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VIGNE

De meilleurs rendements sans perte de qualité

FRÉDÉRIQUE EHRHARD - La vigne - n°283 - février 2016 - page 26

L'IFV a montré qu'il est possible d'augmenter la charge par cep sans modifier le profil gustatif de vins rouges ou rosés. À condition de pouvoir attendre que les raisins mûrissent bien.
L'ÉTUDE DE L'IFV a été menée sur onze parcelles taillées en cordon de Royat. © P. ROY

L'ÉTUDE DE L'IFV a été menée sur onze parcelles taillées en cordon de Royat. © P. ROY

SYRAH À 16 YEUX par cep dans une parcelle d'essai. © IFV RHÔNE MÉDITERRANÉE

SYRAH À 16 YEUX par cep dans une parcelle d'essai. © IFV RHÔNE MÉDITERRANÉE

CEP AVEC 8 YEUX dans une parcelle d'essai. © IFV RHÔNE MÉDITERRANÉE

CEP AVEC 8 YEUX dans une parcelle d'essai. © IFV RHÔNE MÉDITERRANÉE

« Pour le coeur de gamme, il est possible d'augmenter la charge par cep tout en préservant le potentiel qualitatif des vins rouges et rosés. Pour y parvenir, il faut pouvoir retarder la date de la récolte, ce qui est souvent envisageable dans la zone méditerranéenne. C'est ce que nous avons montré dans une étude* réalisée avec les chambres d'agriculture des Bouches-du-Rhône, du Vaucluse et du Var », affirme Marion Claverie, de l'IFV Rhône-Méditerranée.

Ce constat contredit l'idée communément admise selon laquelle la qualité des rouges diminue dès que le rendement augmente. En réalité, « il y a une plage de rendement dans laquelle le profil des vins reste le même, souligne Olivier Jacquet, de la chambre d'agriculture du Vaucluse, qui a participé à l'étude. Nous l'avions déjà observé en étudiant la taille rase, qui induit une hausse de rendement sans forcément entraîner de perte de qualité ».

Olivier Jacquet espère que ces travaux contribueront à lever les a priori qui pèsent sur toute recherche visant à améliorer le rendement. « Regagner quelques hectolitres à l'hectare ne pose pas de problème. Nous avons été un peu trop loin dans la baisse des rendements. Cela s'est fait au détriment de la rentabilité des exploitations, et pas toujours en faveur de la qualité. Dans l'étude de l'IFV, ce sont parfois les vins issus des vignes les plus chargées qui sont préférés ! »

De six à vingt yeux par cep

L'IFV et les chambres d'agriculture ont mené leurs essais de 2008 à 2010 sur cinq parcelles de grenache noir et six de syrah situées chez des vignerons des Bouches-du-Rhône, du Vaucluse et du Var. « Nous avons choisi des vignes sans contrainte hydrique forte et situées en dehors des bas-fonds », précise Marion Claverie.

Ces onze parcelles sont conduites en cordon de Royat. Elles sont plantées à une densité qui varie de 3 100 à 4 400 pieds/ha. Certaines sont irriguées, d'autres non. Suivant les sites, le sol est enherbé, travaillé ou désherbé. « Pour faire varier le rendement, nous avons joué uniquement sur le nombre de bourgeons par cep », souligne-t-elle. Les expérimentateurs ont introduit trois modalités dans chaque parcelle : une à faible rendement, qui compte 6 à 8 bourgeons par cep, une moyenne, avec 10 à 12 yeux, et une forte, avec 16 à 20 yeux.

Après la taille, chaque vigneron s'est occupé de sa parcelle. Que les vignes aient été taillées court ou long, elles ont été cultivées de la même manière durant toute la saison. Excepté que les ceps portant trop de rameaux par rapport au nombre visé ont été ébourgeonnés. Il n'y a eu ni vendange en vert ni effeuillage. « Nous avons exploré une large plage de rendements, variant, suivant les parcelles, de 0,5 à 2,2 kg/m² pour le grenache, et de 0,5 à 3,5 kg/m² pour la syrah », détaille Marion Claverie. Les extrêmes mis à part, cela correspond à des rendements allant de 5 à 20 t/ha, une fourchette que l'on rencontre en AOC comme en IGP.

Des dates de récolte retardées

Les expérimentateurs ont suivi les paramètres classiques de la maturité (degré potentiel, acidité totale, pH et azote assimilable)et de la maturité phénolique (anthocyanes et polyphénols totaux). Lorsque les modalités taillées court ont atteint la maturité requise pour des vins en coeur de gamme, ils les ont récoltées. Puis, ils ont patienté, si besoin, jusqu' à ce que les deux autres modalités atteignent le même niveau de maturité pour les vendanger à leur tour.

