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VIGNE

Le mode de production idéal n'existe pas

CHRISTELLE STEF - La vigne - n°283 - février 2016 - page 30

Pendant onze ans, l'IFV et la Sicarex Beaujolais ont comparé les viticultures conventionnelle, raisonnée et biologique sur une même parcelle. Résultat : difficile de conclure à une supériorité de la conduite en bio.
LA PARCELLE D'ESSAI : à l'avant-plan, la partie labourée conduite en bio ; juste derrière, la modalité raisonnée ; et à gauche, la conventionnelle.  © IFV/SICAREX BEAUJOLAIS

LA PARCELLE D'ESSAI : à l'avant-plan, la partie labourée conduite en bio ; juste derrière, la modalité raisonnée ; et à gauche, la conventionnelle. © IFV/SICAREX BEAUJOLAIS

De 2003 à 2013, l'IFV et la Sicarex Beaujolais ont comparé trois modes de conduite : conventionnel, raisonné et biologique sur une même parcelle de gamay située à Saint-Étienne-la-Varenne, dans le Rhône. L'an dernier, ils ont présenté les résultats agronomiques de cette expérience de longue haleine, révélant que la principale différence entre les modes de conduite tenait aux rendements plus bas obtenus en bio (voir encadré). Le 12 janvier, à Liergues (Rhône), les deux organismes ont présenté la suite de leurs observations, en détaillant, cette fois, l'impact environnemental et oenologique des trois modes. « L'objectif n'est pas de dire qu'un mode est meilleur qu'un autre, mais de mettre en évidence les points forts et les points faibles de chaque système », a insisté Jean-Yves Cahurel, d'entrée de jeu. Voici les derniers résultats de leur expérimentation.

Faune auxiliaire

Déprimée en conventionnel

De 2004 à 2006, les expérimentateurs ont dénombré les insectes auxiliaires et les araignées nichés dans les ceps. Sans surprise, les résultats montrent que ces bestioles sont moins nombreuses en conventionnel. « C'est lié à la pression insecticide », note Thierry Decouchant, de la Sicarex Beaujolais.

En revanche, l'essai n'a pas pu départager les modalités bio et raisonné, les résultats étant variables d'une année à l'autre. Ainsi, en 2004, c'est en bio qu'il y avait le plus d'auxiliaires alors qu'en 2006, c'était en raisonné.

Les typhlodromes ont aussi été suivis chaque année. Mais, sur ce point, aucune tendance n'a pu être dégagée, les résultats variant trop selon les millésimes et les dates de comptage. « De multiples facteurs influencent le nombre de typhlodromes comme la vigueur, la présence ou non d'adventices, l'application d'insecticides... », reconnaît Thierry Decouchant.

Qualité des sols

Peu de différences

Pour analyser la qualité biologique des sols, les expérimentateurs ont fait appel au laboratoire Semse. Celui-ci a fait l'état de lieux en 2003, au tout début de l'essai, puis à nouveau en 2006 et 2014. Premier constat : au moment de la mise en place de l'essai, la parcelle renfermait 30 ppm de cuivre (30 mg de cuivre par kg de terre). « C'est beaucoup pour ce type de sol », note Rémi Chaussod, du laboratoire Semse. Mais, malgré cela, la biomasse microbienne était plutôt abondante. « La microflore s'est bien adaptée au sol », explique le spécialiste.

Qu'en est-il de l'impact des trois modes ? Après dix ans, les différences restent faibles. Certes, si l'on s'en tient aux chiffres bruts, la biomasse est un peu plus abondante en bio et un peu plus faible en conventionnel. Mais l'écart n'est pas significatif. En revanche, l'enherbement a un effet déterminant. Dans la modalité raisonnée, il y a deux fois plus de biomasse microbienne dans l'interrang enherbé que dans le cavaillon désherbé chimiquement. « L'enherbement enrichit le sol en matière organique, ce qui a un effet positif sur la biomasse microbienne. » Le dénombrement des vers de terre le confirme.

