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VIN

Astringence Le casse-tête tannique

MARION BAZIREAU - La vigne - n°283 - février 2016 - page 46

Pour sa huitième édition, le Lallemand Tour s'est focalisé sur l'astringence des vins, une composante qui déplaît souvent aux consommateurs. Si l'on connaît encore mal tous ses mécanismes, il existe des moyens pour la réduire.
 © J. NICOLAS

© J. NICOLAS

La première matinée du Lallemand Tour a réuni près de 150 participants, à Nîmes (Gard), le 19 janvier. En introduction, Anthony Silvano, responsable du développement technique et des applications de la firme, a rappelé combien les sensations tactiles du vin sont un sujet sous-exploité. Parmi elles, il en est une qui donne du fil à retordre aux chercheurs : l'astringence. Nécessaire à l'équilibre d'un vin, elle est pourtant « rejetée par la majorité des consommateurs », comme l'a rappelé Barry Dick, Master of Wine 2013. Il apparaît nécessaire de la limiter. Mais il faut pour cela d'abord la comprendre.

En bouche

Une sensation de rétrécissement

C'est Julie Mékoué, chargée R & D pour Lallemand, qui a expliqué à l'audience les mécanismes de l'astringence, cette sensation de rétrécissement et de dessèchement de la bouche que l'on perçoit après avoir dégusté certains vins. Elle a souligné qu'elle était le résultat de l'interaction de la salive avec certains constituants du vin. Elle a rappelé également que si la salive était composée à 99 % d'eau, elle contenait d'autres composés parmi lesquels des protéines, à hauteur de 1 à 3,5 mg/ml de salive. « On sait que l'alcool, les acides organiques et les tannins du vin interagissent avec les protéines salivaires et les cellules buccales. Cela fait baisser le pouvoir lubrifiant de la salive. En outre, des précipités tannins-protéines salivaires se forment et donnent la sensation d'avoir des particules dans la bouche. » C'est pourquoi on ressent un rétrécissement ou un étirement de la muqueuse buccale.

Si le principe général est bien compris, il n'en est pas de même lorsqu'on entre dans le détail. Quatre types de protéines salivaires, aux comportements différents, entrent en jeu : les protéines riches en proline - les « PRP » -, les mucines, les stathérines et les histatines. Les plus abondantes sont les PRP. Elles représentent 70 % des protéines de la salive. Elles ont la capacité de précipiter les tannins condensés, alors que les mucines (26 %) restent solubles même lorsqu'elles sont liées aux tannins. Et pour ne rien arranger, les tannins n'ont pas tous les mêmes propriétés astringentes. En règle générale, plus ils sont polymérisés, plus ils sont astringents. Pourtant, les plus astringents ne sont pas les plus longs. Il s'agit des tannins galloylés (certaines de leurs unités ont été substituées par de l'acide gallique) que l'on retrouve principalement dans les pépins. Heureusement, ce sont aussi les moins solubles : leur extraction n'intervient qu'en présence d'alcool, notamment lors de macérations longues. A contrario, les prodelphinidines, localisés dans la pellicule, sont les moins astringents.

Au final, « le mécanisme de l'astringence n'est toujours pas complètement élucidé », a conclu Julie Mékoué. Pas plus que l'impact exact de la composition du vin sur celle-ci. Pour l'heure, il semble acquis que l'astringence diminue avec l'élévation de la température du vin, des teneurs en polysaccharides, alcool et sucre, et avec l'augmentation du pH.

Au chai

L'effet positif des macérations

Fernando Zamora, professeur à l'université de Tarragone, en Espagne, a abordé l'astringence sous l'angle du vinificateur. En 2012, ses équipes ont fait varier la date de récolte d'un cabernet-sauvignon de trois à sept semaines après la véraison, ainsi que la durée de cuvaison, d'une à quatre semaines. La conclusion ? « On peut tout à fait laisser macérer ses vins longtemps, à condition d'avoir vendangé des raisins bien mûrs », a avancé le chercheur. En effet, entre trois et sept semaines post-véraison, l'astringence des tannins baisse régulièrement. Par ailleurs, pendant la cuvaison, la quantité de polysaccharides libérés dans le vin augmente continuellement. Or, ils ont la capacité de précipiter les tannins, donc de rendre les vins plus souples.

Fernando Zamora a également souligné l'effet positif de la macération pré-fermentaire à froid. « Elle augmente la teneur totale en tannins du vin mais abaisse le pourcentage de tannins galloylés, ce qui diminue l'astringence », a-t-il expliqué. En l'absence d'alcool, la macération pré-fermentaire permet d'extraire les anthocyanes, un peu de tannins de la pellicule et très peu de tannins des pépins qui sont beaucoup plus astringents. Cette technique favorise aussi l'extraction des polysaccharides qui « s'associent en priorité avec les tannins les plus longs et diminuent l'astringence du vin ».

Des participants désireux d'en savoir plus

Preuve de l'étendue et de la complexité du sujet, les intervenants ont passé un long moment à tenter de répondre aux questions du public. Ce fut l'occasion d'apprendre que pour resaliver lorsque l'on a dégusté trop de vin rouge, il vaut mieux manger du pain plutôt que boire de l'eau. En effet, la mastication de pain décroche les complexes tannins-protéines de la langue et de la muqueuse buccale. Il a également été demandé s'il existait un moyen direct de mesurer l'astringence. Non, fut la réponse. Néanmoins, des travaux de l'Inra ont montré qu'il y avait une bonne corrélation entre la mesure de la DO230 - qui indique la teneur du vin en tannins - et la perception de l'astringence. Enfin, à la question de savoir si les sols argileux donnent des vins plus tanniques, Olivier Cor, responsable R & D pour Lallemand Plant Care, a appelé à la vigilance : « Pas forcément, tout dépend du stress que subit la plante ».

Un lexique commun pour le toucher du vin

FERNANDO ZAMORA, professeur à l'université de Tarragone, en Espagne.

FERNANDO ZAMORA, professeur à l'université de Tarragone, en Espagne.

Jordi Ballester et Solène Brachet, respectivement maître de conférences et doctorante à l'IUVV, ont remarqué que le lexique du toucher était très peu développé. Les dégustateurs ont ainsi pris l'habitude de s'exprimer avec un vocabulaire imagé, souvent inadéquat, avec des expressions telles que « tannins verts », « petits » ou « finale pointue ». Jordi Ballester et Solène Brachet veulent y remédier en trouvant des associations entre le toucher manuel et celui perçu en bouche. Après avoir défini, avec l'aide d'une vingtaine de dégustateurs, des groupes de mots relatifs aux divers aspects du toucher en bouche que sont la consistance (ferme, dense, volumineux...), le soyeux (fluide, velouté...) et le rugueux d'un vin (grattant, asséchant...), ils cherchent à y associer des matériaux (papier peint, tissus de verre, farine...) provoquant une sensation équivalente lorsqu'on les touche. À terme, l'idée est de développer un vocabulaire standardisé. D'après Jordi Ballester, « on pourrait aussi créer un outil portatif compact, avec diverses matières ». Après le « nez du vin », bientôt des coffrets le « toucher du vin » ?

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