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VIN

Conditionnement Inerter vaut mieux que sulfiter

MARION BAZIREAU - La vigne - n°283 - février 2016 - page 44

Un sulfitage renforcé ne suffit pas toujours à protéger les vins qui ont subi une forte oxygénation au moment de la mise en bouteilles. Mieux veut prendre les devants et inerter.
UNE DOSE SUPPLÉMENTAIRE de sulfite ne suffit pas à protéger les vins contre une trop forte entrée d'oxygène à l'embouteillage.  © M. BAZIREAU

UNE DOSE SUPPLÉMENTAIRE de sulfite ne suffit pas à protéger les vins contre une trop forte entrée d'oxygène à l'embouteillage. © M. BAZIREAU

Un tiers des vins jugés non conformes lors des suivis de qualité en aval sont oxydés. Depuis 2011, un groupe national de travail animé par l'IFV* cherche les moyens d'y remédier. À ce titre, il s'est penché sur l'oxygénation au moment de l'embouteillage. Le conditionnement apparaît en effet comme une étape cruciale, puisqu'il s'accompagne généralement d'une dissolution d'oxygène comprise entre 1 et 4 mg/l. Il arrive même que certaines bouteilles en retiennent plus de 10 mg. Les techniciens de l'IFV ont étudié l'impact de telles entrées d'oxygène. Ils ont aussi voulu savoir si un sulfitage renforcé permettait de limiter les dégâts.

Pour répondre à leurs interrogations, ils ont conditionné une trentaine de vins de régions et de cépages différents, en leur apportant trois niveaux d'oxygène : moins de 1,5 mg par bouteille, entre 1,5 et 3 mg, ou plus de 3,5 mg par bouteille. Ils ont sulfité tous ces vins aux doses standards de leur région d'origine, comprises entre 20 et 35 mg/l de SO2 libre. Pour mesurer l'effet protecteur du SO2 en cas d'aération importante, ils ont introduit une modalité supplémentaire dans leur essai. En effet, ils ont sulfité entre 35 et 50 mg/l de SO2 libre une partie des vins qui allaient recevoir plus de 3,5 mg d'oxygène par bouteille à l'embouteillage.

Dans tous les cas, ils ont fermé les bouteilles avec des bouchons Select 300 de Nomacorc, pour s'assurer une bonne homogénéité. Puis, ils ont laissé les bouteilles vieillir pendant un an, entre 18 et 20 °C. Par deux fois, au moment du conditionnement et douze mois plus tard, ils ont dégusté et analysé les vins.

Au bout de douze mois, ils n'ont pas perçu de grosses différences à la dégustation des vins rouges. Leur robe n'a pas non plus été modifiée par les fortes oxygénations. Par contre, l'oxygène a endommagé certains vins blancs et rosés. Sans surprise, les vins ayant reçu la plus forte dose d'oxygène à l'embouteillage ont été jugés les plus évolués. Ils ont perdu en qualité aromatique, en longueur et en équilibre.

Même ceux sulfités entre 35 et 50 ml/l de SO2 libre ? Oui, pour la majorité d'entre eux. Selon Bertrand Chatelet, directeur de la Sicarex et coordinateur du groupe de travail, si le sulfitage renforcé permet de freiner le jaunissement des blancs et des rosés, pour ce qui est du goût « il ne sert qu'à protéger les vins thiolés et ne les préserve pas d'une perte de longueur ou d'équilibre ».

Les analyses confirment les impressions ressenties à la dégustation. Comme le montrent les dosages effectués sur un sauvignon de 2011. Les chercheurs ont mesuré sa teneur en 3-mercaptohexanol (3MH), molécule responsable des arômes d'agrumes et de fruits exotiques. Après un an de conservation, les bouteilles les plus sulfitées et les plus oxygénées en contenaient près de 1 000 ng/l quand les mêmes bouteilles sulfitées normalement n'en renfermaient que 500 ng/l. Entre les deux, les moins oxygénées (et sulfitées normalement) en contenaient encore 800 ng/l. Dans ce cas, le SO2 a donc bien préservé la fraîcheur aromatique.

« Mais pour les autres vins, peu ou pas thiolés, il n'y a pas grand-chose à gagner à compenser une dissolution élevée d'oxygène par une dose supplémentaire de SO2, d'autant plus que cela n'est pas en accord avec la tendance actuelle qui est de baisser le sulfitage », explique Bertrand Chatelet.