« Dans les parcelles de grenache, nous sommes arrivés à des maturités proches dans les trois modalités, en retardant d'une à deux semaines la récolte des vignes les plus chargées », note Marion Claverie. Mais, dans les parcelles de syrah, plus vigoureuses, il n'a pas toujours été possible d'attendre pour vendanger en raison de l'avancée du botrytis. « De ce fait, quelques modalités à forte charge n'ont pas atteint à la maturité visée. »

Peu de différences à la dégustation

Sur sept parcelles, Inter Rhône et le Centre du rosé ont pratiqué des microvinifications des raisins en rouge et en rosé. À la sortie de l'hiver, avant la mise en bouteilles, un jury chevronné a décrit les caractéristiques sensorielles de chaque vin et leur a attribué une note de dégustation. « Les résultats confirment les analyses faites sur les raisins. Dans une même parcelle, le profil des trois modalités sont très proches. Et lorsqu'ils diffèrent légèrement, c'est le vin issu de la vigne la plus chargée qui a été le plus apprécié », note-t-elle.

Après deux années de conservation en bouteilles, un autre jury a effectué un test hédonique des vins issus de trois de ces parcelles et leur a donné une note de dégustation. Sur une des trois, il a préféré le vin issu des vignes les moins chargées. Pour les deux autres, les notes restent proches quel que soit le niveau de rendement. Ces vins sont donc tout autant appréciés. Pas de raison, dans ces conditions, de se priver de produire un peu plus en coeur de gamme !

*Cette étude a été publiée en nov. 2015 dans la revue Rhône en VO, n° 9.

La vigueur ? Point trop n'en faut !

On peut augmenter les rendements sans perdre en qualité, mais pas dans toutes les parcelles. « Il faut pouvoir atteindre la maturité visée. C'est plus facile dans les situations précoces où retarder la date de récolte ne pose pas de problèmes », note Marion Claverie. La vigueur ne doit pas être excessive non plus. La contrainte hydrique est également déterminante. Elle doit être suffisante pour provoquer un arrêt de la croissance au cours de l'été, tout en restant modérée par la suite pour qu'il n'y ait pas de blocage de maturité, même lorsque la charge est forte. Toutes ces caractéristiques sont celles qui qualifient les bonnes parcelles viticoles. « Il doit y avoir peu de manquants, pas de concurrence excessive de l'enherbement et pas de problème récurrent avec des adventices comme le chiendent, ajoute Olivier Jacquet, de la chambre d'agriculture du Vaucluse. Si la vigueur de la parcelle est bonne, il suffit de laisser un peu plus de bourgeons pour obtenir plus de rendement. Et si elle est un peu faible, il faut d'abord la remonter en améliorant la nutrition de la vigne. »

Attention à la surqualité

Alors que les hauts rendements sont décriés, les petits rendements sont magnifiés. Mais « il y a peu de parcelles réellement capables de donner des vins d'une qualité exceptionnelle avec de petits rendements. Le terroir doit s'y prêter », rappelle Olivier Jacquet, de la chambre d'agriculture du Vaucluse. Et lorsque c'est le cas, il faut être capable de vendre très cher les vins obtenus pour couvrir les coûts. Leur qualité seule ne suffit pas à les positionner en haut de gamme, encore faut-il séduire des consommateurs fortunés ou avertis qui apprécient ces vins très concentrés. « Ce sont des marchés de niche », note-t-il. « Les vins d'appellation se vendent en majorité en coeur de gamme, entre 4 et 7 €/col », rappelle Michel Badier, de la chambre d'agriculture du Loir-et-Cher. Dans cette fourchette de prix, mieux vaut atteindre le rendement autorisé pour maîtriser les coûts et rester rentable. La qualité n'en sera pas forcément amoindrie. Vouloir réduire les rendements peut au contraire la dégrader. « Produire 40 hl/ha au lieu de 50 hl/ha, par exemple, accentue la hausse des degrés liée au réchauffement climatique, qui devient un problème », ajoute-t-il.

Le Point de vue de

PATRICK GIBAULT, VIGNOBLE GIBAULT, 30 HECTARES, À MEUSNES (LOIR-ET-CHER)

« Un apport d'azote avant débourrement »

 © VIGNOBLES GIBAULT

© VIGNOBLES GIBAULT

« Le rendement autorisé est de 55 hl/ha pour l'appellation Valençay et de 60 hl/ha pour l'appellation Touraine. Mais cela devient difficile d'y arriver. Avec la concurrence de l'enherbement naturel, la vigueur et le rendement ont peu à peu fléchi. Pour redresser la barre, je pratique depuis 2011 un apport d'azote sur le rang de 12 à 15 U par ha avant le débourrement. La vigueur au démarrage est meilleure. J'ai commencé sur du sauvignon et poursuivi sur du gamay, cabernet franc et malbec, en observant la qualité des bois pour sélectionner les parcelles où cet apport était nécessaire. Depuis deux ans, je laisse aussi un oeil de plus par cep. J'ajuste ensuite à l'ébourgeonnage. Sur le malbec et le gamay, il peut y avoir des contre-bourgeons donnant des rameaux avec des grappes. Je les élimine. En 2014 et 2015, j'ai produit 50 hl/ha en moyenne. Je n'ai pas atteint le rendement autorisé car il y a aussi des pertes dues aux maladies du bois. Tous les ans, je complante et renouvelle près d'un hectare, mais c'est insuffisant. Sans cet apport d'azote, je n'arriverais qu'à 45 hl/ha. J'ai regagné des hectolitres à l'hectare bienvenus pour dégager une marge, sans que le profil qualitatif de mes vins en soit modifié. »

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