LE CHERCHEUR PASCAL LECOMTE, de l'Inra de Bordeaux, a fait la preuve de l'impact de la qualité de taille sur la sensibilité d'un cep à l'esca. © P. LECOMTE/INRA DE BORDEAUX
Le cep ci-dessus est conduit avec des bras bien formés et taillés selon les principes de la méthode guyot poussard (respect des flux de sève, taille sur bois jeune, pas de taille rase). © P. LECOMTE/INRA DE BORDEAUX
Ci-dessus, le cep, conduit en guyot simple à bras courts, a été « surtaillé » et est déjà mort. Toutes les plaies de taille sont dans une zone restreinte. Cela a facilité le développement des nécroses d'esca. © P. LECOMTE/INRA DE BORDEAUX
SUR CE CEP DE TROUSSEAU taillé en guyot simple, on observe de grosses plaies. Cela suggère d'importantes parties mortes dans le tronc principal qui s'étendront jusqu'au point de greffe : c'est le pire des cas en terme de fonctionnement interne. © S .V. DU JURA
SUR CE CEP DE SAVAGNIN taillé en guyot double, les deux flux de sève principaux sont présents et rectilignes. Il n'y pas d'entrave ni d'inversion. Il n'y a pas non plus de blessures ou de plaies sur le tronc principal. C'est la configuration optimale pour le fonctionnement interne de ce cep. © S .V. DU JURA
Le mode de conduite et surtout la qualité de la taille ont un impact déterminant sur l'esca.Pascal Lecomte, chercheur à l'Inra de Bordeaux en est convaincu depuis 2007. Il vient de présenter des chiffres spectaculaires à l'appui de sa thèse.
Depuis 2014, avec d'autres partenaires, il compare des couples de parcelles similaires et voisines dans différentes régions. Elles ont le même âge (à un an près). Elles évoluent dans le même environnement. Enfin, elles sont plantées du même cépage et du même porte-greffe (le plus souvent). Mais l'une des parcelles de chaque couple est très touchée par l'esca, l'autre non.
Pour évaluer cet impact de l'esca, le chercheur de l'Inra a noté deux choses :
- le pourcentage de « ceps improductifs », c'est-à-dire morts, manquants, replantés, restaurés ou ayant du bois mort ;
- le pourcentage de ceps exprimant des symptômes foliaires en automne.
Puis, il a cherché ce qui pouvait expliquer les différences quant à l'impact de l'esca. Autant dire qu'il a vite trouvé.
Dans le Gers, il a suivi deux parcelles de colombard. En 2015, il a noté 13 % de ceps improductifs dans l'une et 43 % dans l'autre. La première est conduite en guyot double avec deux bras bien formés. Presque trois fois plus atteinte par l'esca, la seconde est taillée en guyot simple sans véritable bras.
Dans le Jura, Pascal Lecomte étudie deux parcelles de chardonnay contiguës, menées en guyot simple. La première est bien taillée avec deux appels de sève. Dans la seconde, il n'y a qu'un seul appel de sève. Verdict en 2015 : 16 % de ceps improductifs dans la vigne bien taillée contre 34 % dans l'autre, soit deux fois plus. Quant aux ceps montrant des symptômes foliaires, ils sont huit fois plus nombreux dans la parcelle mal taillée (4,3 %) que dans son équivalent soigneusement taillée (0,5 %).
À Castillon, en Gironde, Pascal Lecomte a obtenu des résultats encore plus spectaculaires. Là, il a comparé deux parcelles voisines de 50 m, plantées avec des cépages de même sensibilité à l'esca (cabernet franc et cabernet-sauvignon). La première est conduite en guyot double avec des bras longs. Le viticulteur y applique la taille poussard et respecte bien les flux de sève. Dans la deuxième, les ceps sont conduits en guyot simple avec des bras courts, voire inexistants. C'est une vigne en fermage à laquelle l'exploitant apporte visiblement peu de soin. En 2015, dans cette parcelle, 76 % des ceps étaient improductifs contre 12 % dans la parcelle bien taillée. C'est sept fois plus ! Au niveau des symptômes foliaires, la différence est moins nette : 1,2 % des ceps en présentaient dans la parcelle bien taillée contre 1,8 % dans l'autre.
« Nous avons suivi une démarche classique en étiologie, explique Pascal Lecomte. Nous avons cherché des parcelles très malades. Nous avons noté leurs caractéristiques et nous les avons comparées à des parcelles équivalentes, mais peu atteintes. Ensuite, nous avons confronté les pratiques viticoles. » Seule différence notable dans tous ces couples de parcelles : la qualité de la taille.