« Toutes nos mesures montrent que les sols sont en bon état biologique. Dire que les sols viticoles sont morts est faux. Nos analyses prouvent le contraire », a conclu, sur ce point, Rémi Chaussod.

Effet sur les vins

Plus de couleur et de tannins en bio

Les raisins des trois modalités ont été vinifiés en 2003, 2004 et 2006 à la beaujolaise (grappes entières). Puis de nouvelles vinifications - toujours beaujolaises - ont été réalisées en 2011, 2013 et 2014, mais seulement pour les modalités raisonnée et bio. La vendange a été levurée tous les ans et sulfitée à l'encuvage les années où l'état sanitaire le nécessitait (2006, 2013 et 2014). La macération, elle, a duré six à sept jours selon les années.

Sur le plan analytique, les vins bio sont plus acides. Leur acidité totale est plus élevée et leur pH plus bas. Cette différence tient avant tout au fait qu'ils renferment moins de potassium. « Cela rejoint les résultats des analyses pétiolaires qui montrent que les teneurs en cet élément sont plus faibles en bio », détaille Jean-Yves Cahurel.

L'explication ? « Le potassium migre lentement dans le sol. Il se trouve plutôt en surface. Or, en conduite bio, avec le désherbage mécanique, on supprime les racines qui se situent dans cet horizon de surface. Le potassium est donc moins bien absorbé par les vignes. »

Sur le plan sensoriel, les dégustateurs ont jugé les vins bio plus colorés et plus tanniques que les vins conventionnels, deux années sur trois. « C'est en lien avec les résultats analytiques, a expliqué Jean-Yves Cahurel. C'est dû au fait que la vigueur et les rendements sont moindres en bio, notamment au début de l'essai. » Mais les dégustateurs n'ont pas préféré un vin plus qu'un autre.

Les résidus dans les vins de 2003 et 2004 ont également été analysés. « Dans tous les cas, nous étions en dessous des limites de quantification », rapporte Jean-Yves Cahurel. En 2011, 2013 et 2014, les expérimentateurs ont aussi testé des variantes de vinification, notamment pour voir s'il y avait un effet du mode de conduite sur les différences entre les vins levurés et non levurés. Les résultats ont montré que non.

Les trois modalités étudiées

La Sicarex mène son essai dans une parcelle au sol granitique (61 % de sable, 14 % d'argile), superficiel et en légère pente (8 %). Elle compare les trois modes de conduite suivants dans cette vigne (photo) plantée en 1988 à 9 100 pieds/ha et conduite en gobelet non palissé :

- conventionnel : traitements phyto selon un calendrier préétabli ; désherbage chimique en plein ;

- raisonné : application du cahier des charges Terra Vitis ; à partir de 2010, introduction de la règle de décision POD Mildium pour la lutte contre le mildiou et l'oïdium ; désherbage chimique en plein au départ, puis enherbement spontané de tous les interrangs entre 2008 et 2012, et un enherbement ramené à un interrang sur deux à partir de 2012 ;

- Bio : application du cahier des charges de l'agriculture biologique ; désherbage mécanique en plein.

Moins de rendement en bio

Pour mémoire, voici les principaux résultats agronomiques de l'essai conduit par l'IFV et la Sicarex.

- En bio, avec 45 hl/ha en moyenne, le rendement accuse une baisse de 45 % par rapport au conventionnel et de 33 % par rapport au raisonné. Ces écarts n'ont pas eu d'impact sur la qualité des baies.

- La vigueur est également plus faible en bio avec - 19 % par rapport au conventionnel. Elle est liée au désherbage mécanique. Lors des années humides, le développement des adventices est plus dur à contrôler, ce qui engendre un peu de concurrence avec la vigne.

- Dans les trois modalités, maladies et ravageurs ont été bien contrôlés. Un bémol en bio : en 2008 et 2012, deux années à forte pression du mildiou, le parasite y a fait plus de dégâts, notamment sur les grappes. De même, la modalité bio s'est montrée plus sensible au botrytis.

Pour plus de détails, voir La Vigne n° 274 d'avril 2015.

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