Les autres dosages n'ont pas prouvé l'effet protecteur d'une dose supplémentaire de SO2. Les techniciens ont ainsi analysé sur du riesling les concentrations en linalol, une molécule de la famille des monoterpènes qui donne aux vins des arômes floraux. Plus le vin a reçu de l'oxygène, plus la molécule s'est dégradée. Et le sulfitage renforcé n'y a rien changé.

Au travers de leurs analyses, les techniciens ont aussi remarqué que la teneur en TDN, molécule responsable des arômes de pétrole et marqueur de l'évolution des vins, a augmenté en même temps que l'oxygénation. Ils ont constaté, a contrario, que les esters, les alcools supérieurs et les C13-norisoprénoïdes n'étaient pas affectés par l'oxygène.

Trop d'oxygène nuit au vin. Pour autant, Bertrand Chatelet met en garde contre l'excès inverse. « Un peu d'oxygène est bénéfique à certains vins. En fonction de leurs marchés, les vignerons doivent se fixer un objectif de produit et mettre en place un itinéraire technique adapté. Si l'oxygène n'est pas recherché, il faut identifier les points critiques et utiliser des solutions simples, comme l'inertage. »

*Travaux financés par FranceAgriMer, avec l'implication de l'IFV, du Centre du Rosé, de la Sicarex, de l'ICV, d'Inter Rhône, du CIVC et de l'Inra.

Élever son vin en fonction du SO2 actif

Au Centre du Rosé, à Vidauban (Var), Laure Cayla a essayé de maintenir un vin à 0,5 mg/l de SO2 actif, le seuil minimal pour une bonne protection du vin contre les micro-organismes. « Cette pratique permet de réduire les teneurs en sulfites du vin. En fin d'élevage, elle fait économiser de 15 à 30 mg/l de SO2 total. » Mais elle entraîne un conditionnement à un niveau de SO2 libre souvent inférieur à 15 mg/l, alors que les oenologues ont pour habitude de préconiser 25 mg/l. Du coup, lorsque l'on compare l'évolution de deux mêmes vins rosés, l'un élevé en maintenant le SO2 actif à 0,5 mg/l, et l'autre avec le SO2 libre à 25 mg/l, au bout de six mois de conditionnement (avec un apport de 1 g/hl de sulfites à la mise), le premier est plus jaune et son profil sensoriel passe des notes de buis et de pamplemousse à des notes de fruits rouges. « En revanche, il est jugé plus harmonieux », explique Laure Cayla. Par contre, au moment du conditionnement, si on réajuste le niveau de SO2 libre du premier vin à 25 mg/l, il conserve des notes thiolées. Mais la nuance jaune persiste. « Et on ne fait plus d'économies de sulfites, ce qui était l'objectif premier. » Selon Laure Cayla, il est possible d'abaisser la teneur en sulfites d'un vin s'il a été peu oxygéné, s'il est conservé à basse température et s'il n'est pas expédié vers des marchés très éloignés.

Des pistes en vue de limiter la dissolution de l'oxygène

Au conditionnement, le mieux est d'inerter le circuit de filtration et de tirage avec de l'azote et du gaz carbonique. Les premières bouteilles remplies peuvent être réintégrées dans la cuve de tirage afin de limiter l'hétérogénéité entre les bouteilles de début et de milieu de mise. L'inertage de la bouteille avant remplissage et le contrôle régulier des têtes de remplissage permettent également de limiter les apports d'oxygène dans le vin.

Lors de l'édition 2015 des rencontres oenologiques de Nomacorc, Stéphane Vidal, directeur du service oenologie, a rappelé que presque deux tiers de l'oxygène contenu dans une bouteille vient de l'espace de tête qui est pourtant d'un petit volume, avec seulement 5 ml. Des mesures réalisées par la firme dans plusieurs caves ont montré qu'il renferme entre 0,2 et 6 mg/l d'oxygène. « Au bouchage, l'utilisation d'un système de mise sous vide permet de réduire l'apport d'oxygène de 3 à 1,4 mg/l, en moyenne. Si un système d'inertage au CO2 y est couplé, l'apport devient encore plus faible, autour de 0,2 mg/l. »

En fin de tirage, il est judicieux de ralentir la vitesse de pompage et de pousser le vin au gaz neutre.,

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