GUMPOLDSKIRCHEN, est à 25 km de Vienne. Le vignoble est au coeur de la Thermenregion et s'étend entre la forêt située au-dessus des coteaux et la plaine industrielle. Le village est très visité par les touristes et les Viennois. M. HULOT
GUSTAV KRUG est le plus gros producteur de Gumpoldskirchen. Toujours à la pointe de la vinification, il ne lésine pas sur les essais. M. HULOT
LES FRÈRES REINISCH cultivent 40 ha en bio. Ils commercialisent des vins blancs et rouges typiques de la région, dont 35 % à l'exportation. M. HULOT
LES CÉPAGES ROTGIPFLER (À GAUCHE) ET ZIERFANDLER, autochtones, partagent la vedette avec le saint-laurent et le zweigelt mais aussi avec des pinots noirs issus de clones allemands, autrichiens, français et suisses. M. HULOT
LES HEURIGER OU BUSCHENSCHANK sont des guinguettes tenues par les producteurs. Elles permettent aux vignerons d'écouler une bonne partie de leur production sur place. Dans leur Heuriger, Madame Alphart sert les plats et Monsieur les vins. Ils sont restaurateurs trois semaines tous les deux mois. Le reste du temps, ils produisent leur vin et le commercialisent, au caveau et ailleurs. M. HULOT
Thermenregion, la région des termes. Le nom désigne les bains chauds situés à Baden, à une vingtaine de kilomètres au sud de Vienne, et édifiés par les Romains. Ce sont eux aussi qui y plantèrent la vigne. Aujourd'hui, ce vignoble couvre plus de deux mille hectares. Pendant longtemps, il fut connu au travers de la coopérative de Gumpoldskirchen, à 6 km de Baden. Son vin blanc coulait à flot. Dans les années 1960 et 1970, c'était le plus exporté d'Autriche ! Depuis, Thermenregion a changé de visage. La coopérative a vendu sa cave à la ville, qui l'a, à son tour, cédée à un vigneron privé, Johannes Gebeshuber.
Sur un millier de propriétaires (beaucoup ont un demi-hectare pour le loisir), on compte deux cents metteurs en marché. Seulement une soixantaine d'entre eux vendent leurs vins dans toute l'Autriche et à l'export. Les autres écoulent tout localement. Ici, la proximité n'est pas un vain mot. La capitale amène son lot de consommateurs. C'est le premier point fort de Thermenregion. Le temps d'un week-end ou d'une soirée, les Viennois viennent goûter à la vie champêtre, font des balades à vélo et du tourisme à Gumpoldskirchen qui est un charmant village.
Mais ce qui les attire surtout, ce sont les fameuses Heuriger : ces tavernes tenues par les vignerons du cru où ils servent leurs vins (voir encadré). Les viticulteurs y écoulent une grosse partie de leur production, au prix d'un travail harassant.
Mais « il ne suffit pas d'être près de la capitale, avance lucidement Florian Fritz, directeur de Freigut Thallern, un monastère cistercien reconverti en cave, hôtel et restaurant. Il nous faut être différents et aussi faire de bons vins. »
Pari tenu : originalité et qualité sont au rendez-vous. C'est le deuxième point fort de ce vignoble. Thermenregion est l'unique vignoble d'Autriche qui produit autant de vins rouges que de blancs. Partout ailleurs, les blancs sont archi-dominants.
Autre particularité : les quatre cépages rares que sont le rotgipfler, le zierfandler, le saint-laurent et le zweigelt. Les deux premiers sont des blancs qui donnent des vins très originaux. Bernhard Stadlmann (Weingut Stadlmann), producteur à Traiskirchen, estime que le rotgipfler, croisement naturel entre le savagnin et le roter veltliner, est incomparable : « Épicé, rond et aromatique ». Le terme rot (rouge) surprenant pour une variété blanche, évoque la couleur des sarments.
Gustav Krug (Krug), à Gumpold-skirchen, sort tous les ans jusqu'à 50 000 bouteilles de rotgiplfer sur les 250 000 qu'il produit. « Mais ce n'est pas un cépage facile, prévient-il. Il ne pardonne pas la moindre erreur. Il est difficile à presser, c'est pourquoi nous faisons des macérations à froid avant le pressurage. »
Le zierfandler, l'autre blanc, est lui aussi un croisement du savagnin et du roter veltliner. Les Autrichiens l'appellent également spaetrot (rouge tardif) pour ses grains légèrement rougis. Il donne des rendements irréguliers et offre en dégustation des notes de miel légèrement huileuses. L'acidité présente dans ces deux variétés les rend aptes à la production de liquoreux longs en bouche.
