ÉDOUARD MONTIGNY DANS SON MAGASIN DE VENTE. Il montre ici la campagne de communication orchestrée par son syndicat pour mieux faire connaître les vins de l'Orléanais. F. BAL
ÉDOUARD TAILLE EN CORDON cette parcelle de pinot meunier, plantée en 2005 à 5 000 pieds par hectare, après un prétaillage avec du matériel acheté en commun avec deux confrères. F. BAL
« Je ne voulais pas juste produire des raisins mais aller jusqu'au bout de la démarche, élaborer mon vin et le vendre. Sinon, j'aurais été frustré durant toute ma carrière », confie Édouard Montigny, vigneron à Mareau-aux-Prés, dans le Loiret. Son domaine, le Vignoble du Chant d'Oiseaux, compte 13 ha de vignes dont 12 en production. Il élabore six vins tranquilles en AOC et en IGP ainsi que trois méthodes traditionnelles. Il vend toute sa production en direct. Pourtant, son père, Bertrand Montigny, céréalier sur 150 ha, est coopérateur sur 16 ha de vignes.
Après un BTS viti-oeno, puis un BTS de commercialisation des vins et spiritueux, Édouard Montigny enchaîne les vinifications en France - en Corse, Beaujolais et à la coopérative de son village - et en Australie. En 2003, il est prêt à débuter sa carrière de viticulteur. Mais son père n'a que 43 ans. Il est bien loin de la retraite! Il n'est pas question que son fils reprenne ses vignes. Pendant 16 mois, Édouard Montigny va donc peaufiner son expérience comme salarié d'un domaine angevin qui produit des vins variés : des blancs secs, moelleux et liquoreux, des rouges et des rosés.
Parallèlement, il prépare son installation dans sa région natale. En 2003, il plante 54 ares de sauvignon gris. « Mon père avait des droits de plantation en vin de pays, poursuit le vigneron de 34 ans. J'ai choisi ce cépage rare car je l'avais goûté à Bordeaux et il m'avait plu. Comme il débourre plus tardivement que le sauvignon blanc, je me suis dit qu'il passerait mieux les gelées de printemps. Je suis content de l'avoir planté. » L'année suivante, il plante 62 ares de pinot meunier. En 2005, c'est le grand saut. Il crée le Domaine de Valogne et élabore le premier vin à son nom, un blanc sec à base de sauvignon gris. Il en produit 3 300 bouteilles. « Cette cuvée a bien plu. Elle m'a fait connaître localement », raconte-t-il.
En 2005, Jacky Legroux, vigneron à Mareau-aux-Prés, est en fin de carrière. Son domaine de 9 ha, le Vignoble du Chant d'Oiseaux, intéresse Édouard Montigny. Dans une région qui ne compte que quatre vignerons indépendants et une minuscule coopérative de douze adhérents, Jacky Legroux saisit l'aubaine. En 2006, il cède son exploitation à son jeune confrère. Édouard Montigny loue ses vignes et deux bâtiments. Il rachète son matériel : un pressoir pneumatique Bucher de 30 hl, neuf cuves en Inox thermorégulées, un groupe de froid et chaud, sept foudres de 20 hl, un filtre à kieselguhr, une embouteilleuse, une étiqueteuse et une machine à vendanger Braud SB 33, en commun avec deux confrères.
Édouard Montigny rachète aussi les stocks de son prédécesseur, soit 26 500 bouteilles et 460 hl de vrac. En échange, ce dernier s'engage à l'aider à vendre durant trois ans. « La transition s'est très bien passée, souligne Édouard Montigny. J'ai conservé les sept vins de Jacky Legroux, avec les mêmes étiquettes. Ma cuvée du Domaine de Valogne est devenue Esprit de Valogne. J'ai repris le même fonctionnement de vente en direct au caveau et dans les salons locaux. En revanche, comme le magasin qui commercialise aussi la production fruitière et maraîchère du couple Legroux était ouvert matin et après-midi jusqu'à 19 heures, je l'ai fermé le matin en semaine pour travailler dans les vignes. »
À la vigne, il vise les rendements d'appellation : 50 hl/ha pour les orléans blancs et le cabernet franc en Orléans-Cléry. Pour les pinots en AOC Orléans, il vise 40 hl/ha, car ils produisent moins. Sur ses nouvelles plantations, 5 ha au total de 2006 à 2015, il installe un palissage à 5 fils (3 fixes et 2 releveurs) avec des piquets de 2 m de haut. Il augmente la surface foliaire en rognant à 1,7 m, soit bien plus que ce qui se pratique classiquement dans la région. Il travaille en conventionnel.
« Les vins d'Orléans sont atypiques dans le Centre-Loire », poursuit Édouard Montigny. Ici, pas de sauvignon, mais du chardonnay et du pinot gris. Et en rouge et rosé, le pinot noir est accessoire. Les rôles principaux reviennent au pinot meunier et au cabernet franc.
« Mon orléans rosé est issu du pinot meunier, explique le vigneron. C'est un vin d'été par excellence. C'est un assemblage de jus de saignée et de jus de pressurage. Les premiers donnent du fruit et de la couleur tout en concentrant les rouges. Les seconds apportent de la netteté. » Il en produit 3 000 bouteilles par an.
Son orléans-cléry rouge est son coeur de gamme. Il en produit 5 000 bouteilles par an. C'est un 100 % cabernet franc, élevé en cuves pendant un an et demi, puis un an en foudres de 20 hl. Depuis 2014, il injecte 1 mg/l d'oxygène deux fois par jour pendant trois à sept jours dans ses vins de presse pour assouplir les tanins. Puis, il procède à une micro-oxygénation lors du passage pendant un an en foudre qui complète l'opération. À l'arrivée, « le vin est plus rond, plus agréable. Il est davantage au goût du consommateur et à mon goût personnel », explique-t-il.