Certains modes de conduite sont-ils moins favorables aux maladies du bois ? Selon Pascal Lecomte, oui. C'est par exemple le cas du cordon. « Plus les bras sont longs, plus la charpente est longue et plus le cep vit longtemps. Mais tout le bénéfice d'un bon choix de forme peut être annihilé par de mauvaises pratiques de taille. Les viticulteurs ont simplifié la taille. Pour répondre aux cahiers des charges qui imposent une densité de plantation minimale, certains ont augmenté la densité sur le rang sans modifier la distance entre les rangs. Ils sont alors passés du guyot double au guyot simple. »
Autres raisons de la dégradation de la qualité de la taille : l'emploi d'ouvriers peu formés et l'arrivée du sécateur électrique avec lequel « on peut couper de gros bois et provoquer de grosses plaies. Mais il n'est pas question de remettre en cause son utilisation car il soulage la pénibilité du travail. Il faut juste revenir aux fondamentaux de la taille : éviter les grosses coupes, ne jamais revenir sur le vieux bois, laisser des chicots sur les bois de plus de deux ans et respecter les flux de sève », explique Pascal Lecomte.
À Sancerre, François Dal, de la Sicavac, milite depuis longtemps pour la taille guyot poussard, respectueuse de ces principes. Depuis 2005, il la compare au guyot classique sur une parcelle de sauvignon plantée en 1999 et taillée de manière traumatisante les sept premières années. Tous les ans depuis 2011, la partie « poussard » est mois atteinte par l'esca et la différence s'amplifie d'année en année. En 2015, 5 % des pieds y ont exprimé des symptômes foliaires d'esca, contre 14 % des pieds taillés classiquement. Depuis le début de l'essai, 22 % des ceps poussard ont exprimé des symptômes contre 37 % des guyots classiques.
François Dal a mis en place un deuxième essai sur dans autre parcelle de sauvignon plantée en 2005. Il a commencé à la tailler l'année suivante, une partie en guyot classique et l'autre en guyot poussard. Là encore, les bienfaits de la taille poussard sont nets. Depuis la mise en place de l'essai, seulement 4 % des ceps ainsi taillés ont exprimé des symptômes d'esca contre 12 % des pieds taillés classiquement.
Sur le terrain, la prise de conscience s'opère. François Dal multiplie les formations à la taille. « En 2015-2016, j'ai animé 70 journées. Et j'ai dû refuser des demandes », rapporte-t-il. Ce conseiller a réalisé une enquête auprès de 107 viticulteurs du Centre-Loire cultivant plus de 30 % du vignoble. 88 % d'entre eux ont déclaré connaître la taille guyot poussard et 50 % la respectent entièrement.
En Anjou, les choses bougent également. « On forme une cinquantaine de personnes par an, surtout des salariés », indique Nicolas Rubin, de l'ATV 49. De même dans le Jura, la taille dite « respectueuse », ou guyot poussard, est en plein essor. Depuis 2011, la Société de viticulture du Jura a ainsi formé 197 personnes à cette taille. À force d'être mieux taillées, les vignes devraient moins subir les assauts de l'esca.
Adoptez les bons gestes
- Gardez des coursons et des yeux vivants sur toute la périphérie du cep.
- Évitez les plaies mutilantes. Si vous coupez un bois de l'année, taillez-le à ras sur la couronne mais sans creuser dans le vieux bois, ce qui supprimerait l'empattement. Si vous coupez des bois de deux à trois ans, laissez un chicot d'une longueur au moins équivalente au diamètre de la coupe. Si vous coupez un vieux bois (une branche principale), cherchez un bois de substitution qui permettra de récupérer le flux de sève du bois que vous allez éliminer. Ce bois devra avoir un diamètre suffisant : le tiers du diamètre du bois que vous supprimerez.
- Respectez les flux de sève en choisissant bien les yeux sur les coursons. En effet, le premier oeil doit toujours être le plus proche du flux de sève et en dessous de ce flux de sève.
- Soignez la taille de formation. Les pépiniéristes greffent à un oeil. Or, c'est du côté de cet oeil que le flux de sève est le meilleur. Lors de la taille de formation, conservez la branche qui est de ce côté-là et éliminez les autres.
Plus d'esca dans les ceps tordus
Gaël Delorme, de la société de viticulture du Jura, étudie depuis deux ans l'impact du fonctionnement interne des ceps sur l'expression de l'esca.
Concrètement, dans cinq parcelles de savagnin et de trousseau, il a noté les ceps de 0 à 5 selon leur état : 0 lorsque les flux de sève sont préservés et 5 lorsque la circulation de la sève est entravée.
En automne, il a noté l'intensité des symptômes d'esca sur chaque cep. Il a ainsi observé 481 ceps en 2013 et 625 en 2014. Les résultats ? Plus les flux de sève sont tordus, plus il a de symptômes d'esca et plus ces symptômes sont marqués. C'est ce qui est ressorti dans trois parcelles sur cinq en 2013 et dans deux parcelles sur cinq en 2014. Les essais se poursuivent.