Malgré l'intérêt gustatif et leur rôle de porte-drapeau régional, aucun de ces deux cépages ne totalisent plus de cent hectares plantés ! Une conséquence de la difficulté à les cultiver. Les producteurs misent bien davantage sur le riesling, le grüner veltliner, le chardonnay et le pinot blanc, moins fragiles et qui réussissent tout aussi bien.
Le saint-laurent, un cépage rouge, flirte avec les 800 hectares. C'est sûrement l'endroit du monde où il est le plus cultivé. Il rappelle la syrah dans les millésimes chauds et le pinot noir dans les années fraîches. Quant au zweigelt, il donne un vin qui tire sur le rouge clair et offre des arômes de cerise. Ici, on en trouve 276 hectares.
La Thermenregion a un dernier atout surprenant : ses pinots noirs de haute tenue. C'est ici, paraît-il, que les premiers plants ont été importés en Autriche par les moines cisterciens de Cluny. Johannes Gebeshuber explique que ce cépage est une tradition. Lui-même possède des clones d'Allemagne, d'Autriche, de Suisse et de France aux grappes plus petites et plus compactes.
Johannes Reinsich cultive lui aussi du pinot noir sur sa propriété familiale, Johanneshof Reinisch, située à Tattendorf, dans le sud de Thermenregion. Il y travaille avec ses deux frères, Christian et Michael. Né en 1975, Johannes est chargé des vinifications et des ventes au caveau. Il a appris à manier les tuyaux avec son père, puis dans la Napa Valley, en Californie, chez Swanson et au Clos du Val. « Les rouges sont en perte de vitesse. Aujourd'hui, il est plus facile de vendre du blanc, souligne-t-il. Il y a dix ans, c'était l'inverse. »
Malgré ses atouts, la Thermenregion manque de notoriété. Elle fait partie des seize régions viticoles d'Autriche. Son cahier des charges est peu restrictif. Par exemple, tous les cépages autorisés en Autriche y sont permis. Certains veulent franchir une nouvelle étape et passer en DAC - Districtus Austriae Controllatus - au cahier des charges plus sévère. « Ce serait nécessaire sur le long terme, explique Heinrich Hartl, producteur à Oberwalterdorf dans le sud. Mais 90 % des caves ne sont pas intéressées par le concept ou ne le comprennent pas. »
L'affaire est en effet compliquée. Pour passer en DAC, les producteurs devront définir une typicité propre à leur région, donc restreindre l'encépagement. Mais quel cépage retenir ? Une autre question se pose : faut-il étendre cette DAC à toute la région ou démarrer sur une aire plus restreinte ? S'ils veulent trouver un nouvel élan, les producteurs devront répondre à ces questions.
Des tavernes rentables pour les vignerons
Écouler sa production sur place, directement aux consommateurs : le rêve. C'est ce que font les producteurs autour de Vienne dans leurs Heuriger (ou Buschenchank), leurs tavernes. Un rêve d'autant plus agréable qu'ils obtiennent de bonnes marges, tout en pratiquant des prix corrects : entre 8 et 10 € la bouteille servie à table. Les Viennois ont l'habitude de ces tavernes car la capitale est entourée de vignes.
Les tavernes de vignerons sont pléthore depuis plus de 230 ans, grâce à une loi établie par l'empereur Joseph II en 1784. À l'origine, on n'y servait que le vin de l'année, « heurig » signifiant « de l'année » en allemand. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Ces Heuriger sont gérées en réseau et selon un calendrier défini à l'avance. La loi plafonne en effet le nombre de jours d'activité autorisés. En Basse-Autriche où se trouve Thermenregion, un vigneron doit fermer pendant quatre semaines après trois mois d'activité. Seuls ceux qui ont une licence de restauration peuvent ouvrir toute l'année. Pour informer leurs clients, les viticulteurs annoncent longtemps à l'avance leur calendrier.