Son orléans blanc sec, à base de chardonnay, est vinifié en cuve et mis en bouteilles au cours du printemps qui suit la récolte. Il utilise systématiquement la levure CY3079. Elle lui donne « entière satisfaction sur le plan gustatif car elle apporte de la finesse et un arôme de poire, dit-il. Mais les fins de fermentation sont souvent difficiles. » Sur les conseils de la chambre d'agriculture du Loir-et-Cher, depuis 2014, il apporte 2 x 2 mg/l d'oxygène, à l'aide d'un cliqueur, durant la fermentation, pour qu'elle s'achève correctement.
Il vinifie désormais son sauvignon gris en demi-sec ou en moelleux selon les millésimes. Dans ce dernier cas, il vendange lorsque la récolte atteint 16° d'alcool potentiel. À 13° d'alcool, il bloque les fermentations par le froid, puis, après soutirage, place les vins au froid, à 3 °C, pendant tout l'hiver. À la mise, il sulfite à 30 mg/l de SO2 libre et ajoute 20 mg de sorbate de potassium pour bloquer les levures.
« Globalement, ma capacité de production reste très supérieure à ma capacité de commercialisation, même si elle est amputée par les fréquents aléas climatiques », confie-t-il, parfaitement lucide. C'est le facteur limitant de son développement. « Mais, en contrepartie, j'ai des stocks et cela me permet de gérer les années difficiles », nuance-t-il.
Il vend 100 % de sa production en direct localement dont les deux tiers au caveau, en vrac ou bib. « La vente en vrac des appellations à 3 € TTC/l est rentable puisque je n'ai pas les frais de conditionnement, poursuit-il. Même si, en terme d'image, c'est moins flatteur qu'un bib. »
Il augmente régulièrement ses tarifs par petites touches, « jamais de manière excessive pour ne pas mécontenter la base » de sa clientèle fidèle. À ce jeu, il les a tout de même majorés de 36 % en dix ans. Ses orléans et orléans-cléry sont ainsi passés de 4,20 € à 5,70 € entre 2006 et 2016. « À moi de valoriser ma production de façon correcte, souligne-t-il. Et c'est ce que je fais. » Mais le déficit de notoriété des vins de l'Orléanais reste un handicap. « Avant d'être reconnus, il faudrait qu'on soit simplement connus, ce qui n'est pas le cas, relève-t-il. Même si l'obtention de l'AOC, en 2006, a aidé. »
Le syndicat a lancé une campagne de communication. Fin septembre, lors du Festival de Loire qui draine 650 000 visiteurs, il a produit des affiches et des flyers, ouvert le site internet www.aoc-orleans.fr et une page Facebook pour inciter le public à découvrir ses vins. Cette campagne compte quatre slogans différents comme l'excellent « Wine more time ! Faites pas sans blanc » pour les vins blancs d'Orléans; ou le « Once upon a wine, le fil rouge » pour les vins rouges d'Orléans.
La tonalité se veut « moderne et décalée ». Un peu trop ? Peut-être. « Toute la clientèle est loin de saisir les jeux de mots en anglais, regrette Édouard Montigny. En revanche, ceux qui les comprennent les apprécient et nous en parlent positivement. » Il poursuit : « Si nos vins gagnaient en notoriété, nous aurions un débouché suffisant sur le seul bassin d'Orléans. » Il reprendrait alors sans hésiter les 16 ha de vignes de son père à son départ à la retraite d'ici cinq à dix ans.
SUCCÈS ET ÉCHECS CE QUI A BIEN MARCHÉ
Il est fier d'avoir créé son domaine, d'élaborer son propre vin et d'en vivre.
Il est satisfait d'avoir planté 5 ha de « belles vignes » à 5 000 pieds/ha.
Depuis le départ, il a pris une assurance récolte aléas climatiques multirisques de Groupama. Elle lui a été précieuse en 2012 et 2013, deux années de fort gel. Il a d'abord perdu les deux tiers de sa récolte en 2012, puis le tiers en 2013.
SUCCÈS ET ÉCHECS CE QU'IL NE REFERA PLUS
En 2006, il a conditionné une partie de son sauvignon gris en Bib. « Je n'avais pas assez sulfité ce vin. Il est reparti en fermentation. Du coup, dès 2007, j'ai arrêté, et depuis, je mets ce vin intégralement en bouteilles. »
Il a cessé de participer à une dizaine de salons qui n'étaient pas rentables, notamment le Salon des vins de France et le marché de Noël, au parc des expositions d'Orléans.
SA STRATÉGIE COMMERCIALE Vente au caveau et dans les salons de la région
- Édouard Montigny commercialise les deux tiers de sa production en petit vrac ou en bib au caveau, auprès d'une clientèle de 50 ans et plus. Il vend le tiers restant de manière très locale dans une vingtaine de petits salons dans le Loiret, son département, où il « attire une clientèle plus jeune », dit-il.
- Depuis quelques années, il prend part à un salon à Bagneux, en région parisienne, « qui marche très bien. Je devrais cibler davantage cette région », poursuit-il.
- Il participe également, à Orléans, au Salon des vins et de la gastronomie, et au Festival de Loire organisé tous les deux ans autour de la tradition batelière du fleuve. Ce festival accueille 650 000 personnes. « C'est cher, il y a une prise de risque importante, car la fréquentation dépend de la météo. Mais les résultats sont positifs, estime-t-il. Je touche une clientèle très différente et je me fais connaître. »
- De même, tous les étés, il participe à deux balades nocturnes en bateau traditionnel sur la Loire, avec dégustation de mets et de vins. Une manière de se faire connaître auprès des touristes.