.

Pourtant, le mois de décembre 1708 fut doux. « Les Français avaient passé le jour de l'an de 1709 avec une température si clémente qu'ils s'imaginaient que l'hiver était déjà terminé, nous raconte l'historien Marcel Lachiver, dans son livre Vins, vignes et vignerons.

« Dans la nuit du 5 au 6 janvier, le vent du Nord se mit à souffler brusquement, la terre gela en moins d'une heure, écrit Marcel Lachiver. La vague de froid commençait : le 13 janvier, à Paris, le thermomètre marqua -20 °C (ou -25 °C selon les sources, NDLR) et se maintint à ce niveau pendant une dizaine de jours ; à Montpellier, on enregistra -16 °C et à Marseille, -17,5 °C. Tous les fleuves gelèrent et, à Dunkerque, la mer elle-même gela sur 500 m de large. Puis, le 24 janvier et pendant une semaine, ce fut le dégel, qui provoqua l'inondation des champs. Le 4 février, la gelée reprit très fortement. À partir du 10, il y eut un nouveau dégel, puis une dernière offensive du froid fit descendre la température à -15 °C le 23 février. Le vrai dégel ne se produisit que vers le 15 mars. »

Un curé normand, cité par l'auteur Francis Assaf dans un article portant sur ce terrible hiver, témoigne : « La gelée fut prodigieuse [...], en sorte qu'il n'était point d'homme qui en eut vu une semblable, ni entendu parler, ni lu dans l'histoire. [...] Le vin auprès du feu ne dégelait qu'à peine. [...] Les chênes de 50 ans fendaient par le milieu du tronc ; on les entendait faire du bruit en s'ouvrant comme des pétars. Les volailles tombaient mortes dans leurs pouliers, les bestes dans leurs tanierres et les hommes avaient bien de la peine à s'échauffer, surtout la nuit. »

« Les élixirs les plus forts et les liqueurs les plus spiritueuses cassèrent leurs bouteilles » au chateau de Versailles, relève le duc de Saint-Simon dans ses mémoires. Le vin gelait dans les antichambres non chauffées. À Auch, un autre religieux relate : « On voyait sauter le vin hors des barriques à travers les jonctions des douves qui formaient des épées de glace attachées à la barrique. »

Les plantations souffrirent considérablement de ces gels et dégels successifs. Tous les blés furent « perdus ». Les arbres périrent en masse. De nombreuses vignes furent « gelées à mort, il fallut les couper à ras ou les arracher pour replanter, précise Marcel Lachiver. L'intendant de Bordeaux signale que les vignes des palus périrent presque toutes, mais que celles des Graves et de l'Entre-deux-Mer résistèrent mieux. Dans le Languedoc, au contraire, elles ne semblent pas avoir trop souffert. »

Les récoltes de 1709 et de 1710 furent très déficitaires. La pénurie de denrées alimentaires fut générale, provoquant disette, mortalité et émeutes. Dès le printemps 1709, les prix s'envolèrent, y compris ceux du vin. « À Paris, [...] en 1710, le recours aux vins de Méditerranée s'imposa, poursuit l'historien. Le roi fit pression sur les seigneurs propriétaires de péages pour qu'ils diminuent leurs tarifs de moitié. Ainsi, les vins du Languedoc oriental, du Comtat, de la Provence et du Dauphiné purent gagner plus facilement la capitale en remontant le Rhône, tandis que les vins du Languedoc occidental, desservis par le canal des deux mers [...] entraient dans Bordeaux [...], prenaient ensuite la mer jusqu'à Nantes, remontaient la Loire et étaient acheminés sur Paris par la voie réservée ordinairement aux vins de l'Orléanais. »

En 1715, le vin, encore rare, est toujours très cher. Dans toutes les régions, les vignerons plantent avec « fureur », étendent les superficies de vignes tout en modifiant souvent l'encépagement. C'est ainsi, par exemple, que le melon de Bourgogne est introduit dans le pays nantais.

« Vers 1700, les vignes couvraient environ 800 000 hectares, avance l'historien Gilbert Garrier, dans son article "Retour sur 1709". Réduite par le gel à une centaine de milliers d'hectares en 1710, leur superficie dépasse le million d'hectares dès 1730. » Après le désastre du « grand hyver », les viticulteurs ont reconstitué le vignoble français tout en modifiant en profondeur son visage. Vingt ans après, en 1731, l'interdiction de planter des vignes est instaurée dans tout le royaume pour lutter contre la surproduction.

Bibliographie : Vins, vignes et vignerons, Marcel Lachiver ; L'hiver de 1709, Francis Assaf ; Cahiers du XVIIe siècle - Retour sur 1709, Gilbert Garrier ; La Revue des oenologues n° 154.

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